vendredi 21 septembre 2012

Témoignage de VERHAEGEN BENOIT sur l'assassinat de LUMUMBA

lumumba

VERHAEGEN BENOIT

Présentation du témoin

1. Présentation du témoin Au moment de l’assassinat de Lumumba, Benoît Verhaegen était professeur à l’université de Lovanium. Benoît Verhaegen était arrivé au Congo en 1958, comme enseignant à l’Université Lovanium de Léopoldville. S’il est resté, c’est à suite à la demande de Lumumba de devenir chef de cabinet adjoint du ministre Kabangi et du secrétaire d’Etat Nguvulu. Le témoin pourrait fournir des informations sur les éléments suivants : Dans une note sur les fonds secrets du 12 septembre 1960 destinée au ministre d’Aspremont, Jean Durieux parle du financement de « deux réseaux qui recouvrent eux-mêmes un certain nombre de lignes d’action souterraine et qui ont établi entre eux, à notre intervention, une coordination ». Il cite Jean Brück et Benoît Verhaegen comme personnes de contact. 1. Le consul général Dupret (Brazzaville) fait état, dans un télex adressé aux Affaires étrangères à Bruxelles, d’un entretien qu’il a eu avec Verhaegen le 2 septembre 1960. Il le présente expressément comme celui « qui coordonne l’action de l’opposition ». Le reste du télex fait en tout cas apparaître que Verhaegen était très bien informé sur l’action visant à renverser le gouvernement Lumumba qui se préparait. 2. Après la destitution de Lumumba, Verhaegen est déçu par l’inertie de Kasa Vubu et d’Ileo. Dupret fait savoir à Bruxelles que Verhaegen pourrait être en danger si Lumumba venait à prendre le dessus : « Verhaegen et camarades très découragés devant passivité leaders congolais, même Ileo, qui doit être encouragé à tout moment. Si Kasa Vubu ne l’emporte pas, Verhaegen et amis courront graves dangers à Léopoldville. ». Il y a visiblement un lien avec le rôle joué par le témoin dans l’opposition.3. Le 5 octobre 1960, Bruxelles organise une livraison d’armes à Brazzaville via Marlière (40 mitraillettes et 40 grenades). Brück et Verhaegen sont « à l’origine » de cette livraison. A quelles fins devaient servir ces armes ? 4. Qui Verhaegen a-t-il rencontré à Bruxelles le 8 août 1960 ? 5. Fin septembre 1960, il rencontre à Bruxelles le ministre d’Aspremont. De quoi a-t-il été question ? Du soutien financier aux commissaires ? De la livraison d’armes susmentionnée ? 6. Verhaegen est-il l’auteur des notes Dupret 593 et 606, des 1er et 4 octobre sur la situation à Léopoldville ?

