(AgoraVox 11/01/2013)
Il a suffi de quelques semaines d’accalmie sur le front
militaire pour que les Congolais se mettent à oublier le risque de balkanisation
que le Rwanda et l’Ouganda continuent d’entretenir aux portes de Goma sous la
bannière du M23.
Le risque restant intact, les négociations de Kampala
devraient inquiéter au plus haut point. En effet, face au péril qui se profile,
les Congolais risquent de ne point pardonner à leurs dirigeants d’être partis
négocier, en Ouganda, avec le M23. Une milice aux ordres de Kampala et Kigali
qui a été mondialement décriée, comme en témoignent les dénonciations et les
rapports émanant de l’ONU, l’intervention du Président Obama auprès de Paul
Kagamé, la tribune publiée dans Le Monde par l’ancien Président français Jacques
Chirac et un groupe de personnalités, le message du roi des Belges Albert II,
les rapports d’ONG, …
Le Congo a ainsi perdu les atouts dont il disposait
dans l'interminable conflit qui l’oppose à ses difficiles voisins de l’Est. Les
« amis » du peuple congolais qui commençaient à se mobiliser à travers le monde
contre les régimes rwandais et ougandais sont à présent dans l’embarras. Du
coup, le M23, qui aurait pu se disloquer sous la vague des condamnations
internationales, gagne du temps, et se renforce politiquement et militairement.
Des « cadeaux » inespérés que les Congolais vont sûrement regretter à l’avenir,
puisque le conflit armé est loin d’être terminé.
La légitimation du
M23
L’idée même d’aller négocier à Kampala est apparue comme assez
surréaliste, l’Ouganda étant, comme le Rwanda, accusé d’agression par l’ONU. Le
Congo aurait dû en profiter pour exiger un cadre de négociation beaucoup plus à
son avantage. De nombreux analystes ont avancé l’idée d’une table ronde qui
regrouperait les Chefs d’Etat congolais, ougandais et rwandais, devant mener à
la signature d’un véritable traité de paix. A la table ronde devraient être
associées des puissances régionales (Angola, Afrique du Sud), l’opposition non
armée et la société civile. On pourrait étendre la participation aux délégations
de l’ONU, de l’Union européenne et des puissances occidentales parmi les plus
impliquées dans le cours des évènements au Congo (Etats-Unis, Grande Bretagne,
France, Belgique). Un accord conclu dans un cadre comme celui-là ne règle pas
tous les problèmes mais, au moins, présente les meilleurs garanties sur la voie
d’une solution durable. Difficile de croire que les autorités congolaises aient
pu se tromper d’interlocuteur à ce point en allant négocier avec le M23,
c’est-à-dire avec des lampistes.
Ce choix permet aux parrains du M23, que
sont les Présidents Museveni et Kagamé, de ne plus paraître en première ligne,
et donc, de continuer à « manœuvrer » en coulisse, une configuration dans
laquelle les deux hommes excellent depuis les 16 ans des guerres qu’ils mènent
au Congo. C’est ainsi qu’ils ont manœuvré avec l’AFDL de Laurent Kabila durant
la Première Guerre du Congo (1996-97), le RCD durant la Deuxième Guerre du Congo
(1998-2003), le CNDP de Laurent Nkunda durant la Guerre du Kivu (2003-2009) et
maintenant avec le M23. En négociant avec de telles organisations, dépourvues
d’autonomie politique, les autorités congolaises consentent à traiter avec des
personnes n’offrant aucune garantie que leurs engagements seraient tenus. En
effet, on sait, par expérience, que si le M23 n’atteint pas les objectifs qui
lui ont été assignés, Museveni et Kagamé n’hésiteront pas à relancer la guerre
dans l’Est du Congo sous un autre acronyme.
Le piège de la
négociation
Lorsqu’on observe la façon dont les dirigeants actuels du
Rwanda et de l’Ouganda sont parvenus au pouvoir à Kampala, à Kigali, et ont pu
mener leurs armées jusqu’à Kinshasa, on apprend à relativiser l’intérêt qu’il y
a à négocier avec eux. On peut même théoriser la façon dont ils
procèdent.
Tout d’abord, ils se fixent un objectif militaire (conquérir
un territoire). Ils se prêtent volontiers aux négociations mais ne renoncent
jamais à l’objectif militaire initial, comme en témoignent la « guerre de
brousse » d’Ouganda (1981-1986), la guerre du Rwanda (1990-94) et les guerres à
répétition du Congo depuis 1996. On parle de « talk and fight » (discuter en
poursuivant la lutte armée). Ils ne croient pas un seul mot de ce qui se
négocie. Ils se présentent aux négociations pour vendre une belle image et
gagner du temps. Pendant les négociations, ils se renforcent militairement
(personne n’exige le désarmement du M23) et politiquement ; infiltrent le
territoire à conquérir et analysent les faiblesses de leur ennemi.
