jeudi 1 novembre 2012

Denis Mukwege sur RFI: «Il faut une sécurité pour toute la population» de RDC

invité Afrique -
Article publié le : jeudi 01 novembre 2012 - Dernière modification le : jeudi 01 novembre 2012
Le docteur Denis Mukwege.
Le docteur Denis Mukwege.
AFP

Par Guillaume Thibault

Primé pour son action en faveur des femmes violées en RDC, Denis Mukwege, gynécologue obstétricien, et dirigeant l’hôpital Panzi, à Bukavu, dans l’est de la RDC, à été contraint, suite à une tentative d’assassinat, de se réfugier à l’étranger. Au micro de RFI, il revient sur les circonstances de cette tentative, et rappelle la nécessité de venir en aide à la population, première victime de ces massacres.

Denis Mukwege, vous êtes, pour le moment, docteur réfugié à l’étranger. Comment allez-vous ?
Je me porte bien. Cela prend du temps, mais je me porte bien. Je crois que c’était très dur. Mais je suis avec mon épouse et mes enfants, je sens que je me rétablis progressivement.

Quel souvenir avez-vous de cette tentative d’assassinat – on peut le dire – à Bukavu ?
C’était un moment très, très difficile. Cela s’est passé très rapidement, en trois phases. La première phase c’est que les agresseurs ont maîtrisé d’abord toutes les personnes qui étaient à l’extérieur de la maison. Et dans la maison, donc, ils sont entrés. Ils ont maîtrisé les enfants. Ils m’attendaient à l’entrée, et quand j’avais klaxonné, c’est eux qui ont ouvert la porte et m’ont cueilli rapidement.
La deuxième phase, c’était de pouvoir partir après nous avoir forcés. Ils ont récupéré les clés de ma voiture. C’est à ce moment-là qu’ils ont commis l’irréparable. D’abord en me braquant, et puis après, quand mon gardien avait crié, ils se sont retournés. En fait, ils l’ont achevé à bout portant. Je suis tombé par terre. La suite était très rapide. Ils ont pu s’échapper avec le véhicule.

Et justement, à ce moment-là, docteur, vous vous cachez ?
Là vraiment, ils ont tiré. On a trouvé six douilles. Mais moi, j’avais l’impression qu’il y avait des coups, qu’ils avaient tiré vers la sentinelle. La suite, je ne peux pas vous dire. J’étais hors de moi-même.

Est-ce que vous avez souvenir de la tenue que portaient vous agresseurs ?
Ils étaient en tenue civile. Mais je pense que leur opération a été faite avec professionnalisme et rapidité. Ce sont des tueurs professionnels.

Est-ce que des gens vous en voulaient ou est-ce que vous vous sentiez menacé ?
Je n’ai pas vraiment de problèmes avec les gens. Je n’avais pas un système de protection spéciale. Je n’ai de problèmes avec personne.

Vous demandez que toute la lumière soit faite sur cette agression, qu’une enquête soit menée ?
En ce moment, je pense beaucoup. Si moi, j’ai été agressé en pleine ville, dans un quartier sécurisé, je crois que ma pensée va beaucoup plus à toutes les femmes qui sont à l’intérieur et qui subissent ce que j’ai subi, tous les jours. Donc finalement, j’ai pu réaliser que leur situation est très difficile. Et même plus difficile que je ne le pensais, puisque si cela se passe comme ça, en pleine ville, à dix-neuf heures, je peux imaginer que toutes les personnes qui sont sans défense et sans protection sont, en fait, à la merci de toutes les bandes armées.
Et je crois que ça devient périlleux. On ne peut pas continuer à assister impuissant aux massacres, aux tueries des innocents. Ma sécurité, c’est une bonne chose. Mais je crois qu’il faut une sécurité pour toute la population. Elle a droit à cette sécurité. Les responsables doivent prendre les responsabilités avec le sérieux qu’il faut.

Justement, docteur, mercredi 31 octobre était organisé à Bukavu, chez vous, « une ville morte », pour dénoncer cette insécurité, ces violences. Je suppose que d’où vous êtes, vous y avez pensé.
Je crois que « leur expression » doit être écoutée par les autorités nationales, par la communauté internationale. C’est impensable que pendant seize ans, un peuple soit meurtri de cette façon, au vu et au su de tout le monde, dans un silence complet.

Vous avez aussi, je suppose, un message à adresser à tout le personnel de l’hôpital de Panzi, où vous travaillez, votre hôpital ?
C’est un personnel qui se donne corps et âme, qui fait son travail avec amour. Et je pense que le message que je donne à tout le personnel de l’hôpital de Panzi, est de continuer à répondre à la haine par l’amour. Je crois que c’est seulement l’amour qui peut vaincre la haine. Et donc, tous ceux qui commettent des actes barbares sur les malades que nous soignons, commencent à le faire sur eux-mêmes. Je crois qu’il ne faut pas lâcher. Il ne faut pas propager le message de haine. Il faut plutôt continuer à aimer. C’est seulement l’amour qui peut nous affranchir du combat que nous menons contre la violence, contre la haine.

Et justement, dans ce cadre-là, vous espérez retourner à vos activités à Bukavu le plus vite possible ?
En partant déjà, j’avais des malades qui sont venus chez moi. Et c’est très pénible de les avoir abandonnés. Quand je les ai vus en train de pleurer, j’ai pleuré avec eux. Et je dois dire que je suis avec eux. J’ai besoin de ce repli, mais je suis tout à fait avec eux. Dès que possible, je serai avec eux.

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