vendredi 9 novembre 2012

Kinshasa : un pied dedans, un pied dehors


(Le Potentiel 09/11/2012)

En mettant clairement en cause le Rwanda et l’Ouganda dans l’insécurité qui sévit dans l’Est, la RDC ne croit plus à une solution diplomatique dans le cadre de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) où se côtoient pyromanes et sapeurs-pompiers. Sans quitter l’organisation sous-régionale, elle explore ailleurs les meilleures voies de sortie de crise. Aussi Kinshasa garde-t-il un pied dedans et un autre dehors.

Sans le dire ouvertement, la RDC multiplie des gestes qui témoignent de son intention de se passer du schéma tracé au sein de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL). Le Premier ministre, Matata Ponyo Mapon, a été le premier à donner le ton lors de son dernier séjour européen. A l’étape de Bruxelles, il avait jugé « presqu’hypothétique » une solution régionale dans le cadre de la CIRGL. En lisant entre les lignes, l’on comprend qu’il appelait à ne pas se cramponner aux négociations menées sous le leadership des Grands Lacs. Autrement dit, il invitait déjà à aller frapper ailleurs pour trouver mieux que ce que propose la CIRGL.

Son attitude était dictée par l’enlisement constaté sur le terrain. De profondes divergences entre les protagonistes de la crise dans l’Est retardent la poursuite de ce processus. D’un côté, la RDC soutient l’option de renforcer le mandat de la Monusco (Mission des Nations unies pour la stabilisation de la RDC) pour en faire une force internationale neutre dans les termes convenus dans le cadre de la CIRGL. Ce que rejette catégoriquement le Rwanda qui digère très mal la présence des troupes de la Monusco à ses frontières avec la RDC. On ne le dit pas tout haut. A sein de la CIRGL, c’est déjà l’impasse.

Le projet de déploiement de la Force internationale neutre convenu en juillet dernier à Addis-Abeba tarde à se concrétiser. A quatre reprises, les chefs d’Etat des pays membres de la CIRGL n’ont pas pu trouver un accord à Kampala. Les négociations sont toujours bloquées sur l’opérationnalisation de cette force neutre, censée être internationale.

A cette impasse se sont ajoutées les révélations reprises dans le rapport que les Nations unies apprêtent à être publié en ce mois de novembre en rapport avec la rébellion menée dans l’Est de la RDC par les troupes du M23. Dans leur rapport, les experts des Nations unies ont chargé également l’Ouganda, celui-là même qui pilote, en sa qualité de président en exercice de la CIRGL, les négociations menées dans ce cadre pour la sécurisation de l’Est de la RDC. Jusqu’à une date récente, seul le Rwanda était pointé comme principal soutien au M23.

Officiellement, la RDC ne s’est pas clairement prononcée sur des charges qui pèsent sur l’Ouganda. Elle a dit attendre de son voisin des explications. Mais, en lieu et place, Kampala a proféré des menaces, notamment envers l’Union africaine, allant jusqu’à envisager un éventuel retrait de ses troupes dans différentes opérations de maintien de la paix menée sur le continent. « Chantage !», ont estimé certains analystes. Ne dit-on pas : « Qui se sent morveux se mouche » ?

La seconde voie

Face à ce tableau qui frise carrément la compromission, Kinshasa a préféré explorer d’autres pistes. C’est ce qui explique, commente-t-on dans les milieux politiques de Kinshasa, le dernier déplacement à Brazzaville d’une forte délégation congolaise mandatée par le président Joseph Kabila auprès de son homologue du Congo-Brazzaville, Denis Sassou Nguesso.

Conduite par le président de l’Assemblée nationale, Aubin Minaku, accompagné du secrétaire général du parti présidentiel, le PPRD, le professeur Evariste Boshab, la délégation de Kinshasa est allée solliciter la médiation du président Denis Sassou Nguesso dans la crise qui sévit dans l’Est de la RDC. La démarche n’est pas passée inaperçue dans les milieux des spécialistes de la région des Grands Lacs. Dans la mesure où le président ougandais, Yoweri Museveni, avait reçu mandat auprès de ses pairs de la CIRGL, pour faire la médiation dans la crise de l’Est de la RDC.

