dimanche 11 mars 2012

Episode IV : Plans états-unien et belge d'extermination de Lumumba : opération L, "Barracuda", tentatives d'assassinat par la CIA.

PRESSAFRIQUE 22.10.05
Comment l'Américafrique, la Belgafrique, la Françafrique et l'Organisation des Nations Unies furent les fossoyeurs de Lumumba et de la démocratie congolaise naissante
Episode IV : Plans états-unien
et belge d'extermination de Lumumba : opération L, "Barracuda", tentatives d'assassinat par la CIA.


Dès le mois d'août 1960, les Etats-Unis et la Belgique complotent pour éliminer physiquement Lumumba. A cette fin plusieurs plans sont envisagés pour se débarrasser du représentant du peuple congolais, premier ministre élu démocratiquement dans un régime parlementaire.
Chronologiquement, le premier plan d'assassinat connu est celui développer par les autorités belges : l'opération L.Elle fut planifiée le 2 aout.

Opération L
C'est dans les papiers du major Jules Loos, conseiller militaire du ministère belge des Affaires africaines et dans ceux d'Edouard Pilaet que l'on retrouve un document où les autorités belges envisagent l'asssassinat de Lumumba (Les secrets de l'Affaire Lumumba * , Luc De Vos, Emmanuel Gerard, Jules Gérard-Libois, Philippe Raxhon ; p.141). A mots couverts il s'agit d'assurrer son élimination en trouvant des personnes proches de son entourage pour favoriser son élimination par empoisonnement ou plus exactement par une substitution de médicaments.
Les secrets de l'Affaire Lumumba *. Luc De Vos, Emmanuel Gerard, Jules Gérard-Libois, Philippe Raxhon, p.141-142. Ed. Racine
"extrait de "l'opération L. Suggestions", note dactylographiée non signée, s.d 2p.; PL 6d (fac-similé, p.626-627) et Papiers Pilaet.
2. Quelques considérations quant au moyen d'entamer l'opération L.
a/ Le goût de l'intéressé pour les femmes est fort connu. Il y a peut-être là un moyen de l'amener à se départir de ses mesures habituelles de sécurité personnelle.
b/ Le contact avec ses adversaires politiques doit absolument être envisagé, car ces derniers sont parmi les mieux placés pour aider dans le domaine du renseignement et même de l'action...
c/ Parmi les collaborateurs européens de l'intéressé, il est acquis qu'un certain nombre...se sentent maintenant engagés au-delà de ce qu'ils auraient souhaité. Certains voudraient pouvoir faire machine arrière, ou au moins se constituer un "dossier L". Cette tendance pourrait être exploitée, en prenant le maximum de précautions, compte tenu du manque de moralité des intéressés et de leur versaltilité criminelle.
d/ Il est vraisemblable que le sieur L. ne parvient à tenir son train de vie, son énergie et son dynamisme qu'à l'aide de drogues, soit coutumière, soit pharmaceutiques. Dans ces deux cas, il doit avoir des fournisseurs, des "conseillers médicaux", en tout cas des personnes possédant sur l'intéressé une influence très grande. Une substitution de médicaments pourrait peut-être envisagé..."

Opération Barracuda
Le plan Barracuda consistait en l'enlèvement de Lumumba par des supplétifs autochtones en vue d'assurer son élimination.
"Vandewalle parle de Noël Dedeken dans ses Mille et quatre jours : sur ordre d'un "général belge", le major Loos, adjoint du ministre d'Aspremont Lynden, a envoyé Dedeken au Katanga au cours de l'été 1960. L'ancien chef de la compagnie des commandos de l aforce publique doit enlever Lumumba et forme en vue de cette action une trentaine de Baluba" (Ludo de Witte, L'Assassinat de Lumumba, Ed. Karthala , p.68). Pour information les Baluba qui avaient pris part à la sécession du Kasaï ont subi les massacres des troupes congolaises de l'ANC dirigées par Mobutu, une des raisons pour laquelle celui-ci sera renvoyé de son poste de chef d'état-major de l'armée congolaise par Lumumba** . Ce projet "Barracuda" est couvert au plus haut niveau, c'est à dire par le gouvernement belge. "L'Affaire a été traitée au plus haut échelon, car le ministre des Affaires africaines a donné le feu vert pour l'opération. Loos écrit à Marlière : "D'ordre du ministre coordination assuré par Marlière qui doit renseigner Minaf (=Affaires africaines) ; celui-ci, sauf urgence, jugera opportunité". Le message est clair : le ministre appréciera l'opportunité de l'élimination de Lumumba, sauf urgence. Autrement dit dans ce cas le ministre couvrira l'assasinat. Brazzaville est également impliqué dans l'action, car Marlière promet à Loos de discuter de l'affaire avec le consul général Dupret. Ces télégrammes démontrent sans ambiguïté que Bruxelles, quelques semaines après la décision de Washington de traiter "l'éloignement" de Lumumba comme point prioritaire, veut prendre l'action en mains". (Ludo de Witte, L'Assassinat de Lumumba , Ed. Karthala, p.68).

