mercredi 9 janvier 2013

FARDC, pour la création d’une armée nouvelle

 (Le Potentiel 09/01/2013)

Le 30 août 2010, je m’invitais à un débat citoyen engagé par le général MaluMalu et le professeur Biyoya sur les motivations de l’implantation de l’AFRICOM en RD Congo en publiant une opinion intitulée « l’AFRICOM ne créera pas une armée congolaise intégrée ». Chaque protagoniste voulait confier une mission spécifique à l’AFRICOM tout en omettant de faire d’abord le diagnostic de notre armée.


Il ne peut pas en être autrement, car depuis une quinzaine d’années, et bien auparavant, notre armée subit des revers militaires spectaculaires en accumulant les défaites singulièrement à l’Est du pays.

Avant la défaite de Budangana, la question de nos forces armées était jusque-là un sujet tabou, réservé à quelques initiés pas tous compétents en la matière. Aujourd’hui, le Congolais est meurtri par ces déroutes du front de l’Est. Il donne de la voix.


 Il exige sa réforme en profondeur pour redorer son blason et, par conséquent, restaurer la dignité du pays. D’où, pour réformer notre armée, nous devons collectivement nous affranchir de la peur de faire le diagnostic du mal qui la ronge. L’hypocrisie, la couardise, la pusillanimité, la dissertation stérile et, la circonlocution politique de convenance pour plaire n’ont pas de place dans ce débat national.

Cette réforme ne s’impose pas uniquement au regard des déboires continuels à l’Est du pays, mais résulte du fait de la non-effectivité des FARDC. En effet, on a noté qu’il y a autant de dysfonctionnements criants que de duplicités dans la chaine de commandement qui paralysent notre armée.

Parmi les conséquences qui en découlent, il y a principalement :

- l’errance de centaines de milliers de nos compatriotes martyrisés dans notre pays ;
- les statistiques macabres de plus cinq millions de vies perdues qui n’émeuvent pas nos gouvernants, ni la communauté internationale ;
- près d’un million d’enfants non-scolarisés et certains enrôlés de force ;
- de dizaine de milliers de nos sœurs et filles violées au quotidien ;
- des massacres et assassinats crapuleux des civils ;
- la destruction des infrastructures physiques et celle méchante de la faune exceptionnelle et de la flore luxuriante de notre écosystème ;
- l’exploitation illicite de nos ressources minérales ;
- la dilution des prérogatives régaliennes ;
- et surtout, les graves menaces évidentes qui pèsent sur l’intégrité du territoire.

Lors de sa dernière adresse sur l’état de la nation, le Président de la République a invité le peuple congolais à participer à la réforme de SON armée pour la rendre plus dissuasive pour contrer les velléités expansionnistes de nos voisins le Rwanda et l’Ouganda. Il dit : « Désormais, au-delà de toutes nos actions pour le développement, notre priorité sera la défense de la patrie. La défense, rien que la défense, avec une armée dissuasive. Une armée nationale, apolitique et professionnelle. Bref, une armée qui rassure notre peuple dans toute sa diversité ; une armée dont notre peuple sera fier, et qu’il soutiendra en tous temps et en toutes circonstances. »

Le Président de la République relève qu’en l’état actuel de sa constitution, les FARDC ne sont plus à même de gagner les batailles militaires. Il sollicite, c’est notre entendement, que notre armée constituée de manière hétéroclite devrait impérativement revenir aux fondamentaux. Il faut donc une remise en cause totale de nos forces armées pour redonner à notre pays son leadership naturel régional à la mesure de sa dimension et au regard de ses potentialités. Que notre force effective globale, y compris militaire, renaisse et s’impose à nouveau dans l’espace des Grands Lacs face aux menaces tangibles de balkanisation.

Ainsi, l’armée d’un pays ne se construit pas avec le concours d’un autre pays quel que soit le degré d’amitié, de coopération ou d’intérêt. Une armée est le reflet de la vision et de la volonté des gouvernants d’un pays. Le Chef de l’Etat reconnaît qu’il ne s’agit plus de son exclusivité, mais de la responsabilité des institutions politiques, des intellectuels et des cercles de réflexion sur les stratégies de défense.

