vendredi 21 septembre 2012

KIBWE: Témoignage de l'assassinat de LUMUMBA

 

2.1. Déroulement des événements Le jour de l’arrivée de Lumumba à Élisabethville, Kibwe se trouvait, par hasard, sur la route de l’aéroport. Il assistait, avec le ministre des Travaux publics, aux tests effectués avec des jeeps de fabrication autrichienne qu’un industriel voulait vendre à l’armée katangaise.A ce moment-là, le ministre de l’Intérieur, Godefroid Munongo, qui se rendait à l’aéroport, a indiqué à Kibwe qu’il allait prendre livraison de « trois paquets ». Munongo lui a dit qu’il s’agissait de Lumumba, d’Okito et de Mpolo, et que les deux chefs d’État, Kasa Vubu et Tshombe, s’étaient entretenus de leur transfert. Ensuite, Kibwe a suivi Munongo, et c’est ainsi qu’il a assisté au débarquement des trois prisonniers. Aux dires de Kibwe, l’avion qui transportait les prisonniers a atterri entre 11h30 et 13 heures. Les prisonniers ont ensuite été conduits à la maison Brouwez, à 3 ou 4 kilomètres de l’aéroport. Kibwe a vu les prisonniers à la maison Brouwez, et il s’est ensuite rendu à son bureau. Le ministre de l’Intérieur, Munongo, est resté sur place. Kibwe a appris plus tard dans la journée (à 15 heures) qu’il était attendu à 20 heures à la présidence. Il s’agissait d’un conseil des ministres restreint. Outre Kibwe, y ont également assisté : Paul Moanna, Evarist Kimba, Gabriel Kitenge et Godefroid Munongo. A ce moment-là, les trois prisonniers se trouvaient toujours à la maison Brouwez. On ne voulait pas les amener à la présidence parce qu’il aurait fallu traverser toute la ville avec eux. On ne voulait pas attirer l’attention des troupes de l’ONU. Lorsqu’il est arrivé à la présidence, un convoi de plusieurs jeeps s’y trouvait. Entre 20h30 heures et 20h45, ce convoi s’est rendu à l’endroit où l’exécution devait avoir lieu, à plus ou moins soixante kilomètres de la ville. L’endroit avait, manifestement, été préparé à l’avance : une fosse avait déjà été creusée. Les prisonniers ont été placés devant cette fosse. Un policier désigné à cette fin les a abattus un par un, et ils sont ensuite tombés dans la fosse. Kibwe a assisté à ces événements. La version selon laquelle les prisonniers auraient déjà été abattus à la maison Brouwez a été inventée de toutes pièces. Kibwe ignore si les prisonniers ont été maltraités à la maison Brouwez. Ils pouvaient, en tout cas, toujours marcher sans aide. Hormis Kibwe, ont également assisté à l’exécution : Tshombe, Munongo, Kimba, Kitenge et Moanna. Vers 22 heures-22heures 30, l’exécution était terminée.

