(France TV Info 26/11/2012)
Dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC) se
joue une guerre de brousse. Loin des regards, les succès et les revers sont
difficiles à vérifier. Mais une chose est sûre, des dizaines de milliers de
personnes fuient à nouveau des violences. Au centre des troubles, un groupe
baptisé le M23. Un temps intégrés à l'armée régulière, ces rebelles sont à
nouveau entrés en dissidence avec le soutien du Rwanda voisin. Ils réclament,
officiellement, l'application d'un accord qui prévoit leur intégration dans les
forces congolaises avec promotions et bons salaires. Vont-ils obtenir gain de
cause ? L'armée congolaise peut-elle les écraser ? A moins que les rebelles ne
parviennent à renverser le président congolais ? Francetv info explore plusieurs
scénarios.
Les troupes congolaises reprennent Goma par la
force
Prise, reprise, re-reprise. Après avoir mis la main sur la
principale ville de l'est de la République démocratique du Congo, Goma, le M23
et ses 2 000 à 3 000 hommes ont continué leur route vers la localité de Saké,
plus à l'ouest. Mais, surprise, jeudi 22 novembre, l'armée congolaise, les
FARDC, a annoncé avoir repris la ville lors d'une contre-offensive. Las,
vendredi, il semble que le M23 se soit à nouveau défait de l'armée régulière. Le
M23 aurait repris sa marche vers le sud, en direction de l'autre ville
stratégique de la région, Bukavu. L'armée congolaise qui dispose de plusieurs
bataillons dans la région est-elle en mesure de mener une contre-offensive
?
Probabilité ? Très faible. "Il est difficile de penser que l'armée
puisse se défaire du M23 militairement", explique Saïd Abass Ahamed qui enseigne
la négociation et la géopolitique à l'école Rouen Business School. L'armée
congolaise est "délabrée", explique-t-il. Humiliée, mal ravitaillée, pas payée,
démoralisée, elle a toujours peiné à tenir un front. De plus, elle ne dispose
pas d'un équipement comparable à son adversaire, qui a du matériel sophistiqué,
par exemple de vision nocturne.
Le M23 parvient à renverser le
régime
Dans l'euphorie de la prise de Goma, le porte-parole du M23 a
tonné, mercredi 21 novembre, dans le stade de la ville : "Nous n'allons pas nous
arrêter à Goma, nous irons jusqu'à Bukavu, Kisangani et Kinshasa", la capitale
de la RD Congo.
La menace trouve un écho particulier en RDC. Le
dictateur Mobutu Sese Seko a été chassé du pouvoir en 1997 par une rébellion
venue de l'est du pays. Elle avait traversé le Zaïre jusqu'à Kinshasa, à 2 000
kilomètres de distance. A sa tête, Laurent-Désiré Kabila, assassiné en 2001,
père de l'actuel président de la RDC, Joseph Kabila. La rébellion bénéficiait
alors du soutien du Rwanda de Paul Kagame et de l'Ouganda de Yoweri Museveni.
Les deux chefs d'Etat, toujours aux manettes, sont aujourd'hui accusés par l'ONU
de soutenir le M23.
Probabilité ? Assez faible. D'abord, "ce n'est pas
avec 3 000 hommes qu'ils vont occuper un pays de la taille de l'Europe", juge
Saïd Abass Ahamed. Il précise : "Sauf si le Rwanda s'y met." En clair, si ses
troupes franchissent la frontière.
Mais la situation n'est plus la même.
"Il y a des échanges directs" entre les chefs d'Etat de la RDC, du Rwanda et de
l'Ouganda, note le chercheur. Après la prise de Goma, le président congolais,
Joseph Kabila, s'est précipité en Ouganda pour rencontrer son homologue. Il y a
aussi vu le président rwandais. Joseph Kabila a des arguments face aux deux
autres chefs d'Etat. Il bénéficie du soutien de l'Angola, qui dispose d'une
aviation. Si le Rwanda pénétrait en RDC, le conflit se "régionaliserait",
impliquant de nombreux pays. Un gros risque à prendre. Déjà, à l'issue de leur
mini-sommet, les trois chefs d'Etat ont appelé le M23 à "cesser immédiatement
son offensive et à se retirer de Goma".
