vendredi 21 septembre 2012

Témoignage de BRASSINNE JACQUES sur l'assassinat de LUMUMBA

lumumba

BRASSINNE JACQUES

Présentation du témoin

1. Présentation du témoin Au moment de l’assassinat de Lumumba, Jacques Brassinne était secrétaire du Bureau-cConseil au Katanga. Le témoin peut apporter des informations sur le bureauconseil, sur le professeur Clemens et sur Tshombe. Questions les plus importantes : 1. En ce qui concerne le fonctionnement du bureauconseil : avec quelles instances belges le témoin était-il en communication régulière ? 2. Quel était le rôle et l’action du recteur de l’Université de Liège, Dubuisson, dans le cadre de la sécession katangaise ? 3. Le témoin s’est rendu avec Grosjean à Bakwanga au début décembre 1960. A-t-il rencontré Kalonji ? Joseph Ngalula ? Quel était l’état d’esprit de Kalonji envers Lumumba ? A-t-il été question avec Kalonji d’un transfert de Lumumba ? 4. Vandewalle, lorsqu’il était à Elisabethville, participait-il aux réunions quotidiennes du bureau-conseil ? Pourquoi ? 5. Le 17 janvier vers 19 heures se tient une réunion d’urgence chez Clemens. Participent à la réunion : Clemens, Vandewalle, Weber, Smal, Grosjean et Brassinne. Quel était le but de cette réunion ? Quelles furent les décisions prises lors de cette réunion ? Y a-t-il eu des décisions prises ? S’il n’y en pas eu, pourquoi s’être réunis ?6. Lors de cette réunion, selon le témoin, Weber aurait dit : « on le voulait, on l’a eu…et maintenant on est bien emmerdé ! ». Que voulait-il dire par là ? 7. Il est clair que Clemens est au courrant de la mort de Lumumba dès le 18 janvier. Que fait-il de cette information ? Et quand apprend le témoin la mort de Lumumba ? Lors de la réunion du bureau-conseil de ce jour ? 8. Selon Brassinne, que s’est-il passé le soir du 17 janvier ? Comment s’est opéré le processus de décision qui a conduit Lumumba à la mort ? Quel fut le rôle de Tshombe ?

