(Alterinfo 15/01/2013)
Quelques semaines seulement d’accalmie, sur le front militaire, ont
suffi pour que les Congolais se mettent à oublier le risque de
balkanisation que le Rwanda et l’Ouganda continuent d’entretenir dans
l'Est du pays sous la bannière du M23. La menace étant bien réelle, les
négociations de Kampala devraient inquiéter au plus haut point. En
effet, face au péril qui se profile, les Congolais risquent de ne point
pardonner à leurs dirigeants d’être partis négocier, en Ouganda, avec le
M23. Une milice aux ordres de Kampala et Kigali qui a été mondialement
décriée, comme en témoignent les dénonciations et les rapports émanant
de l’ONU, l’intervention du Président Obama auprès de Paul Kagamé, la
tribune publiée dans Le Monde par l’ancien Président français Jacques
Chirac et un groupe de personnalités, le message du roi des Belges
Albert II, les rapports d’ONG, …
Le Congo a ainsi perdu les atouts dont il disposait dans le conflit qui
l’oppose à ses difficiles voisins de l’Est. Les « amis » du peuple
congolais qui commençaient à se mobiliser à travers le monde contre les
régimes rwandais et ougandais sont à présent dans l’embarras. Du coup,
le M23, qui aurait pu se disloquer sous la vague des condamnations
internationales, gagne du temps, et se renforce politiquement et
militairement. Des « cadeaux » inespérés que les Congolais vont sûrement
regretter à l’avenir, puisque le conflit armé est loin d’être terminé.
La légitimation du M23
L’idée même d’aller négocier à Kampala est parue assez surréaliste,
l’Ouganda étant, comme le Rwanda, accusé d’agression par l’ONU. Ces
négociations, dont on se demande pourquoi elles continuent de se
dérouler en Ouganda, sont entourées de mystères et vont certainement
déboucher sur des accords secrets (concessions sur le territoire
national) dont la mise en application se traduira par de nouveaux
conflits, le peuple congolais n’ayant pas été consulté sur des sujets
aussi graves que l’intégrité du territoire national. Malheureusement les
signataires de ce genre d’accords, avec les dirigeants rwandais, depuis
1996 (voir accords de Lemera), ne sont jamais mis devant leurs
responsabilités lorsque la guerre éclate autour de leur mise en œuvre et
que des Congolais se font massacrer par la faute de politiciens
irresponsables.
Le Congo aurait pourtant pu exiger un cadre de négociation beaucoup plus
à son avantage. De nombreux analystes ont suggéré l’idée d’une table
ronde qui regrouperait les Chefs d’Etat congolais, ougandais et
rwandais, devant mener à la signature d’un véritable traité de paix. A
la table ronde devraient être associées des puissances régionales
(Angola, Afrique du Sud), l’opposition non armée et la société civile.
On pourrait étendre la participation aux délégations de l’ONU, de
l’Union européenne et des puissances occidentales parmi les plus
impliquées dans le cours des évènements au Congo (Etats-Unis, Grande
Bretagne, France, Belgique). Un accord conclu dans un cadre comme
celui-là ne règle pas tous les problèmes mais, au moins, présente les
meilleurs garanties sur la voie d’une solution durable. Difficile de
croire que les autorités congolaises aient pu se tromper d’interlocuteur
à ce point en allant négocier avec le M23, c’est-à-dire avec des
lampistes.
Ce choix permet aux parrains du M23, que sont les Présidents Museveni et
Kagamé, de ne plus paraître en première ligne, et donc, de continuer à «
manœuvrer » en coulisse, une configuration dans laquelle les deux
hommes excellent depuis les 16 ans des guerres qu’ils mènent au Congo.
C’est ainsi qu’ils ont manœuvré avec l’AFDL de Laurent Kabila durant la
Première Guerre du Congo (1996-97), le RCD durant la Deuxième Guerre du
Congo (1998-2003), le CNDP de Laurent Nkunda durant la Guerre du Kivu
(2003-2009) et maintenant avec le M23. En négociant avec de telles
organisations, dépourvues d’autonomie politique, les autorités
congolaises consentent à traiter avec des personnes n’offrant aucune
garantie que leurs engagements seraient tenus. En effet, on sait, par
expérience, que si le M23 n’atteint pas les objectifs qui lui ont été
assignés, Kigali et Kampala n’hésiteront pas à relancer la guerre dans
l’Est du Congo sous un autre acronyme.
Le piège de la négociation
Lorsqu’on observe la façon dont les dirigeants actuels du Rwanda et de
l’Ouganda sont parvenus au pouvoir à Kampala, à Kigali, et ont pu mener
leurs armées jusqu’à Kinshasa, on apprend à relativiser l’intérêt qu’il y
a à négocier avec eux. On peut même théoriser la façon dont ils
procèdent.