Reste l'hypothèse d'une
déstabilisation venue de l'intérieur. A Bukavu, des manifestants ont violemment
reproché à Joseph Kabila de les avoir "abandonnés". Si Kinshasa et ses 8,4
millions d'habitants se soulevaient, le régime tomberait. Mais cela ne semble
pas encore à l'ordre du jour. Toutefois, la journaliste Colette Braeckman
souligne que, si les rebelles poussent jusqu'à Bukavu, "on pourrait assister à
une tentative de changement de régime à Kinshasa, le chef de l'Etat ayant déjà
échappé à plusieurs tentatives d’assassinat".
Le M23 s'installe à Goma
Troisième scénario : un "pourrissement" de la situation, comme
l'envisage le journaliste Christophe Rigaud. En clair, le M23 s'enfermerait dans
Goma "qu'il administre pour continuer d'avoir la main sur cette région riche en
ressources minières. Le Nord-Kivu (est de la RD Congo) deviendrait alors une
simple annexe du Rwanda voisin".
Probabilité ? Moyenne. Cela ferait bien
l'affaire du Rwanda dont la croissance économique est soutenue par l'exportation
de minerais congolais (coltan, cassitérite, terres niobium, or) qui transitent
par ses aéroports, sans compter qu'un important gisement de pétrole à cheval sur
trois pays (Ouganda, Rwanda, Congo) vient d'être découvert.
Mais la
France fait pression sur l'ONU pour que le mandat de la force internationale, la
Monusco (Mission de l'Organisation des Nations unies pour la stabilisation en RD
Congo - 17 000 soldats), soit modifié. Elle souhaite que les casques bleus,
accusés de n'avoir pas défendu Goma, puissent être plus offensifs. Jusque-là, le
Rwanda bénéficiait de soutiens américains et britanniques. Mais ils se
fissurent. Le Royaume-Uni a appelé le Rwanda à faire pression sur les rebelles
pour qu'ils se retirent. Washington a condamné "tout soutien étranger au M23".
Reste que pour les rebelles, un retrait pur et simple serait dur à
avaler.
Le M23 négocie un accord avec Kinshasa
C'est la dernière
option. Avant la prise de Goma, le chercheur du think tank International Crisis
Group Thierry Vircoulon jugeait que les rebelles "souhaitent forcer le
gouvernement congolais à des négociations, des négociations directes avec le
président Kabila".
Probabilité ? Forte. "Les rebelles ne pourront pas
indéfiniment occuper cette ville", pointe Saïd Abass Ahamed. Or, le chef du M23
s'est dit "disponible" pour discuter avec le président congolais. "C'est une
histoire cyclique", relève le chercheur. Finalement, un nouvel accord devrait
être négocié avec les autorités congolaises. Comme le précédent, il visera à
intégrer les rebelles à l'armée congolaise, avec certains
avantages.
Mais, en sous-main, il s'agira surtout pour le M23 de
s'assurer qu'au sein de l'armée, ses membres ne seront pas éparpillés dans le
pays pour affaiblir le mouvement. Il gardera ainsi la main sur l'exploitation
des minerais dans la région. Les rebelles s'assureront aussi que leurs chefs ne
puissent pas être livrés à la Cour pénale internationale. Après la signature du
premier accord, la RD Congo avait fermé les yeux dans un premier temps. Et
lorsque les autorités congolaises avaient changé d'avis et menacé de les livrer,
l'est du Congo avait soudain vu renaître comme par enchantement la
rébellion.
Gaël Cogné
Publié le 24/11/2012
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