Témoignage

2.1. Jacques Brassinne a été entendu par la commission, en tant que témoin, le 13 juillet 2001. Il a été entendu en tant qu’auteur le 17 septembre 2001. 2.2. Brassinne souligne que le Bureau-Conseil du Katanga a été créé pour remplacer la mission technique belge, qui avait acquis une connotation politique trop nette. Au cours des mois d’août et septembre 1960, il s’est avéré, sur le plan diplomatique, que le gouvernement belge ne reconnaîtrait pas le Katanga. Tout le monde soutenait la création du Bureau-Conseil. Celui-ci n’avait pas autant d’influence que la mission technique mais il était efficace dans la gestion des matières, fussent-elles limitées, qui lui avait été attribuées. L’influence de Clemens était cependant très importante. Le bureau devait assurer le suivi des questions politiques (et diplomatiques), économiques et sociales qui relevaient de la politique katangaise. Clemens avait régulièrement des contacts avec les autorités militaires avec lesquelles il était en bonnes relations. Au moment des faits, les militaires étaient encore présents au Congo. Les conseillers belges ont quitté le pays à la demande des Nations unies. Au sein du Bureau, Clemens était également chargé des contacts avec le président et le responsable du gouvernement en matière de défense. La fonction de ministre de la défense était en effet exercée simultanément par Tshombe et Munongo. Le numéro deux dans la hiérarchie du Bureau-Conseil était Massart qui, comme Clemens, était lié à l’Institut de sociologie de Liège, qui avait une section au Katanga. Le juge de Limbourg s’occupait du ministère de l’Intérieur et de la Justice. Brassinne, quant à lui, avait les Affaires étrangères, le Commerce extérieur, la gestion du personnel local (katangais) et l’Assistance technique. Grosjean s’occupait des Affaires économiques et entretenait des contacts avec les ministères des Finances,des Affaires économiques et de l’Agriculture. Dethier avait en charge les Affaires sociales, et Evrard, le ministère de l’Emploi. Le bureau tenait tous les jours à 8 heures 45, dans le bureau de Clemens, une réunion lors de laquelle les tâches journalières étaient réparties. Les contacts avec Bruxelles ne transitaient pas toujours par le consulat, celui-ci ne jouissant pas d’une pleine confiance. Clemens avait toutefois un accès direct au télex, tant pour les messages sortants que pour les messages rentrants. 2.3. Le témoin souligne que Clemens avait régulièrement des contacts, pour la plupart personnels, avec le major Weber, ce qui garantissait de bons contacts, discrets de surcroît, entre le Bureau-Conseil et les autorités militaires. 2.4. La présence de l’Université de Liège au Katanga était notoire. Dubuisson, le recteur, était un homme doté d’une forte personnalité et dont l’influence sur la politique belge était loin d’être négligeable. Il était favorable à Tshombe. Il a suivi de près la situation au Katanga avant son indépendance et, selon le témoin, il a également joué de son influence après l’indépendance, notamment pour la nomination de Frenkeil, également lié à l’Université de Liège, au poste de recteur de l’université d’Élisabethville. 2.5. Brassinne s’est rendu au Sud-Kasaï avec Grosjean. Au cours des réunions qui ont eu lieu sur place, il n’a pas été question de Lumumba ni de son transfert. Le témoin a déclaré que, si un éventuel transfert de Lumumba à Bakwanga avait été abordé avec Albert Kalonji, celui-ci aurait accepté. En février, il avait déjà condamné et exécuté six personnes transférées de Léopoldville. Kalonji a raconté cela en détail au témoin, bien que celuici n’eût rien demandé à ce sujet et voulût uniquement s’enquérir de la situation sur place. 2.6. Même s’il ne participait pas aux réunions du Bureau-Conseil, le colonel Vandewalle était « omniprésent ».Au cours de la réunion tenue dans la matinée du 16 janvier, il n’a pas été question de l’arrivée éventuelle de Lumumba au Katanga. Les membres du Bureau-Conseil n’avaient pas connaissance du télex relatif à l’arrivée de Lumumba. Et s’ils en avaient été informés, ils s’y seraient de toute façon opposés. À la demande des Affaires étrangères, Clemens n’était pas autorisé à avoir accès au télex, même si, dans la pratique, cela ne changeait pas grand-chose. 2.7. En réponse à la question relative à une réunion d’urgence du Bureau-Conseil qui aurait été convoquée pour discuter de l’arrivée de Lumumba, le témoin a précisé que, le 17 janvier, les membres du Bureau-Conseil,ingefidèles à leurs habitudes, se sont réunis aux environs de six heures. Clemens, qui était présent, n’était au courant de rien. Il savait uniquement qu’il se passait quelque chose. À son arrivée, le colonel Vandewalle a dit qu’il avait vu Lumumba débarquer de l’avion et partir escorté par la gendarmerie et la police. Le témoin a déclaré qu’au cours de la réunion convoquée par Perrad, on a constaté que personne, ni les Belges ni les Katangais, n’était au courant de l’arrivée de Lumumba. Tout le monde était cependant impressionné et on avait le pressentiment que « les choses allaient mal finir ». A posteriori, le témoin estime que la seule erreur a été de ne pas savoir que les choses allaient évoluer si rapidement. Personne ne se doutait que Lumumba serait déjà exécuté cette nuit-là. C’est dès lors dans ce contexte qu’il convient de situer la décision de ne rien entreprendre le soir même. Comme cela faisait plusieurs mois déjà que les Européens ne participaient plus aux conseils des ministres au Katanga, ils ignoraient que le temps pressait à ce point. Ils estimaient en outre qu’il s’agissait d’une question congolaise interne qui ne les regardait pas. 2.8. Le témoin estime que le colonel Vandewalle était une personne influente. Il était le « chef occulte » de la police katangaise. Il était au courant de ce qui se passait. Le témoin affirme cependant formellement que le colonel Vandewalle ne savait rien de l’arrivée de Lumumba au Katanga. 2.9. En ce qui concerne les déclarations du major Weber (« on le voulait, on l’a eu et maintenant on est bien emmerdé »), le témoin déclare que les événements se sont déroulés au-dessus de la tête des Européens. Lumumba était important pour le Katanga. Parce qu’il provoquait des problèmes à Léopoldville, la situation était calme au Katanga. 2.10. Selon Brassinne, Bartelous l’a informé du décès de Lumumba le 18 janvier, à 10 heures. Le Bureau-conseil a décidé de ne pas en informer Bruxelles, car cette tâche ne lui incombait pas. En effet, le Bureau-conseil dépendait du gouvernement katangais. Clemens a déclaré à ce propos : « c’est une catastrophe, mais ce n’est pas notre problème ». Selon le témoin, c’est Vanden Bloock, conseiller diplomatique et politique et seul diplomate présent au Katanga, qui a mis Wigny et d’Aspremont au courant des faits. 2.11. Selon le témoin, si d’Aspremont ne s’est pas formalisé du fait qu’il n’avait pas été informé officiellement des événements, c’est parce qu’il comprenait que le Bureau-conseil voulait le protéger, lui et la Belgique, et voulait offrir la possibilité de prendre les dispositions nécessaires. Le témoin pense qu’il est possible qued’Aspremont ait été informé de manière informelle par Clemens lors de la visite de ce dernier à Bruxelles. Cela ne signifie pas pour autant que d’Aspremont ait également informé Wigny, étant donné les relations tendues entre les deux hommes. 2.12. Selon le témoin, les télex en provenance de Bruxelles concernant Lumumba ont été lus avec beaucoup d’intérêt. Leur contenu a cependant été mis en doute, parce qu’il était difficile de croire qu’au moment où ils ont été envoyés, Bruxelles ne fût pas encore au courant du sort qui avait été réservé à Lumumba. Le témoin confirme avoir pris part à l’office qui a été célébré le 18 janvier à la mémoire des militaires katangais et belges tombés pour la défense du Katanga. 2.13. Selon Brassinne, le Bureau-conseil n’a pas eu connaissance du télex du 16 janvier et, le 17 janvier, il était déjà trop tard. Les membres du bureau ne connaissaient donc pas le point de vue de Tshombe et ignoraient également que ce dernier avait changé d’avis. 2.14. Le témoin pensait que cela finirait mal, et pour le Katanga, et pour Lumumba. C’était en revanche une bonne chose pour la Belgique, parce que les problèmes étaient résolus sans qu’elle ait eu à se salir les mains. Il demeurait en tout cas acquis que la Belgique ne reconnaîtrait jamais le Katanga et que sa préférence allait à Léopoldville. Cette position s’est encore renforcée lorsque Spaak est devenu ministre des Affaires étrangères. 2.15. Selon le témoin, si d’Aspremont a tenté de convaincre Tshombe d’accepter Lumumba, c’est parce qu’il fallait en tout cas éviter que ce dernier soit dirigé vers Stanleyville ou Bakwanga. Il devait quitter Thysville le plus rapidement possible. Il fallait donc qu’il soit transféré au Katanga, où il pourrait être détenu à la prison de Jadotville. Si les conseillers sur place désapprouvaient ce raisonnement, ils pouvaient néanmoins comprendre la décision parce que c’était celle qui avait le moins de conséquences pour la Belgique sur le plan international. 2.16. Le témoin répète qu’il ne leur appartenait pas d’informer Bruxelles sur ce qui s’était passé. C’était tout compte fait le problème du consulat. On pourrait aussi se demander si le Bureau-Conseil aurait dû le faire. Le témoin ne peut dire quand Wigny a été informé de la mort de Lumumba. Il a cependant l’impression que Bruxelles avait été informé de ce qui était arrivé plus tôt que ce que l’on veut bien admettre. 2.17. Bartelous a informé le témoin de l’assassinat de Lumumba, mais sans préciser la manière dont les choses s’étaient passées. Il précise cependant que Tshombe n’en était pas fier. Il se peut aussi que Bruxelles ait étéinformé par les pilotes de la Sabena. C’était en effet un mode de communication normal entre Bruxelles et le Bureau-Conseil. 2.18. C’est Dubuisson qui était le trait d’union entre l’Union Minière et le Bureau-Conseil. Les contacts étaient bons. Le Bureau n’avait pas d’intérêts dans l’Union-minière; ils étaient des alliés objectifs. Le Bureau était acquis à la cause katangaise pour des raisons de politique internationale, tandis que l’Union Minière l’était pour des raisons financières. Le témoin dit ne pas être au courant d’un éventuel financement du Bureau-Conseil par l’Unionminière. 2.19. Les contacts réguliers qu’entretenaient le Katanga et la Rhodésie avaient un intérêt stratégique et visaient essentiellement à éviter que des troupes venant de Rhodésie n’envahissent le Katanga. Il y avait en effet un risque que, dans ce cas, elles ne quittaient pas facilement le pays. Il y a en effet aussi des Lundas en Rhodésie, comme au Katanga et en Angola. Ils sont cinq millions et ont une grande influence.