2.2. La décision d’exécuter Kibwe ignore également comment et par qui a été prise la décision concernant le sort des prisonniers. Il pense qu’elle a été prise à Kinshasa : celui qui prend la décision est celui qui a constaté une faute dans le chef de la personne qui doit être jugée. C’est à Kinshasa qu’étaient établis tous les tribunaux pouvant juger les trois prisonniers. Ils n’ont toutefois jamais été condamnés par untribunal; ils n’ont même jamais comparu devant un tribunal, ce qui aurait été la procédure normale. Les prisonniers ont été conduits par trois commissaires de Léopoldville, qui n’ont toutefois pas accompagné le convoi vers le lieu de l’exécution. Ils sont restés à la présidence. Selon Kibwe, c’est le président Tshombe luimême qui leur a annoncé qu’il serait procédé à l’exécution. Les seuls Belges accompagnant le convoi étaient le commissaire Verscheure, qui dirigeait les policiers, et Gat de la gendarmerie katangaise. Kibwe se demande également encore comment est née exactement la décision d’exécuter les prisonniers. D’après lui, l’origine de la décision réside dans un entretien téléphonique entre les deux présidents. Ils étaient les seuls à pouvoir faire la clarté sur les événements. Ils ne savaient probablement pas eux-mêmes quoi faire des prisonniers après avoir décidé de les arrêter. S’ils avaient fait arrêter quelqu’un pour certains actes ou faits, ils auraient dû, pour rester logiques avec eux-mêmes, citer cette personne devant le tribunal. Loin d’avoir agi ainsi avec les prisonniers, ils les ont envoyés au Katanga. À ce moment, ils ont compris qu’ils avaient pris une grande responsabilité en ayant peut-être arrêté quelqu’un sans raison. Ils ne pouvaient pas non plus les citer à comparaître puisqu’ils n’avaient pas d’arguments à faire valoir. Un membre de la commission estime étonnant que les deux présidents, Kasa Vubu et Tshombe, qui étaient en fait des ennemis politiques, se soient entendus sur le sort de Lumumba. Tshombe aurait-il purement et simplement acquiescé à la demande de Kasa Vubu concernant le transfert de Lumumba à Élisabethville ? N’était-il pas question de diplomatie secrète sous l’une ou l’autre forme ? Selon Kibwe, il était effectivement question de diplomatie secrète. Il ne comprend pas l’attitude de Tshombe, qui a accepté de parler à Kasa Vubu. Il est possible et même probable qu’il ait reçu une promesse en échange, par exemple, une garantie quant à l’indépendance du Katanga. Il a probablement été aveuglé par cette promesse, qui n’a jamais été tenue. Tant Kasa Vubu que Tshombe subissaient du reste l’influence d’autres forces, invisibles. On ne peut perdre de vue que la lutte entre le capitalisme et le communisme faisait rage à cette époque. Il était inconcevable que des capitalistes eussent assisté sans bouger aux tentatives de rapprochement de Lumumba avec le socialisme et le communisme. Qui plus est, de nombreux congolais étaient hostiles à Lumumba, parce que ce dernier avait l’ambition de devenir président et représentait dès lors une menace pour nombre de congolais qui occupaient une position de force.Tshombe, agissant seul, a apparemment accepté le transfert, sans qu’il s’agisse véritablement d’une décision du gouvernement (aucun ministre n’a pris une quelconque responsabilité en la matière). Il est d’autant plus surprenant que Tshombe ait finalement accepté le transfert des prisonniers qu’il s’y était toujours opposé. Un membre de la commission a estimé qu’il était impensable qu’après les événements, Kibwe n’ait jamais essayé avec Tshombe, de savoir comment les choses s’étaient exactement déroulées, notamment pour connaître l’identité du véritable commanditaire. Selon Kibwe, la décision a été prise au niveau de la présidence, sous l’influence de capitalistes et de Congolais. C’est notamment cette influence qui explique le changement d’attitude de Tshombe. Il est incompréhensible que ce dernier ait accepté le transfert sans demander de contrepartie. La question reste sans réponse. La raison pour laquelle ceux qui ont fait arrêter Lumumba n’ont jamais utilisé les moyens légaux et démocratiques pour le faire juger demeure également un mystère. Avaient-ils des craintes ? On avait arrêté un homme à l’encontre duquel on ne pouvait pas porter d’accusations précises.

2.3. Après l’exécution Après l’exécution, les ministres sont retournés à la présidence et se sont ensuite séparés. Le soir et la nuit mêmes du 17 janvier 1961, ils n’ont plus parlé des faits. Le lendemain, tous ont été convoqués à la présidence pour discuter de la manière de gérer l’affaire. Kibwe pense que la présidence a lancé l’idée de maquiller l’opération. À ce moment, il a été suggéré de répandre l’information selon laquelle Lumumba s’était évadé de la prison et avait, dans sa fuite, été intercepté et tué par des indigènes. Le président de la commission d’enquête pense que la présence de Kibwe et d’une partie du gouvernement katangais a conféré une apparence de légalité à l’exécution sommaire, qui n’était fondée ni sur une décision de justice ni sur une décision du gouvernement. La question est dès lors de savoir pourquoi Kibwe était présent à l’exécution. Visiblement, aucun ministre n’a refusé d’assister à l’exécution ou émis une quelconque protestation. Selon Kibwe, il s’agissait d’une demande émanant du président Tshombe, à laquelle il était difficile de ne pas accéder. Les circonstances ne le permettaient pas. Les personnes qui étaient impliquées dans cette affaire connaissaient bien les convictions des différents ministres. Elles ont veillé à ce que ni Kibwe ni Munongo ne soient informés préalablement, parce qu’il s’agissait d’hommes forts au sein du gouvernement.Si Tshombe avait été contacté en vue d’un transfert, il aurait dû exposer le problème au conseil des ministres, ce qui aurait sans doute débouché sur une autre issue. Le conseil ne s’est jamais prononcé sur cette question. Au moment de l’atterrissage de l’appareil, le 17 janvier, tout avait déjà été organisé (transport, convoi, lieu de l’exécution, etc.). Tshombe n’a pas indiqué le moindre motif pour lequel les prisonniers devaient être exécutés. Pour plusieurs membres de la commission, il est particulièrement étonnant que Tshombe n’ait même pas invoqué le plus petit motif pour justifier l’exécution et qu’il n’y ait visiblement pas eu de communication à ce propos avec les autres membres de son gouvernement. Selon Kibwe, les ministres estimaient qu’ils étaient placés devant un fait accompli, contre lequel ils ne pouvaient plus rien.