Quelle
que soit l’issue des négociations, ils sont gagnants à tous les coups. Si les
négociations échouent, comme cela se profile à Kampala, les combats reprennent.
Ils prennent rapidement le dessus puisque pendant que leurs interlocuteurs
négociaient de bonne foi, eux peaufinaient les plans de bataille. Si les
négociations aboutissent à un accord, ils sont également gagnants puisqu’ils
rentrent par la « grande porte » dans les institutions, non pas pour les
renforcer, mais bien pour les affaiblir en prévision d’un prochain
conflit.
L’exemple le plus parlant est celui de l’armée congolaise qui,
après avoir « intégré » par vagues successives les combattants aux ordres de
Kampala et Kigali (AFDL, RCD, CNDP) n’est plus aujourd’hui que l’ombre
d’elle-même. En réintégrant les mutins du M23, se comptant désormais par
milliers, l’armée congolaise deviendrait une sorte de Titanic sabordé prenant
l’eau de partout. Son effondrement total s’inscrirait dès lors dans la suite
prévisible des choses. Le Congo perdrait ses régions de l’Est du jour au
lendemain.
D’ailleurs ces régions auraient déjà dû être perdues sans la
présence des casques bleus déployés sur l’ensemble du territoire national. Il y
a longtemps que l’armée congolaise, profondément affaiblie par le régime de
Joseph Kabila, et habituée à abandonner les villes à l’ennemi, aurait
définitivement déserté le Kivu laissant un « terrain vague », que le Rwanda
n’aurait eu qu’à occuper.
Le processus de balkanisation
Les fameux
accords du 23 mars 2009, dont se prévaut le M23, sont, par leur contenu, le
premier texte, après les accords de Lemera, consacrant le processus de
balkanisation du Congo. En effet, il n’y a pas une seule revendication du M23
qui puisse être satisfaite sans mener la Patrie de Lumumba à la
désintégration.
Déjà l’idée de négocier avec des soldats entrés en
mutinerie, avec des revendications identitaires (tutsis, Kivu, Est), induit
qu’il y aurait au final deux catégories de soldats dans une même armée. Ceux qui
se mutinent et acquièrent un statut privilégié et les autres relevant du droit
commun. Impossible d’assurer la discipline dans une armée comme celle-là. Une
mutinerie, on la prévient ou on la mate. Le gouvernement dote l’armée des moyens
nécessaire à sa mission, mais n’a pas à négocier avec un soldat. Le soldat obéit
ou déserte.
Le M23 revendique le droit pour ses combattants de ne plus
servir au-delà des régions adossées au Rwanda. Accepter une revendication
pareille c’est préparer le terrain aux revendications de même nature de la part
des soldats originaires d’autres provinces. Les armées des autochtones ne
servant que dans leurs terroirs. C’est la fin de l’armée nationale, et, par
conséquent, du Congo en tant que nation.
Le M23 réclame le retour des
réfugiés rwandophones installés au Rwanda. Il est vrai que chaque Congolais,
quelle que soit son ethnie, a le droit inaliénable de vivre et de s’épanouir
dans son pays. Sauf que le Congo n’est pas en mesure d’accueillir ses
populations exilées dans les conditions actuelles. L’administration n’est même
pas en mesure de déterminer avec certitude qui est congolais et qui ne l’est
pas. Le système d’enregistrement des naissances s’est effondré depuis des
décennies. Par ailleurs, le fait que le M23 soit en partie composé de soldats
rwandais, ruine sa crédibilité sur un sujet de cette nature.
Les autres
revendications du M23 relèvent d’un habillage assez grotesque et ne peuvent
guère être prises au sérieux. On ne peut pas s’inviter dans le débat sur la
vérité des urnes alors qu’on a été l’allié de Joseph Kabila durant les élections
frauduleuses de novembre 2011. Quant au respect des droits de l’Homme, il faut
rappeler que plusieurs membres du CNDP/M23 sont recherchés par la Cour Pénale
Internationale[1] pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Il est
enfin surréaliste d’entendre le M23 plaider la cause des Congolais de la
diaspora. Depuis 1996, des millions de Congolais sont chassés de leurs pays par
les guerres à répétition menées au Congo par les parrains actuels du M23 que
sont l’Ouganda et le Rwanda.
Boniface MUSAVULI
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