lundi 10 décembre 2012

RDC : Kampala, chronique d'un échec annoncé

 (Courrier International 10/12/2012)

Les négociations entre le gouvernement congolais et les rebelles du M23 ont débuté ce dimanche à Kampala. Sans la présence de Joseph Kabila, ni de l'opposition congolaise et surtout sans agenda précis, ni ordre du jour, les négociations risquent de tourner au dialogue de sourds. Pire, chacune des délégations semble être prisonnière de ses propres contradictions.

Impossibles négociations. On a beau retourner le problème dans tous les sens, il paraît difficile de croire que les "discussions" entre la rébellion du M23 et le gouvernement congolais débouchent sur un plan de paix durable. Premier obstacle : la légitimité des délégations. Le niveau de représentations est extrêmement faible à Kampala.

Une marge de manoeuvre réduite

Côté gouvernemental, le président Joseph Kabila est le grand absent des négociations, alors que le M23 souhaitait vivement sa présence. C'est François Tshibanda, le Ministre des Affaires étrangères, qui s'y colle. Avantage tout de même pour le diplomate : c'est lui qui représentait Kinshasa lors de la signature des fameux accords du 23 mars 2009, que souhaitent renégocier les rebelles. A ses côtés, le vice-président de l'Assemblée nationale, Charles Mwando, plusieurs fois ministre sous Mobutu et ancien gouverneur du "Grand Kivu" pendant 12 ans. Côté rébellion, le président du mouvement, Jean-Marie Runiga sera lui aussi absent du tour de table. De même, l'aile militaire du M23, représentée par Sultani Makenga, ne sera pas à Kampala, il aurait "mieux à faire sur le terrain", selon un membre du M23. Sachant que les ficelles du M23 sont tirées depuis Kigali, on peut supposer que François Rucogoza, ancien ministre de la Justice du gouvernement provincial du Nord-Kivu, et à la tête de la délégation du M23, dispose d'une marge de manoeuvre réduite.

Pas grand chose à négocier avec le M23

Viennent ensuite les contradictions. Et elles sont nombreuses dans les deux camps. A Kinshasa, on a toujours rejeté tout dialogue avec le M23, jusqu'à la prise de Goma. Après le retrait des rebelles de la capitale du Nord-Kivu et sous pression des pays voisins, le gouvernement a été dans l'obligation de s'asseoir à la table des négociations... à reculons. Avant la rencontre de Kampala et alors que le M23 demandait la renégociation des accords du 23 mars 2009, le ministre congolais François Tshibanda affirmait que Kinshasa avait respecté ces accords et donc qu'il n'y avait pas grand chose à négocier avec la rébellion. Aujourd'hui à Kampala, François Tshibanda va donc devoir rediscuter ces accords avec le M23 puisqu'il s'agit de l'exigence minimale des rebelles, qui sont prêts à s'emparer une seconde fois la ville si les négociations traînaient. Tshibanda ne pourra pas esquiver une discussion sur les accords du 23 mars.

Avantage militaire au M23

Une autre contradiction commence à se faire jour dans le camp gouvernemental concernant la stratégie à adopter face au M23. Les militaires congolais, le nouveau chef d'Etat major de l'armée de terre François Olenga en tête, pensent que l'option militaire est encore possible. L'armée congolaise pourrait, selon les généraux, reprendre la main sur le Nord-Kivu et battre le M23 (depuis 8 mois, les FARDC n'ont pourtant jamais dominés les rebelles, ndlr) . Les FARDC espèrent donc que les négociations vont durer assez longtemps pour se réorganiser autour de Goma… et ils l'ont déjà fait. Certaines sources parlent aussi d'un possible soutien du Zimbabwe et de l'Angola qui permettrait de "booster" l'entrain de l'armée congolaise. Pour l'instant, l'avantage militaire est toujours du côté du M23, qui ne s'est retiré que de 20 km de la capitale du Nord-Kivu. Beaucoup à Goma, affirment que des éléments du M23 sont toujours dans la ville. A Kinshasa, dans l'entourage du président Kabila, on affirme au contraire vouloir négocier. Certains pensent qu'il serait même possible au gouvernement d'accéder aux revendications "corporatistes" du M23, concernant l'intégration des rebelles dans l'armée, le "non éloignement" des Kivus ou les grades… Mais un observateur avisé de la région me faisait remarquer qu'il n'imaginait pas un seul instant Sultani Makenga réintégrer les FARDC après 8 mois de rébellion. Pour résumé, le rapport de force militaire sera déterminant : soit Kinshasa arrive à reprendre l'avantage sur les rebelles et rien ne sera négociable, soit le M23 reprend une nouvelle fois Goma et le gouvernement congolais sera obligé de lâcher du leste.

Soutien tardif du M23 à Tshisekedi

Le camp des rebelles ne manque pas non plus de contradictions. Deux lignes stratégiques s'affrontent également. Les militaires, qui s'en tiennent à la renégociation des accords du 23 mars et à la défense de leur territoire, riche en minerais et les politiques, qui élargissent les revendications. Jean-Marie Runiga demande notamment la libération des prisonniers politiques, la dissolution de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), la levée de la privation des mouvements de l'opposant congolais Etienne Tshisekedi et l'arrestation du général John Numbi, soupçonné d'avoir commandité l'assassinat de Floribert Chebeya. La branche politique exige également de discuter des élections frauduleuses de novembre 2011. Sur ce point, la situation du M23 est pour le moins équivoque. Pendant la campagne électorale, l'ex-CNDP (qui deviendra le M23) a été fortement sollicité par Joseph Kabila pour "sécuriser le scrutin" à l'Est du pays. Pour bon nombre d'observateurs, l'ex-CNDP à permis à Joseph Kabila de réaliser d'excellents score dans les zones qu'il contrôlait. Certains parlent même de bourrage d'urnes. Le soutien du M23 apporté au candidat malheureux le présidentielle, Etienne Tshisekedi, sonne bien faux presque 1 an après l'élection. Enfin, une partie radicale de l'aile militaire estime que seul le départ de Joseph Kabila pourrait les contenter. Une revendication qui n'est évidemment pas acceptable par Kinshasa.

A peine commencées, les négociations de Kampala semblent donc piégées. L'ordre du jour n'est toujours pas établi, le calendrier n'est pas fixé et les divergences internes sont trop nombreuses pour entamer un véritable dialogue débouchant sur une paix durable. Il est donc fort à parier, qu'en cas de blocage prolongé, les armes se remettent à parler dans les Kivus.

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

lundi, 10 décembre 2012


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