Tout d’abord, ils se fixent un objectif militaire (conquérir un
territoire). Ils se prêtent volontiers aux négociations mais ne
renoncent jamais à l’objectif militaire initial, comme en témoignent la «
guerre de brousse » d’Ouganda (1981-1986), la guerre du Rwanda
(1990-94) et les guerres à répétition du Congo depuis 1996. On parle de «
talk and fight » (discuter en poursuivant la lutte armée). Ils ne
croient pas un seul mot de ce qui se négocie. Ils se présentent aux
négociations pour vendre une belle image et gagner du temps. Pendant les
négociations, ils se renforcent militairement (personne n’exige le
désarmement du M23) et politiquement ; infiltrent le territoire à
conquérir et analysent les faiblesses de leur ennemi.
Quelle que soit l’issue des négociations, ils sont gagnants à tous les
coups. Si les négociations échouent, comme cela se profile à Kampala,
les combats reprennent. Ils prennent rapidement le dessus puisque
pendant que leurs interlocuteurs négociaient de bonne foi, eux
peaufinaient les plans de bataille. Si les négociations aboutissent à un
accord, ils sont également gagnants puisqu’ils rentrent par la « grande
porte » dans les institutions, non pas pour les renforcer, mais bien
pour les affaiblir en prévision d’un prochain conflit.
L’exemple le plus parlant est celui de l’armée congolaise qui, après
avoir « intégré » par vagues successives les combattants aux ordres de
Kampala et Kigali (AFDL, RCD, CNDP) n’est plus aujourd’hui que l’ombre
d’elle-même. En réintégrant les mutins du M23, se comptant désormais par
milliers, l’armée congolaise deviendrait une sorte de Titanic sabordé
prenant l’eau de partout. Son effondrement total s’inscrirait dès lors
dans la suite prévisible des choses. Le Congo perdrait ses régions de
l’Est du jour au lendemain.
D’ailleurs ces régions auraient déjà dû être perdues sans la présence
des casques bleus déployés sur l’ensemble du territoire national. Il y a
longtemps que l’armée congolaise, profondément affaiblie par le régime
de Joseph Kabila, et habituée à abandonner les villes à l’ennemi, aurait
définitivement déserté le Kivu laissant un « terrain vague », que le
Rwanda n’aurait eu qu’à occuper.
Le processus de balkanisation
Les fameux accords du 23 mars 2009, dont se prévaut le M23, sont, par
leur contenu, le premier texte, après les accords de Lemera, consacrant
le processus de balkanisation du Congo. En effet, il n’y a pas une seule
revendication du M23 qui puisse être satisfaite sans mener la Patrie de
Lumumba à la désintégration.
Déjà l’idée de négocier avec des soldats entrés en mutinerie, avec des
revendications identitaires (tutsis, Kivu, Est), induit qu’il y aurait
au final deux catégories de soldats dans une même armée. Ceux qui se
mutinent et acquièrent un statut privilégié et les autres relevant du
droit commun. Impossible d’assurer la discipline dans une armée comme
celle-là. Une mutinerie, on la prévient ou on la mate. Le gouvernement
dote l’armée des moyens nécessaire à sa mission, mais n’a pas à négocier
avec un soldat. Le soldat obéit ou déserte.
Le M23 revendique le droit pour ses combattants de ne plus servir
au-delà des régions adossées au Rwanda. Accepter une revendication
pareille c’est préparer le terrain aux revendications de même nature de
la part des soldats originaires d’autres provinces. Les armées des
autochtones ne servant que dans leurs terroirs. C’est la fin de l’armée
nationale, et, par conséquent, du Congo en tant que nation.
Le M23 réclame le retour des réfugiés rwandophones installés au Rwanda.
Il est vrai que chaque Congolais, quelle que soit son ethnie, a le droit
inaliénable de vivre et de s’épanouir dans son pays. Sauf que le Congo
n’est pas en mesure d’accueillir ses populations exilées dans les
conditions actuelles. L’administration n’est même pas en mesure de
déterminer avec certitude qui est congolais et qui ne l’est pas. Le
système d’enregistrement des naissances s’est effondré depuis des
décennies. Par ailleurs, le fait que le M23 soit en partie composé de
soldats rwandais, ruine sa crédibilité sur un sujet de cette nature.
Les autres revendications du M23 relèvent d’un habillage assez grotesque
et ne peuvent guère être prises au sérieux. On ne peut pas s’inviter
dans le débat sur la vérité des urnes alors qu’on a été l’allié de
Joseph Kabila durant les élections frauduleuses de novembre 2011. Quant
au respect des droits de l’Homme, il faut rappeler que plusieurs membres
du CNDP/M23 sont recherchés par la Cour Pénale Internationale pour
crimes de guerre et crimes contre l’humanité . Le M23 est même considéré
comme une organisation criminelle. Ses deux principaux dirigeants,
Jean-Marie Runiga (chef politique) et Sultani Makenga (chef militaire)
sont sous le coup des sanctions adoptées par le Conseil de Sécurité de
l’ONU et par le gouvernement américain.
Il est enfin surréaliste d’entendre le M23 plaider la cause des
Congolais de la diaspora. Depuis 1996, des millions de Congolais sont
chassés de leurs pays par les guerres à répétition menées au Congo par
les parrains actuels du M23 que sont l’Ouganda et le Rwanda.
Boniface MUSAVULI
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