vendredi 21 septembre 2012

Témoignage de HARMEL PIERRE sur l'assassinat de LUMUMBA

lumumba

HARMEL PIERRE

Présentation du témoin

Pierre Harmel était membre du gouvernement belge (comme ministre de la Culture jusqu’au 3 septembre 1960 et comme ministre de la Fonction publique à partir de cette même date) au moment de la mort de Lumumba. Le témoignage de Harmel revêt une importance particulière, étant donné qu’il permettra éventuellement de savoir s’il y avait des divergences de vues entre les membres du gouvernement Eyskens au sujet de Lumumba et si oui, dans quelle mesure. Lors du conseil de cabinet du 2 août 1960, Harmel signale que l’objectif majeur commun à tous les membres du Conseil (s’agit-il du Conseil de Sécurité de l’ONU ou du Conseil de cabinet ?) est de voir restaurer un ordre public au Congo et de préserver son avenir : le péril pour l’Occident serait la déliquescence de l’Afrique centrale, déliquescence qui aurait pour conséquence de la pousser dans le camp communiste. L’objectif de restauration est confié aux Nations unies. Le risque était réel que certaines troupes africaines présentes au Congo se mettent au service de Lumumba, ce qui aurait entraîné à coup sûr le départ des blancs et le désordre au profit de l’URSS. N’était-il pas légitime, compte tenu de ce scénario catastrophe, de penser que la Belgique cherche non seulement à écarter Lumumba de la scène politique, mais aussi éventuellement à l’éliminer physiquement ? Cette éventualité n’a-t-elle jamais été envisagée par le gouvernement ou une de ses composantes ? Le Conseil des ministres du 4 novembre 1960 est important : Lumumba a été démis de ses fonctions et est sous surveillance depuis septembre (à ce moment, il ne s’est pas encore échappé). Il suscite toutefois encore la peur.Au cours du conseil des ministres, Wigny fait savoir que le 7 novembre, à l’ONU, une résolution sera déposée demandant l’admission de la délégation de Lumumba et la réunion du Parlement congolais. Des reproches seront vraisemblablement adressés à l’égard de la Belgique. Lors du conseil des ministres en question, Eyskens précise qu’il faut tenir compte d’un retour éventuel de Lumumba. Selon Lefèbvre, il paraît incontestable que l’ONU tend à ramener Lumumba au pouvoir. Harmel ajoute encore qu’il estime souhaitable que Léopoldville soit réunifié avec Élisabethville. Harmel estimait-il que le transfert de Lumumba permettrait d’atteindre cet objectif, compte tenu des efforts d’Aspremont en faveur de la réunification ? Lors du même conseil des ministres, Harmel ajoute encore que la Belgique devrait convaincre ses alliés de ce que le retour au pouvoir de Lumumba constitue une menace sérieuse pour le Congo. Parmi les questions pertinentes, on peut dès lors poser celle de savoir quels alliés Harmel vise, et si ceux-ci n’étaient pas déjà convaincus de la chose. Que peut-on encore prendre comme mesures contre un Lumumba qui est démis de ses fonctions et est placé en résidence surveillée ?