La mission primordiale d’une armée est la sécurisation du territoire. La seconde est la défense des intérêts nationaux à l’étranger. C’est la raison pour laquelle on ne déclare pas la guerre contre son propre pays, mais contre des ennemis qui ont violé l’intégrité territoriale ou menacé ses intérêts. On déclare également la guerre soit par une attaque préventive, soit en représailles en poursuivant éventuellement l’ennemi au-delà de ses frontières.

Pour remplir sa mission et atteindre ses objectifs, une armée doit se définir à travers des fondamentaux en se constituant comme un seul corps organisé, intégré, structuré, discipliné et hiérarchisé verticalement. Elle doit se fonder et s’articuler sur quatre piliers à savoir : l’uniformisation, la standardisation, la formation continue et la motivation.

L’uniformisation se traduit d’abord par l’adoption d’une langue pour faciliter la communication entre les troupes, donc un langage commun. C’est ainsi qu’à l’époque, la force publique avait imposé le lingala pour ceux qui ne le savent pas ou veulent le méconnaitre. Il y a la tenue qui distingue les différents corps d’une armée...

La standardisation correspond à l’adoption de même type de formation de base, d’armes de combat avant intégration dans unités spécialisées, de moyens de communication, de critères objectifs d’avancement en grade, des critères de gestion sociale avant, pendant et après le service, le strict respect du règlement militaire…

Quant à la formation, le cursus classique de l’Académie militaire doit être obligatoire pour les officiers. Ne devient pas officier supérieur ou général qui veut. Les formations appropriées et spécialisées sont réservées à ceux qui disposent de l’intellect suffisant et des compétences requises pour avancer aux grades supérieurs de commandement. Dans les armées modernes, on retrouve toutes les spécialisations comparables dans le civil. Par ailleurs, il y a des formations en adéquation avec les objectifs essentiellement opérationnels définis par la politique de défense des gouvernants.

En définitive, grâce à la formation, l’armée doit représenter un corps d’intellectuels éclectiques et non un agrégat de désœuvrés issus notamment des mixages et brassages de mauvais aloi.

Enfin, la motivation est le déterminant qui consolide et pérennise l’armée en vue de gagner les batailles et les guerres. La sécurité intérieure d’un pays commence par la sécurité sociale impérative du soldat et des officiers. Un soldat même hyper armé, mal rémunéré et dont les conditions sociales sont inférieures aux risques de sa vie, n’obéira point aux ordres.

Il deviendra un mutin, un danger pour la société. Souvenons-nous des pillages de triste mémoire, des cas récurrents et innommables de viols de nos sœurs dans l’Est du pays. On lit partout, la discipline est la mère des armées, mais elle doit reposer sur des conditions sociales minimum.

Le moment est venu pour que les gouvernants et la classe politique congolaise intègrent ces quelques fondamentaux. On ne confie pas non plus le commandement d’une armée à des officiers notoirement commerçants, à des trafiquants de tous bords et/ou des anciens miliciens. Même pour assurer la paix factuelle, la sélection des hommes d’honneur et de grande moralité est impérieuse pour engendrer et assurer le leadership.

Un officier est un modèle pour les troupes et pour la société : « Officer and Gentleman ». Pour cela et pour la défense de la patrie, il faut séparer le bon grain de l’ivraie.

A défaut de cette pré-sélection fondamentale, il y aura toujours un déséquilibre dans la structuration de notre armée. Par exemple, il y aurait actuellement un nombre effarant des gradés dans la tranche supérieure. Or, un tel déséquilibre ne fait pas une armée. Cela dénote que les grades d’officiers supérieurs et généraux sont galvaudés en RD Congo. Ça suffit !

