dimanche 11 mars 2012

Episode X : le 1er décembre 1960 l'arrestation de Lumumb

Episode X : le 1er décembre 1960 l'arrestation de Lumumba


"Le 3 décembre à 14h00 Z arrive de Lubumbashi (indicatif GR38) le message ci-après : "Votre message ce matin relatif transfert le Diable et contrairement réponse transmise midi, le Juif être d'accord si demande officielle lui transmise pour transfert Katanga sous responsabilité gouvernement Léo"(1).
Déclaration de Paul Heureux, opérateur du colonel Marlière à Brazzaville du 20 octobre au 10 décembre 1960, devant la commission d'enquête parlementaire belge du 10 septembre 2001. (cité par Luc de Vos et coll., Les secrets de l'Affaire Lumumba p.272).
Le voyage de Lumumba vers Stanleyville fut un tel succès qu'il entraîna sa perte. Dès le mardi 29 novembre, suite à un meeting aux environs de Bulungu, Lumumba est repéré par des coopérants européens et signalé aux autorités de Léopoldville (voir épisode IX ). L'ambassadeur belge à Brazzaville fait suivre les informations obtenues par son agent Crokart dans un télex en date du 30.11.1960 : " 1. Le 29 matin trace de Lumumba relevée près Kikwit. Il devait tenir réunion vers 10h30. Mesures ont été prises par Mobutu pour couper accès Kasaï mais difficultés d'exécution. Situation est paisible à Léo. Les commissaires généraux commencent rendre compte gravité de la situation. En région Kikwit troubles à craindre provoqués par agitation PSA. Ainsi un des trois avions transportant commandos n'a pu atterrir à Kikwit suite obstruction plaine par engins divers..." (Luc de Vos et coll., Les secrets de l'Affaire Lumumba p.267). Le soir du 30 novembre Lumumba arrive à Brabanta et y retrouve d'autres nationalistes en fuite, notamment Pierre Mulele, Remy Mwamba, Valentin Lubuma et Gabriel Yumbu.
Tandis que le cortège de Lumumba roule à vive allure vers Stanleyville sur les chemins menant a Port-Franqui, des avions de reconnaissance sont envoyés, soit disant à la demande de Mobutu, par les autorités belges et la CIA pour retrouver Lumumba. Deux avions de la Sabena avec à leurs commandes des pilotes européens partent en repérage. Un autre avion piloté par le fameux Raymond (cf.
épisode IX ) propriétaire de la compagnie Air Brousse est aussi envoyé à la recherche des "fugitifs". Comme le revèlera la Sûreté belge, le CRISP et Brassine (cf. Luc de Vos,et coll., Les secrets de l'Affaire Lumumba p.268-269), c'est le pilote belge, Arsène Ruwet, qui repèrera la trace de Lumumba sur la route menant à Port-Franqui.