Témoignage

2.1. Benoît Verhaegen a été entendu par la commission le 24 septembre 2001. 2.2. A la fin du mois de juillet 1960, il a accompagné son ministre en une mission composée en grande partie de personnes travaillant pour les Nations unies afin de déterminer, pour chaque province (excepté le Katanga), les besoins en techniciens. Verhaegen s’est ensuite rendu en Belgique pour présenter des projets de coopération. Etant donné que, vu la rupture des relations diplomatiques entre le Congo et la Belgique, aucune assistance officielle n’était possible, la décision fut prise de créer un centre indépendant, le « Centre international de coopération », géré par le professeur Chaumont et Daniel Gillet. Ce centre a commencé à fonctionner le 10 août. Entre le mois de septembre et le mois de décembre, 256 coopérants ont été recrutés. Les « fonds secrets »dont Verhaegen aurait été, selon des documents trouvés par la commission d’enquête, le destinataire, ont donc servi à financer l’envoi et le travail de ces coopérants au Congo. Le fait qu’il ait pu être qualifié, dans un rapport écrit par Durieux, chef de cabinet du Ministre Scheyven, de « contact » pour « un réseau recouvrant un certain nombre d’actions souterraines » s’expliquerait également par l’absence, à ce moment, de relations diplomatiques entre la Belgique et le Congo (ni le gouvernement de Lumumba, ni la Belgique ne pouvaient officiellement reconnaître l’aide octroyée par la Belgique via le centre international de coopération).Les 7 millions attribués à Verhaegen, selon une note envoyée par Durieux à d’Aspremont, ont donc servi à financer le traitement et les frais d’hôtel des coopérants. Concrètement, Verhaegen ne remettait pas lui-même l’argent aux coopérants, même s’il a « vu l’argent circuler».Le témoin aurait par ailleurs avancé 825 000 francs à Ndele, pour faire fonctionner les cabinets ministériels, et 5 millions ont été déposés à Brazzaville, sur un compte ouvert au nom d’une tante de Verhaegen. Le contact avec Brazzaville passait par Jean Brück. 90 000 francs auraient enfin été avancés sur fonds propres. 2.3. Le retrait des coopérants, dont le Congo avait besoin, aurait été provoqué par le fait que « Lumumba ne voulait plus entendre parler d’un Belge ». Lumumba ne voulait donc « plus de Belges à l’intérieur du pays, même pas à Léopoldville », et ce principalement parce qu’il les suspectait de sécessionnisme, pas seulement pour le Katanga, mais aussi pour le Sud-Kasaï, le bas Congo et le Kivu. Le témoin avait, à l’époque, des contacts avec la Sûreté de l’Etat, via Lahaye. Les rapports qu’il a entretenus avec Lahaye au moment de l’indépendance et des mutineries étaient cependant uniquement destinés à aider des personnes en difficulté à sortir du Congo et à les rapatrier en Belgique. La personne citée dans un rapport retrouvé par la commission d’enquête à la Sûreté, décrite comme ressemblant à Verhaegen, et qui aurait enquêté sur les possibilités de déclencher un mouvement fédéraliste n’aurait donc rien à voir avec lui. Le fait que la Sûreté le qualifie par ailleurs d’« anti-lumumbiste de toujours» serait une grossière erreur, vu le jugement positif que Verhaegen avait de l’action de Lumumba en tant que Premier ministre et les « relations amicales » qu’entretenaient les deux hommes. 2.4. Le télex du 2 septembre 1960, du consul général Dupret à Brazzaville adressé au Ministère des Affaires étrangères à Bruxelles, qui présente Verhaegen comme« celui qui coordonne l’action de l’opposition » et qui affirme qu’il était bien informé de l’action visant à renverser le gouvernement Lumumba qui se préparait à ce moment là, serait quant à lui une « affabulation typique des milieux diplomatiques ».2.5. Selon le témoin, ce ne seraient pas les Belges qui seraient impliqués dans la révocation du 5 septembre, mais sans doute les Français (« les Belges ne sont pas impliqués dans cette histoire, même pas M. Denis. Ce sont les Français qui ont envoyé trois personnes de la rue auprès de Kasa Vubu » (…) « Je ne sais pas quel jeuuniversijouait Bruxelles. Mais je suis certain que les Français étaient là : Me Croques, Dehannut et un troisième larron»).Lorsque Lumumba a commencé à se créer des ennemis« dans toutes les couches de la société », ce seraient donc les Français qui auraient agi, ou, à tout le moins « donné un coup de pouce » à la révocation du premier ministre. 