2.4. Les conséquences néfastes Un membre de la commission fait observer que la mort de Lumumba a eu des conséquences particulièrement fâcheuses pour le Katanga : il avait été tué au Katanga et en présence de ministres katangais. L’aide française demandée n’a pas été fournie et la sécession du Katanga a été très sérieusement compromise. Kibwe reconnaît que l’histoire a eu des répercussions fâcheuses sur l’affaire katangaise. Le manque d’expérience politique, tant sur le plan national que sur le plan international, a assurément joué un rôle en l’occurrence. On en a effectivement parlé ultérieurement et l’on en a conçu du regret. L’influence des Français était en fait inexistante.

2.5. Les Belges Selon Kibwe, on a bel et bien parlé de la mort de Lumumba avec les Belges. Les réactions ont généralement été négatives : on aurait pu l’éviter. Tout s’est toutefois passé à l’insu de Kibwe et de Munongo. Pour ce dernier, qui était ministre de l’Intérieur, c’était d’ailleurs également une question de sécurité intérieure. Il n’a jamais protesté auprès du président au sujet de sa décision, prise seul. Certains Belges, en tout cas ceux qui étaient proches du centre du pouvoir politique, savaient que l’épilogue serait pour le jour même. Kibwe ne croit pas que des conseillers belges soient intervenus dans la décision, a fortiori qu’ils aient joué un rôle dans l’assassinat de Lumumba. Conseiller de transférer les prisonniers n’est pas la même chose qu’intervenir dans la décision de les faire assassiner. Cette décision a été prise par des personnes qui voulaient préserver l’intégrité de leur pouvoir. Elle a été prise par des Congolais.En ce qui concerne la lettre du ministre belge insistant pour que Lumumba soit accepté au Katanga, il importe surtout de savoir de quelle manière Tshombe y a réagi. S’il a accepté, c’est parce qu’il a estimé pouvoir en tirer avantage. On lui aura probablement fait savoir que la Belgique adopterait une attitude favorable en ce qui concerne l’indépendance du Katanga.

2.6. Finances L’aide financière provenant de la Belgique ne transitait pas par le ministère des Finances du Katanga, mais aboutissait directement chez le président, qui était compétent en la matière. Kibwe n’a pas connaissance de fonds secrets qui étaient à la disposition du ministre belge des Affaires africaines.

2.7. Rôle de Mobutu et de Nendaka Selon Kibwe, Mobutu et Nendaka sont intervenus dans la décision de transférer les trois prisonniers au Katanga afin de s’en débarrasser.

2.8. Conclusion Kibwe a, en fait, pris une grande responsabilité en reconnaissant qu’il avait été témoin d’une exécution à laquelle il avait été procédé sans aucune décision d’un tribunal ou d’un conseil des ministres. Kibwe précise que la décision a été prise par Tshombe, après un entretien avec Kasa Vubu. Selon Kibwe, il était très exceptionnel que le président décide de la sorte, de sa propre autorité. Peut-être avaitil, pour agir ainsi, des raisons qui auraient pu changer le cours des événements. La contrepartie pour l’acceptation de Lumumba n’était vraisemblablement pas non plus très claire pour le président. Celle-ci est restée lettre morte, étant donné qu’un terme a été mis à la sécession katangaise. L’attitude de Tshombe n’a mené à rien.

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