Les plans états-uniens
Dès le mois d'aout, les autorités américaines passent d'une hostilité méprisante de réserve à l'égard de Lumumba à l'échaffaudage de plan d'élimination physique. Il n'est pas pensable pour les USA tributaires des matières premières (notamment de l'Uranium congolais) que ce peuple puisse accéder à l'autodétermination et être indépendant quand à la vente et à la distribution de ses richesses. Qui plus est, après avoir refusé d'aider Lumumba à lutter contre l'invasion belge, les USA voient d'un très mauvais oeil le soutien soviétique apporté à Lumumba. Enfin la position géostratégique de la République Démocratique du Congo véritale sous-continent au centre de l'Afrique fait considérer que celui qui contrôle le Congo contrôle l'Afrique subsaharienne.
C'est à partir du 12 au 15 aout que les USA vont entériner des plans d'extermination de Lumumba au plus haut niveau. Le président Eisenhower influencé par le lobby militaro-industriel évoque à mot couvert l'élimination de Lumumba. Allen Dulles, chef de la CIA considère la préoccupation exprimée par le président Eisenhower lors de la réunion du conseil national de sécurité du 18 août 1960 comme un accord pour éliminer Lumumba. Selon Luc de Vos et collaborateurs (Les secrets de l'affaire Lumumba, p.142), le rapport Church de 1975 mentionne au moins tois tentatives d'assassinat par la CIA. (Allegged Assasination Plots Involving foreign Leaders. An Interim Report of the Select Committee To Study Governmental Operations With Respect to Intelligence Activities Senate Reports N°94-465, 94th Congress ; 1st Session ; 20 novembre 1975). Ces documents montrent que toutes ces actions ont été approuvées dans les plus hautes sphères de l'administration de Eisenhower, soit le Conseil de Sécurité National, soit le " Special Group ", composé du conseiller national à la sécurité, du directeur de la CIA, du sous-secrétaire d'état aux affaires politiques et du secrétaire adjoint à la défense.

Une tentative fut organisée par l'agent QJ/WIN avec l'assentiment des autorités belges d'après Luc Vos et collaborateurs (Ibid, p.143). L'agent né en Belgique a été recruté en Belgique par la CIA. D'autres tentatives vont aussi avorter en ce mois d'aout. Le rapport Church fait aussi état d'une tentative d'assassinat par un tireur d'élite mais sans succès.
Le chef des opérations secrètes de la CIA, Richard Bissell a déclaré : "La CIA étudia un éventail de méthodes pour se débarrasser de Lumumba, dans le sens de le détruire physiquement, de le mettre hors combat ou d'éliminer son influence politique". (Ludo de Witte, p.56, L'Assassinat de Lumumba ). Ce fut selon Ludo de Witte (ibid, p.56), un scientifique de la CIA, nommé Gottlieb qui reçu l'ordre de rassembler du matériel biologique dans le "but d'assassiner un dirigeant africain non identifié".
Un haut fonctionnaire américain, confirme cette planification d'assassinat dans le documentaire CIA, guerre secrète réalisé par William Karel.

Etats-Unis : la règle du jeu. Afrique : l'étoile noire (2/3). Documentaire. Scénario et réalisation de Peter Du Cane et Matthew Kelly. Production Australian Film Finance Corporation/Electric Picture/Wildfilm Australia

Visualiser l'extrait cliquez ici

" 15 ans plus tard j'ai lu le rapport Church sur l'assassinat des dirigeants étrangers. J'ai découvert que sur deux asassins de la CIA l'un était un tireur d'élite l'autre était un empoisonneur."

"
Le directeur scientifique de la CIA est allé au Congo avec ce qu'ils appelaient un matériel biologique mortelle en réalité un virus quelcquonque. Mais il était incapable d'introduire quelqu'un dans l'entourage proche de Lumba. Les Etats-Unis ont alors commencé à comploter avec d'autres personnes au Congo des opposants à Lumumba pour le tuer de façon plus traditionnelle".