2.6. Les informations contenues dans le télex envoyé par Davignon et se rapportant au concours possible qu’aurait pu apporter Verhaegen à des actions de déstabilisation du Gouvernement congolais, seraient des « racontars».Le témoin note aussi que la préoccupation principale de Davignon aurait été à l’époque de « préserver le Katanga», et ce en provoquant éventuellement « la pagaille à Léopoldville ».2.7. S’exprimant sur la livraison de 40 mitraillettes et 40 grenades à Brazzaville, dont un télex daté du 1er octobre dit qu’il serait (avec Brück) à l’origine, le témoin considère peu imaginable qu’on puisse envoyer des mitraillettes à Léopoldville, les moyens d’assassiner quelqu’un existant déjà sur le terrain (« on prenait du poison ou on tuait au couteau »).2.8. Le but du passage de Verhaegen, fin septembre 1960, à Bruxelles était de faire rapport à Durieux des projets de coopération. A l’occasion de ce voyage, une rencontre « de trois minutes » avec le ministre d’Aspremont a eu lieu. Les sujets qui, selon un télex de d’Aspremont à Rothschild, auraient été discutés lors de cette entrevue (position du Collège des commissaires et sécession du Katanga) n’ont, selon Verhaegen, jamais été abordés. Ces allégations seraient compréhensibles, puisque d’Aspremont était « catholique engagé », alors que le témoin « avait la réputation inverse ». Le contenu du télex aurait donc constitué un procédé parfait pour « démolir »Verhaegen, puisque nombre de choses qui y sont mentionnées étaient « indéfendables », comme l’allusion à une possible « confédération » au Congo. 2.9. Concernant l’attitude des milieux catholiques en général et de l’Université de Lovanium en particulier, Verhaegen estime que ceux-ci étaient opposés à M. Lumumba bien avant le 30 juin. La rupture entre « le monde catholique » et Lumumba daterait de 1955-1956, époque à laquelle il s’est « rallié à Buisseret, peut-être pour des raisons de carrière, mais aussi pour des raisons de conviction ». Lumumba aurait décidé de nationaliser l’Université de Lovanium parce qu’il savait que« les milieux catholiques » lui étaient opposés et qu’il a donc pu croire aux « opérations d’affabulation » destinées à « encore exciter le premier ministre » contre ces milieux et à le convaincre qu’il existait un « complot des professeurs » contre lui. 2.10. Sur l’interprétation des événements de janvier 1961, Verhaegen considère que personne ne doutait à l’époque que les Katangais, sécessionnistes, aient tué Lumumba. Le rôle des Belges n’est apparu que plus tard. Verhaegen l’a quant à lui appris « en lisant Brassinne et également après dans les documents qui ont circulé depuis deux ans ».Il considère cependant que Brassinne « a caché quelque chose », en ne donnant les noms que des « responsables subalternes mais pas des responsables plus élevés et surtout pas des Belges ». Pour Verhaegen, il est« impensable que des responsables belges, mais y compris les politiciens à Bruxelles et à Washington » n’aient pu connaître « dans les heures qui suivent, ce qui s’était exactement passé ». Il ne serait donc « pas pensable que cette chose spectaculaire et terrible se soit passée sans filtrer », ne serait-ce que parce que la secrétaire de Tshombe était belge. 2.11 Interrogé sur l’identité de l’auteur de certaines notes d’octobre 1960 sur la situation à Léopoldville, envoyées via le télex de Dupret, Verhaegen reconnaît que certaines d’entre elles sont de sa main. Dupret envoyait d’ailleurs non seulement ce que Verhaegen lui demandait, mais aussi son courrier personnel, qu’il ouvrait et qu’il aurait donc « peut-être photocopié ».

Données biographiques

Formation : licence en droit à l’Université catholique de Louvain. Doctorat en Économie. En Afrique : 1958 : part pour le Congo en tant que professeur de sciences politiques Agent de liaison pour le CRISP au Congo Chef de cabinet d’Aloïs Kabangi, ministre de la Coordination économique et du Plan (gouvernement Lumumba, juillet-septembre 1960) Se lance dans les travaux de publication du CRISP, avec « Congo 1960 », « Congo 1961 », « Abakao 1950-1960 », « Congo 1962 », « Congo 1963 » et surtout « Rébellions au Congo » (2 volumes) et de nombreuses autres publications. Enseigne à l’université de Kisangani dès 1972. A développé la méthode de l’histoire immédiate et crée le centre d’étude CRIDE. Quitte le Zaïre en septembre 1987 Divers : se livre toujours à des travaux de recherche et à des publications dont, entre autres, un projet à long terme sur la biographie de Lumumba et l’histoire du MNC/ L.

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