Données biographiques

Né le 7 septembre 1929. Formation :— Docteur en sciences politiques.— Licencié en sciences politiques.— Licencié en sciences politiques et administratives.— Licencié en sciences coloniales.— Diplômé de la Harvard Business School.— Officier de réserve dans les troupes blindées. Divers : Chargé de mission au ministère des Affaires africaines de juillet 1960 à janvier 1961. Mission diplomatique à Léopoldville en tant qu’adjoint du chef de la section « Assistance Administrative » du 28 juin au 18 août 1960. Mission diplomatique à Léopoldville le 9 juillet 1960 en tant qu’assistant de Carbonelle (chef de la section assistance technique) et de Van Hée (chef de la section assistance administrative). Recruté le 18 août 1960 à Mistebel à la demande du comte d’Aspremont Lynden, directeur de Mistebel. Dès le 27 septembre 1960 et durant trois mois, chargé de mission pour le ministère des Affaires africaines à Élisabethville. Mission d’assistance technique à Élisabethville du 18 août 1960 au 29 janvier 1961.De septembre 1961 à janvier 1962 :— membre du « Bureau-Conseil de l’État du Katanga»;— chargé de mission du ministère de l’Enseignement du Katanga pour la création et l’organisation d’une école d’administration;— adjoint (volontaire) auprès du consulat belge à Élisabethville durant les événements qui se sont déroulés à Élisabethville en décembre 1961. De septembre 1964 à novembre 1965 : chargé de mission pour le ministère des Affaires étrangères au Congo :— conseiller au cabinet du premier ministre Tshombe;— adjoint du chef de mission pour la coordination de l’« Assistance technique ».Chef de cabinet du ministre de la Défense de Donnéa de juillet 1983 à avril 1988.

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