Témoignage

Pierre Harmel a été entendu par la commission d’enquête le 16 juillet 2001. Aux dires d’Harmel, le gouvernement était divisé quant à l’attitude à adopter envers le Congo, ce qui découlait logiquement du fait que le conseil des ministres était composé de personnes issues de partis politiques différents. 2.1. Attitude de la Belgique par rapport à l’indépendance du Katanga Il est apparu, immédiatement après la déclaration d’indépendance du Katanga, que les différents partis politiques avaient des points de vue différents sur la question, qu’ils ont exposés évidence lors des débats qui se sont tenus au parlement. Harmel lui-même était opposé à l’indépendance et à la souveraineté du Katanga. Le premier ministre a pris une position intermédiaire : tout en reconnaissant le mérite de la situation créée par Tshombe au Katanga, il n’a pas accepté que le gouvernement belge reconnaisse l’indépendance du Katanga. L’attitude à adopter face aux troubles qui ont éclaté après la sécession faisait l’unanimité : il y avait lieu d’assurer la sécurité de la population belge et de la population congolaise. Si le gouvernement n’était pas divisé àce sujet, il n’était cependant pas d’accord avec l’ONU, qui souhaitait que les troupes belges quittent le territoire congolais, avant même que n’arrivent les troupes de l’ONU. Harmel a estimé que l’attitude qu’il avait adoptée au Conseil des ministres du 2 août 1960 tenait compte de la réalité du moment. Le risque était réel que les troupes africaines de l’ONU passent dans le camp de Lumumba. Répondant à la question de savoir s’il n’aurait pas été logique, dans ce contexte, que le gouvernement prenne une initiative envers Lumumba, le témoin a souligné que Lumumba n’avait, en réalité, pas été premier ministre longtemps. Lorsque la commission de vérification des pouvoirs de l’ONU a décidé, le 22 novembre 1960, que la délégation qui représentait légitimement le pays était celle de Kasa Vubu, Lumumba a été écarté définitivement. Le gouvernement a, dès le début, soutenu la reconnaissance du mouvement favorable à Kasa Vubu. La question de savoir si Lumumba pouvait jouer un rôle utile n’a, en fait, même pas été soulevée. Après avoir été destitué par Kasa Vubu, il n’a plus jamais été premier ministre. Pour le gouvernement belge, le problème ne se posait donc plus : il s’agissait d’un problème congolais. Tous les milieux s’accordaient à estimer que Lumumba n’était acceptable pour personne, sauf pour l’URSS. 2.2. Fonds secrets Selon Harmel, le parlement a régulièrement approuvé des crédits secrets pour le Congo, ainsi qu’en faveur du ministère des Affaires étrangères. Le parlement n’a jamais demandé à quelles fins ces fonds étaient utilisés. A cette époque, les ministres étaient des personnages plutôt indépendants, particulièrement le ministre des Affaires étrangères et celui des Colonies. Le ministre des Colonies ne transmettait que peu d’informations au gouvernement et faisait, en fait, pratiquement cavalier seul. 2.3. Importance du Conseil des ministres En fait, cette problématique n’a pas été débattue souvent au Conseil des ministres. La plupart du temps, le premier ministre discutait de ce problème avec le ministre des Affaires étrangères et le ministre des Colonies, dénomination qui sera remplacée plus tard par « ministre des Affaires africaines ».Certains membres de la commission font observer à cet égard que les deux ministres ne s’entendaient pas toujours très bien : d’Aspremont était plutôt partisan d’une ligne dure tandis que Wigny devait compter avec les Nations unies et d’autres pays. Selon Harmel, l’élimination physique de Lumumba n’a jamais été évoquée au Conseil des ministres. Par ailleurs, Harmel, en sa qualité de ministre de la Fonction publique, était, à cette époque, chargé de la réintégration du personnel administratif, judiciaire, militaire et enseignant en provenance du Congo. À ce titre, il avait régulièrement des contacts avec son collègue des Affaires africaines, mais il n’était pas directement impliqué dans l’affaire Lumumba. 2.4. Conseil des ministres du 4 novembre 1960 Pour Harmel, il n’y avait aucun lien entre le sort de Lumumba et la réconciliation des régimes d’Élisabethville et de Léopoldville. En fait, il convient, dans ce contexte, de prêter attention au rôle joué par les Nations unies. Le 22 novembre 1960, la Commission des Nations unies de vérification des pouvoirs a, en effet, opéré son choix parmi les différents candidats-dirigeants du pays. Ce choix confirmait officiellement que Lumumba n’était plus chef du gouvernement comme il le prétendait. 2.5. Le 17 janvier 1961 Harmel et le gouvernement étaient, à cette époque, essentiellement préoccupés par les grèves qui paralysaient le pays. Le président a signalé au témoin que la première annonce officielle de la mort de Lumumba avait eu lieu le 3 février 1961, lorsque, durant le Conseil des ministres, le ministre Gilson a informé le ministre Wigny de l’assassinat de Lumumba. Le témoin était alors surtout préoccupé par la gestion de la crise socio-économique et par les élections, qui étaient imminentes. Il a reconnu qu’il était étrange que les départements des Affaires étrangères et des Affaires africaines n’étaient pas au courant et qu’ils n’en avaient pas informé le gouvernement. Selon Harmel, les ministres n’ont pas appris officiellement la mort de Lumumba lors du Conseil des ministres du 3 février 1961, mais par la presse. Il se peut fort bien que le Katanga, qui devait être très ennuyé par le fait que Lumumba avait été assassiné sur son territoire, ait demandé à la Belgique de garder le silence sur cette affaire. Il est possible que le premier ministre et les ministres des Affaires étrangères et des Affaires africaines aient estimé qu’il n’incombait ni à eux, ni à la Belgique, de révéler la nouvelle. Il se peut que l’on ait également eu le souci de ne pas perturber l’ordre interne au Katanga en diffusant la nouvelle, surtout si le Katanga l’avait lui-même demandé.

Données biographiques

Né à Uccle, le 16 mars 1911. Formation : Humanités gréco-latines (1921-1927). Licence en sciences sociales et en notariat.Agrégé de l’enseignement supérieur en droit fiscal (1927-1933). Docteur en droit (1933). Divers : Profession : Avocat stagiaire au barreau de Liège (1933-1934). Assistant (1934-1940), chargé de cours (1943-1947), professeur ordinaire (1947-1981) à l’ULg. Politique : Membre du CVP-PSC. Vice-président de La Relève (1945). Président de l’aile wallonne du PSC (1964-1965). Député de l’arrondissement de Liège (1946-1971). Délégué belge à l’Assemblée générale des Nations unies (1949). Ministre de l’Instruction publique sous le gouvernement Duvieusart (1950), sous le gouvernement Pholien (1950-1952) et sous le gouvernement Van Houtte (1952-1954). Président de la délégation belge à la Conférence générale pour l’UNESCO (1952). Ministre de la Justice sous le gouvernement Eyskens II (1958). Ministre de la Culture (1958-1960) puis ministre de la Fonction publique (1960-1961) sous le gouvernement Eyskens III. Participant à la Table ronde (1960). Participant à la Table ronde sur la révision de la Constitution (1964). Premier ministre, chargé de la coordination de la Politique scientifique (1965-1966). Président du groupe de travail chargé de préparer un rapport sur la mission future de l’OTAN (1966-1967). Ministre des Affaires étrangères sous le gouvernement Vanden Boeynants-De Clercq (1966-1968), sous le gouvernement Eyskens-Merlot/Cools (1968-1971) et sous le gouvernement Eyskens-Cools II (1972). Sénateur coopté (1971-1977). Nommé ministre d’État (1973). Membre du Conseil culturel de la communauté culturelle française (1971-1977). Conseiller communal d’Uccle (1977-1982). Conseiller communal de Woluwe-Saint-Pierre (1983-1984).

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