(Le Figaro
15/10/2012)
Le groupe armé, tranquillement installé dans son nouveau
fief de Rutshuru depuis deux mois, a pu y établir une administration parallèle
des plus complètes
Il y a encore deux mois, le professeur Stanislas
Baleke menait une vie en apparence normale dans sa maison de Haute-Loire, avec
sa compagne française. Impossible de deviner que ce Congolais, diplômé de
philosophie de l'université de Lyon, vivait déjà une double vie comme
porte-parole d'un mouvement rebelle qui met l'est du Congo à feu et à sang
depuis le début du mois de mai.
Peu de groupes armés y auraient pensé,
pourtant le professeur est bien ministre du Tourisme et de l'Environnement au
sein du gouvernement créé par les rebelles du M23 (Mouvement du 23 mars). Le
groupe armé, tranquillement installé dans son nouveau fief de Rutshuru depuis
deux mois, a pu y établir une administration parallèle des plus complètes.
Intérieur, Affaires étrangères, Affaires humanitaires et sociales… tous les
départements nécessaires figurent sur la liste. Et, même si le ministère de la
Jeunesse et des Sports semble surtout préoccupé par l'enrôlement plus ou moins
volontaire de jeunes recrues, la machine est bien rodée.
«Le M23 est très
structuré. Nous pensons à tous les aspects nécessaires au bien-être de la
population et au bon fonctionnement du territoire. Mon objectif est que
l'environnement soit respecté et que les touristes puissent venir voir les
gorilles», explique Baleke.
Avec son physique d'intellectuel, Baleke
détonne quelque peu au milieu des guerriers du M23. Assis dans son bureau de
Rutshuru, une salle grise et mal éclairée, ses propos apparaissent empreints de
naïveté. «Ce que j'ai appris en France c'est le sens de la Révolution, des
droits de l'homme et la revendication de ces droits dans la rue. Je voudrais
appliquer cela au Congo», dit-il.
Convoitise sur les mines
La
«rue», ici, ce sont des chemins de terre défoncés par les pluies torrentielles.
Le peuple qui doit se soulever est entassé dans un camp de déplacés où le
choléra a déjà fait plus de 30 morts déclarées depuis août. Les rébellions à
répétition ont fait de ces gens des «déplacés professionnels», selon la formule
d'un travailleur humanitaire. Plus de dix ans après la fin officielle de la
deuxième guerre du Congo, qui fit quelque 5 millions de morts, la violence
semble inexorable à l'est du pays. La cause, Baleke y croit pourtant dur comme
fer. Comme beaucoup de membres du M23, il appartenait déjà à la rébellion du
CNDP (Conseil national pour la défense du peuple), dont il fut le porte-parole
en Europe de 2006 à 2008. Le leader charismatique du CNDP, Laurent Nkunda, est
proche du président rwandais Kagame. «J'ai beaucoup travaillé avec Laurent,
c'est un vrai révolutionnaire, comme un Che Guevara», affirme
Baleke.
Bien qu'assigné à domicile au Rwanda, Nkunda semble encore tirer
les ficelles. Des rapports des Nations unies ont accusé le gouvernement rwandais
d'être à l'origine de ces rébellions qui serviraient les intérêts économiques du
«pays des milles collines». Les ressources naturelles de la RDC sont colossales,
et le contrôle des mines à l'Est attise toutes les convoitises. Kigali, bien
sûr, nie tout en bloc. Les preuves s'accumulent cependant, et les contradictions
du mouvement font surface. Le M23 affirme avoir été créé de manière spontanée,
en mai, par des officiers de l'armée congolaise déçus par le gouvernement de
Kinshasa. Baleke admet pourtant que des réunions remontant à janvier 2012 ont eu
lieu au Kivu avec Sultani Makenga, le leader militaire du mouvement. À Kinshasa,
alors que les dirigeants des pays de la Francophonie ont demandé au Conseil de
sécurité de l'ONU «d'adopter des sanctions ciblées contre tous les responsables
des exactions commises» dans l'est de la RDC, le Rwanda a «émis une réserve» sur
cette requête.
Les condamnations internationales se multiplient sans
qu'aucune solution ne soit trouvée, ou que quiconque n'ose prendre des mesures
contre le Rwanda. Samedi, François Hollande a dénoncé les agressions extérieures
dont est victime la RDC, sans désigner Kigali spécifiquement.
Pendant ce
temps, le M23 se renforce, profitant de la trêve que lui accorde le
cessez-le-feu. La population, elle, souffre silencieusement. «Nous sommes déjà
tellement détruits, et nous avons déjà tellement crié, dit Judith, 52 ans. Moi,
je n'ai plus de voix pour exprimer ma douleur.»
Par Mélanie Gouby
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