On note aussi que nombre de nos officiers en formation à l’étranger obtiennent des résultats non satisfaisants parce qu’il leur manque les fondamentaux. Ils sont souvent sélectionnés selon les critères de ndeko na ngai, mutoto ya mama, mpangi ya munu, mwan’etu. Non, ça suffit ! Dans le passé, tous les officiers congolais de l’ex-FAZ diplômés brillamment des grandes Académies militaires telles que Saint Cyr, Sandhurst, West Point, Ecole Royale Militaire de Belgique et, j’en passe, furent sélectionnés sur concours ici à Kinshasa et dans les chefs-lieux des provinces. Il n’y eut point de préférence ethnique, linguistique ou provinciale.

Les promotions au commandement sur base des critères non repris par le Commandant suprême dans son adresse et aggravées par l’ignorance des fondamentaux se révèlent contreproductives. Elles déstructurent la cohésion du commandement, frustrent les militaires formés, démotivent les non gradés et engendrent les revers au front.

Dans la motivation, il y a également le strict respect du Règlement Militaire. Sun Tzu dans son ouvrage « l’Art de la Guerre » insiste sur la motivation/sanction pour galvaniser les troupes. Il y a des crimes passibles de Cour Martiale tels le détournement de la solde, la subtilisation des rations et leur revente sur les marchés alors que nos soldats meurent de faim au front.

Un Premier ministre l’avait constaté et simplement déploré. Son attitude était antipatriotique et irresponsable. Bannis et expropriés soient les traitres qui vendent les armes à l’ennemi. Ces crimes ne peuvent demeurer impunis en les étouffant à travers des commissions d’enquêtes infinies. Ça suffit !

Un dernier préalable mais pas des moindres, une armée est républicaine et apolitique et intégrée. On ne crée pas une mini-armée dans une armée. L’histoire militaire renseigne que les éléments d’une mini-armée même surentrainés, suréquipés et sur-motivés comme les immortels iraniens n’ont jamais réussi à gagner une guerre, ni à sauver un régime politique. Evidement, ses troupes sont naturellement arrogantes parce que bénéficiaires des privilèges sociaux différenciés et de « l’immunité illusoire du règlement militaires ». Elles sont la source de frustration et de démotivation et, la cause de primaire de désintégration de la grande armée. Une armée est une et doit demeurer républicaine.

Aujourd’hui, l’interprétation de la réforme des FARDC se circonscrit au recrutement. Le Président de la République « demande à chacun d’entre nous, dans sa sphère d’action et d’influence, de sensibiliser notre jeunesse à s’enrôler massivement au sein de nos forces de défense et de sécurité, afin que celles-ci deviennent le rempart implacable de la défense de la patrie ».

Oui, nous avons tous la responsabilité d’y répondre. Nous devons encourager nos jeunes gens à s’enrôler pour servir et défendre la mère patrie. Nous avons aussi la responsabilité de les aider à intégrer le sens de l’engagement selon l’entendement du Président Roosevelt qui en s’adressant aux jeunes américains disait : « le patriotisme est la détermination de chacun de défendre son pays. Il ne s’agit pas d’un soutien au Président ou à une autre autorité publique ».

Cependant, pour que ce recrutement soit efficace, il y a un préalable incontournable : revenir aux fondamentaux. En effet, dans les conditions structurelles actuelles des FARDC, un enrôlement massif aggraverait ses dysfonctionnements. Respecte-t-on les critères de sélection : aptitude physique, intellectuelle et mentale des nouvelles recrues? Assure-t-on la logistique efficiente ?

Dès-lors, a-t-on préparé les structures minimum d’accueil dans nos bases militaires à travers possiblement la réhabilitation et l’installation des nouveaux baraquements ? Où va-t-on entrainer, loger, soigner, éduquer, former, divertir…ces milliers de jeunes recrues ? A-t-on remis à l’état les arsenaux et imposer l’inventaire ? Enfin, a-t-on récupéré les sites et terrains tels champs d’exercices et de tirs des FARDC aujourd’hui honteusement spoliés par certains officiers et des autorités civiles ?

Pour que les FARDC réformées soient effectives et dissuasives, il faut s’appesantir aussi sur la fluidité de la logistique. De par le monde, la logistique d’une armée n’est pas une affaire des commerçants étrangers. En RDC, c’est l’exclusivité des commerçants libanais et belges, amis des autorités locales et étrangères qui s’arrogent les gros contrats de notre armée. De la même manière, il sied de cesser l’achat des armes sur le marché noir alors que la RDC n’est plus frappée d’embargo.