Larry Devlin, responsable de la CIA à Léopoldville ainsi que Franck Carlucci à l'époque fonctionnaire de la CIA à l'ambassade des USA à Léopoldville ( futur directeur adjoint de la CIA qui fondera le Carlyre Group) confirment ces tentatives d'assassinat.
CIA guerres secrètes : 1947-1977 : opérations clandestines. Réalisé par William Karel

visualiser un extrait cliquez ici
Le 30 juin 1960, le Congo belge accède à l'indépendance. Le premier ministre est le leader de gauche Patrice Lumumba. Or les Etats-Unis convoitent les immenses ressources minière sdu pays. Lumumba ne restera au pouvoir que deux mois.
William Blum, haut fonctionnaire au département d'Etat US : "C'était un très mauvais exemple pour le reste de l'Afrique. C'était inacceptable (pour les autorités américaines, ndlr). Son sort était joué dès cet instant, il fallait donc le renverser."

Charles Cogan, directeur du contre-espionage de la CIA 1995-1998 : Il y a eu une réunion le 18 aout 1960 et Eisenhower a laissé entendre qu'il aimerait bien qu'on le débarrasse de Lumumba.

Franck Carlucci directeur adjoint de la CIA (1978-1981) : "j'étais à l'ambassade et j'ai suggéré que l'on pouvait évincé Lumumba de son poste de premier ministre...l'ordre avait été donné d'essayer d'éliminer Lumumba. Ils ont fait parvenir du dentrifrice empoisonné au responsable de l'agence au Congo mais il a refusé de s'en servir"...

Charles Cogan, directeur du contre-espionage de la CIA 1995-1998 : "Mais Allen Dules a cru comprendre lors de cette réunion du conseil de sécurité natinale qu'on lui laisserait carte blanche et c'est ce qu'il a fait".

Franck Carlucci Franck Carlucci directeur adjoint de la CIA (1978-1981) : "L'ordre avait été donné d'essayer d'éliminer Lumumba. Ils ont fait parvenir du dentrifrice empoisonné au responsable de l'agence au Congo mais il a refusé de s'en servir.

Un responsable de la CIA au Congo : Nos agents n'étaient pas prêts à s'impliquer dans un assassinat.

Franck Carlucci directeur adjoint de la CIA (1978-1981) : J'ai donc proposé une solution politique mais d'autres à Washington ont pensé qu' un autre type d'intervention serait plus approprié. "

Le chef de la CIA au Congo, Larry Devlin, est sans ambiguïté sur l'intention des USA d'éliminer Lumumba.
Mobutu roi du zaïre (1/3), réalisé par Thierry Michel

Larry Devlin : "Entre le 12 et 15 août, je pense. Les USA ont décidé qu'il était préférable qu'un nouveau gouvernement arrive au pouvoir. Lumumba devait partir. La décision a été prise au plus haut niveau. A l'époque on m'a dit qu'elle venait du président des Etats-Unis mais rien ne permet de le prouver ou de le démentir. Lumumba devait être éliminé phyiquement. Cela n'a jamais été communiqué par écrit. J'ai reçu l'instruction qu'un certain Joe. Une personne qui se présentait comme Joe de Paris, allait arriver, que je le reconnaitrais comme étant un officier de la CIA, un officier supérieur de a CIA, et que je devais prendre mes instructions auprès de lui. Un jour que je sortais de l'ambassade, j'ai reconnu un homme qui attendait de l'autre côté de la rue. Et il m'a dit qu'il avait été décidé que Lumumba devait s'en aller et que s'il ne pouvait pas être éliminé politiquement il devait l'être physiquement".

Si les plans états-uniens et belges n'aboutissent pas en août 1960, les deux alliés (on verra que la donne géopolitique n'est pas si simple) semblent converger vers un consensus : l'élimination politique de Lumumba est devenu la priorité absolue à la fin du mois d'août. Et tous leurs efforts tendent vers ce but notamment, comme on l'a vu dans les plans américains et belges échaffaudées au mois d'août, par l'instrumentalisation de l'opposition politique en vue de destituer Lumumba.
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* même si nous considérons que les auteurs de ce livre tendent à "euphémiser" les responsabilités belges, ce livre regorge de documents très intéressants.

** ajout : Lumumba n'eut pas le temps de le faire. Mobutu était à l'époque colonel et non chef d'état-major, rôle dévoué à Lundula. Mobutu par contre était bien à la tête de l'ANC dans le Kasaï où il dirigeait les opérations offensives.

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