mercredi 24 octobre 2012

Kinshasa –Paris : calmer la tempête

 (Le Potentiel 24/10/2012)

Entre Paris et Kinshasa, c’est désormais « je t’aime, moi non plus ». L’escalade verbale est à son comble. Pour preuve, la dernière sortie médiatique du porte-parole du gouvernement. Lambert Mende n’y est pas allé par le dos de la cuillère pour prendre à partie le président François Hollande et les médias français. L’allure prise est telle que l’on craindrait une rupture diplomatique. Faudrait-il en arriver là? D’aucuns conseillent aux deux parties de tempérer leurs ardeurs, d’aplanir leurs différends avant de clamer la tempête. Cela au bénéfice de leurs peuples respectifs.

Kinshasa et Paris ne se font plus de cadeaux. Les deux capitales semblent engagées dans une gué-guerre qui risque d’aller très loin. En cause, une lecture divergente du processus démocratique et le respect des droits de l’Homme en RDC. Le déclic est parti de la tenue ou non du 14ème Sommet de la Francophonie à Kinshasa. Les tergiversations qui ont entouré le choix de la capitale congolaise pour cette grand-messe des pays ayant en partage la langue française a achoppé sur le doute qui pesait sur la participation du président français François Hollande.

Ce dernier n’était pas chaud et il l’avait exprimé à haute voix. Selon lui, le pouvoir de Kinshasa péchait par le non respect des droits de l’Homme et accusait un déficit relativement criant à la démocratisation. Il brandissait des dossiers tels l’assassinat de l’activiste des droits de l’Homme Floribert Chebeya et de son chauffeur Fidèle Bazana, de même que les insuffisances de la CENI (Commission électorale nationale indépendante) lors des élections couplées de novembre 2011. A l’époque, on avait fait état de fraude massive et autres falsifications des résultats pour les candidats aux deux scrutins.

Le président français avait fait de ces dossiers des préalables à sa participation au sommet de Kinshasa. Après échange d’émissaires, François Hollande avait finalement reçu des garanties sur la prise en compte des préalables, notamment la poursuite du procès Chebeya, la création d’une Commission nationale des droits de l’Homme et la restructuration de la CENI.

Au final, le président français a fait le déplacement de la capitale congolaise et la rencontre a été reconnue par tous comme un succès. Lequel devrait en principe servir de détente entre Kinshasa et Paris. Que nenni. D’abord, Français Hollande est revenu sur ses préoccupations en matière de droits de l’Homme et de démocratie en RDC. La polémique a repris de plus belle, d’abord dans la presse où l’on s’est appesanti, entre autres, sur des incidents diplomatiques qui auraient émaillé le sommet.

Il n’en fallait pas plus pour mettre en branle le ministre congolais des Médias et porte-parole du gouvernement, Mende Omalanga. Ce dernier a animé mardi un point de presse structuré en trois points, à savoir le 14ème Sommet de la Francophonie de Kinshasa, le rapport des experts des Nations unies sur l’Est de la RDC et le lynchage médiatique autour de l’affaire Chebeya. Nous n’en retiendrons que deux.

D’entrée de jeu, Lambert Mende relance la polémique en disant que le président français n’a pas eu l’occasion de suivre l’évolution de la situation sur place à telle enseigne qu’il s’est trompé dans son appréciation. Selon lui, François Hollande avait cru que grâce à lui, la CENI et la Commission nationale des droits de l’Homme avaient commencé à se réunir. « Pourtant, au moment où il prenait la parole », note Lambert Mende, ni la Commission électorale relookée, ni la Commission nationale des droits de l’Homme n’étaient en mesure de se réunir pour la simple raison qu’elles n’étaient pas encore constituées ; la CENI attendait et attend toujours un accord entre la majorité et l’opposition parlementaire sur les amendements à la loi qui l’organise ». L’ignorance et la méconnaissance des réalités congolaises, le porte-parole du gouvernement les met également dans le chef des députés français qui ont accompagné leur chef d’Etat au sommet de Kinshasa.

Ceux-ci auraient, indique-t-il, demandé au président de l’Assemblée nationale congolaise de faire libérer deux députés congolais de l’opposition, en l’occurrence Diomi Ndongala et Roger Lumbala pour lesquels une demande d’autorisation des poursuites pénales a été introduite par le Parquet général de la République. Selon le ministre Mende Omalanga, ces députés étaient « manifestement obnubilés par des besoins d’image irrépressibles » au point où, en venant au Congo, ils n’avaient pas pris la peine de bien lire leurs dossiers.

S’agissant du lynchage médiatique autour de l’affaire Chebeya, le porte-parole du gouvernement prend à partie RFI et France 24, qu’il qualifie de médias publics français. Dans le lot tombe aussi le cinéaste belge Thierry Michel. A RFI, il reproche le fait d’avoir, le 17 octobre, fait parler une personne parlant à visage couvert mais se présentant comme l’ancien major de la police Paul Mwilambwe. Ce dernier, qui se cacherait en multipliant des preuves de sa véritable identité en brandissant son passeport à l’écran, formule des accusations graves contre le chef suspendu de la police congolaise le général John Numbi mais aussi contre le président Joseph Kabila. Le premier aurait ordonné l’assassinat de Floribert Chebeya et de son chauffeur Fidèle Bazana sur instruction du second.

Lambert Mende estime que ce lynchage médiatique de RFI et France 24 s’inscrit dans le cadre d’une campagne de dénigrement, mais encore plus pour livrer un dirigeant africain à la vindicte populaire avant de lui régler son compte.
Comme on le voit, le ton est monté d’un cran. C’est à se demander si les deux parties ne vont en arriver à se déplumer mutuellement et publiquement. Autrement dit, la rupture est vite arrivée.

Cette perspective n’est pas à encourager. Elle ne profiterait à personne. La France a beaucoup fait pour la RDC, surtout sur le plan international. Quant à la RDC, qui n’est pas moins un partenaire de l’Hexagone, elle ne devrait pas se complaire à grossir les rangs de ses ennemis. Au contraire, elle devrait, dans cette passe difficile qu’elle traverse, se créer davantage d’amis et de sympathisants. D’où, les incidents décrits ci-dessus ne mériteraient pas d’être montés en chandelle. L’on devrait, plutôt, tempérer les ardeurs de part et d’autre, calmer la tempête en l’air et chercher un terrain d’entente pour revenir aux bons sentiments.



Écrit par LE POTENTIEL


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