Bien avant que Kinshasa ne tende la main à Brazzaville, la Communauté internationale de l’Afrique australe (SADC) a exprimé en octobre dernier son intention de participer à l’opérationnalisation de la Force internationale neutre à déployer dans l’Est de la RDC. Les pays de la SADC se disent prêts à faire partie de la force neutre internationale à déployer dans la partie Est de la République démocratique du Congo et dont le but est de neutraliser tous les groupes armés qui y pullulent.

Après la SADC, le Marché commun de l’Afrique de l’Est et australe (COMESA) a exprimé le même désir. Une délégation du COMESA conduite par l’ancien président des Seychelles, James Mancham, a séjourne à Kinshasa en vue de prendre contact avec les autorités congolaises au sujet de la situation sécuritaire dans l’Est de notre pays. Se confiant à la presse au sortir d’un entretien avec le vice-ministre congolais de la Coopération internationale et régionale, la délégation du COMESA a révélé que sa mission en RDC visait à apprendre d’une part, des éléments d’informations sur la crise persistante entre la RD Congo et le Rwanda, et, d’autre part, les différentes démarches entreprises et les initiatives engagées par la RDC afin d’aboutir à la stabilité de cette région pleine de potentialités. Le COMESA s’est dit également disposé à accompagner la RDC dans les efforts de sécurisation de sa partie Est.

Come back vers le Sud

L’histoire serait-elle en train de se répéter? C’est le moins que l’on puisse dire. Lors de l’invasion de Goma en 1998 par les troupes rebelles du RCD, Kinshasa s’était tourné vers les pays de l’Afrique australe, notamment la Namibie, le Zimbabwe et l’Angola qui ont pu finalement freiner la progression des troupes rebelles en les mettant en déroute dans leur opération commando menée à partir de la base de Kitona dans le Bas-Congo.

A Kinshasa, l’on hésite encore à afficher clairement ses couleurs, alors que dans les coulisses, tous reconnaissent l’impuissance de la CIRGL à apporter une solution durable dans la crise de l’Est de la RDC. Le Rwanda qui en est membre retarde toute évolution dans le déploiement de la Force internationale neutre, préférant se limiter à la mise en œuvre du mécanisme conjoint de vérification prévu dans le pacte qui lie les pays de la CIRGL. Pour sa part, l’Ouganda, qui joue entre-temps un double jeu, continue à appuyer dans l’ombre les rebelles du M23.

Comment peut-on, dans ce jeu de cache-cache, réussir à faire progresser la situation sur le terrain ? Kinshasa n’est pas dupe, pour avoir été roulé dans la farine plusieurs fois. Mais il préfère jouer à la prudence. Il ne voudrait pas gêner la communauté internationale, encore moins ses partenaires de la CIRGL. Raison pour laquelle il continue à participer à toutes les initiatives.

C’est ce qui justifie la récente sorite publique du ministre des Affaires étrangères Raymond Tshibanda . Il a déclaré mardi à Kinshasa, avoir la conviction que la Force internationale neutre sera opérationnelle « dans les prochaines semaines ». Selon lui, les ministres de la Défense des Grands Lacs auraient adopté le plan d’opérationnalisation de cette force il y a une dizaine de jours à Goma.

Or, l’énigme reste entière autour de la composition et, surtout, du financement de la Force internationale neutre même si Raymond Tshibanda soutient dans sa déclaration que celle-ci devrait être constituée de quatre mille hommes et que la Tanzanie serait le seul pays s’étant déclaré pour fournir des troupes.

Comme on peut le constater, Kinshasa n’a pas le courage de dire tout haut qu’il a tourné le dos à la CIRGL. Il garde un pied dedans et un autre dehors. Quoique cela relève en apparence de sa souveraineté, il devrait apprendre à anticiper et éviter de subir les événements.


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