Ces interrogations et ces préalables doivent être examinés prioritairement au risque de qualifier la réforme de l’armée : l’ennemie du développement. Le Président dit : « au-delà de toutes nos actions pour le développement, notre priorité sera la défense de la patrie ». En effet, dans les années 70 et 80, le Zaïre avait souffert de la part disproportionnée réservée à l’armée dans le budget de l’Etat au détriment de l’Education et de la Santé.

Il y a lieu de corréler le coût de la réforme à entreprendre et son adéquation avec les objectifs de développement de la RDC. Cette réflexion amènera les gouvernants à proscrire les dépenses futiles dites de souveraineté susceptibles de satisfaire les appétits de ceux qui prônent aujourd’hui, à dessein, la religion de la quantité plutôt que de la qualité.

Aujourd’hui, la réforme de l’armée doit passer par le relèvement de son commandement. Il est fort regrettable de suivre des hommes politiques désapprouvé à la Télé la célébration d’anniversaire de prise des fonctions d’un général haut gradé pendant que les mutins de M23 bivouaquaient allègrement aux portes de la ville de Goma.

Il est tout aussi affligeant de voir le nombre de gardes du corps commis à la protection de certains officiers paradant à Kinshasa, à leurs résidences aux frais du contribuable. De quoi ont-ils peur ? Sous d’autres cieux, ils seraient poursuivis pour détournement de la main d’œuvre publique.

En définitive, la création, la réforme ou la gestion d’une armée répond à des principes de management. Pour y arriver, les leaders investis de cette mission doivent avoir accumulé des expériences de gestion de grands ensembles pour entreprendre la restructuration, le redimensionnement ou la création d’une armée nouvelle pour mieux préparer la guerre. Georges Clémenceau disait : « la guerre est une chose trop grave pour être confiée à des militaires ».

Ce sont les managers civils qui restructurent les grandes armées du monde, dispensent les enseignements sur les stratégies dans les Académies militaires et Ecoles de guerre les plus réputées, conçoivent, fabriquent et mettent à la disposition des armées tout ce dont elles ont besoin en équipements militaires standardisés et sophistiqués en passant par du papier toilette jusqu’à la bombe atomique.

Le chantier d’une armée nouvelle ne se construit pas par une intégration des brigades éparses formées par les Belges au Nord-est, les Américains au Nord, les Français à l’Ouest, les Chinois à l’Est, les Angolais où sais-je encore...Ca suffit ! Il va sans dire qu’avec une absence de synergie et de cohérence, il n’y aura jamais une uniformisation, une standardisation, une motivation et des formations continues adéquates. Le résultat anticipé sera un regroupement de groupuscules désagrégés dotés d’équipements non standardisés ou avec des dispositifs non-interchangeables incompatibles avec leurs missions.

Le débat étant relancé par le Président de la République, il appartient à tous de s’en approprier, les politiques, les scientifiques, les haut-gradés à la retraite, la société civile et les officiers compétents en fonction.

Moi, citoyen de mon pays, je redonne de la voix à cette question fondamentale de la formation de notre armée nouvelle en résumant mon propos en ces termes : l’atout d’une armée dissuasive et respectée relève des différents facteurs notamment la conception d’une politique nationale de défense ; la mise en œuvre d’une organisation efficiente et fluide, le renforcement permanent des capacités de l’élite militaire et des non-gradés; le traitement social égalitaire du militaire ; l’application impartiale des sanctions ;

l’acquisition des technologies évolutives ; le développement des centres de recherche géostratégique et la promotion d’une synergie entre les expertises civiles nationales et la mission de l’armée : la protection de l’intégrité territoriale.

Ekolo bo, moko !
Publié le mercredi 9 janvier 2013 00:08
Écrit par LENY YE NKOY ILONDO (*)
(*) Président de SOS KINSHASA ASBL



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