Après un nouveau meeting dans l'après-midi, Lumumba passe Port-Franqui dans la journée du 1er décembre et repart vers Stanleyville. Dans la nuit du 1er au 2 décembre il atteint Lodi sur la rive gauche de la Sankuru large de 600m, l'ultime obstacle qui le sépare de Stanleyville. De l'autre côté de la rivière la province est exclusivement nationaliste et les forces supplétives de Mobutu sont quasiment inopérantes. Lumumba vers minuit avec Mulele, Lubuma et Kamishanga traversent et arrivent sur la rive droite de la Sankuru tandis que les autres attendent la pirogue. De l'autre côté attendent la femme de Lumumba, son fils Roland et certains de ses ex-ministres. La légende veut que Lumumba sachant sa famille et ses amis capturés par les forces de l'ANC pro-Mobutu décida de retraverser avec la pirogue pour aller secourir ses proches. Toujours est-il que lorsque Lumumba retraverse la Sankuru dans l'autre sens pour aller chercher ses proches il sera arrêté par les soldats de Mobutu. Mulele qui était resté sur l'autre rive rejoindra Stanleyville sans encombres. Lumumba a un tel talent d'orateur et est si charismatique qu'il finit presque par convaincre les troupes de les relâcher au nom d'un Congo indépendant mais des renforts surgissent et arrêtent Lumumba, sa femme et son fils ainsi que les ex-ministres Mpolo et Gizenga (erratum il s'agit en fait d'Okito. Gizenga à la tête du gouvernement de Stanleyville depuis le 12 décembre sera arrêté beaucoup plus tard ;En réalité Okito et Mpolo ont été arrêtés par les troupes de Mobutu à Mushie et seront transférés ultérieurement à Léopoldville où ils rejoindront Lumumba en captivité lors de son transfert vers Elisabethville. Les deux autres ex-ministres du MNC, Mujanay et Mbuy, qui sont partis avec eux de Léopoldville n'obtiendront pas de sursis. Arrêtés au Kasaï, ils seront massacrés sur le champs; modif du 10.12.05) . Le groupe est alors transféré vers Mweka. C'est alors que le chauffeur de Lumumba fonce vers un camps de l'ONU déténu par des troupes ghanéennes. Brassine raconte (cité dans
L'Assassinat de Lumumba
Ludo De Witte, Edition Karthala
p. 132) :
" Profitant d'un relâchement de la vigilance des gardes ANC, le chauffeur de P. Lumumba (...) un lieutenant ghanéen (...) aurait expliqué qu'il n'avait pas mission de le prendre sous sa protection. Des soldats congolais arrivent alors sur les lieux, trouvent Lumumba accoudé à l'arrière de la Peugeot, le frappent à coups de crosse et l'emmènent. S'étant insurgés contre l'attitude de leur officier, des soldats ghanéens libèrent les autres fugitifs, prisonniers et menacés au centre de Mweka, mais leur intervention tardive ne peut plus sauver le Premier congolais".

De fait, l'ONU avait laissé pour consigne de ne pas intervenir en cas d'arrestation de Lumumba comme l'atteste les consignes laissées par le général von Horn, commandant en chef des forces de l'ONU : "Aucune, répète : aucune action concernant Lumumba ne peut être entreprise par vous. Nous n'étions responsables pour sa sécurité que dans sa maison à Léopoldville. Il a toujours été entendu et annoncé publiquement que c'est à ses propres risques qu'il tenterait de sortir de sa maison". (
L'Assassinat de Lumumba
Ludo De Witte, Edition Karthala
, ibid, p.133). Dayal confirme les consignes du commandant en chef des forces de l'ONU dans un télégramme au secrétaire général Hammarskjöld le 1er décembre : "[Les Ghanéens] ont signalé hier en passant, leur intention de prendre en détention protectrice si la demande leur était adressée. Nous avons clairement défendu notre point de vue que seulement dans sa résidence, il se trouvait sous la protection de l'ONU". (ibid, p.133). En d'autres termes, l'ONUC a livré Lumumba aux soldats de Mobutu à qui il avait faussé compagnie. Ceci est consigné dans les archives de l'ONUC, "Summary of events leading to the arrest of Mr Patrice Lumumba at Mweka in Kasaï Province on 2nd December 1960", dans un télégramme de Dayal à Hammarskjold : "La première réaction [de la brigade ghanéenne] quand elle apprit que Lumumba avait renoncé à la protection de l'ONU à Léopoldville, fut de lui assurer une détention de protection dans l'hypothèse d'un danger d'arrestation ou de blessure. Elle (...) reçut des instructions très précises : sous aucun prétexte, aucune action concernant Lumumba ne peut être entreprise. Ces instructions ont été suivies à la lettre". (ibidem, p. 134)

Le 2 décembre, à Port-Franqui, Lumumba est alors livré par les soldats de Mobutu à Gilbert Pongo, adjoint de Nendaka le chef de la Sûreté de Mobutu. Dès lors un débat s'engage entre le pilote belge qui veut favoriser la livraison de Lumumba aux autorités sécessionistes d'Elisabethville pour comparaître en raison de "crimes de droit commun" et Gilbert Pongo qui refuse cette consigne. De toute évidence il y avait des consignes des autorités belges pour transférer le groupe vers leur pire ennemi au Katanga où les paras belges encadraient les forces supplétives d'Elisabethville. C'est ce que révèla Paul Heureux lors de la commission d'enquête belge sur la mort de Lumumba en septembre 2001 (
texte en entête ). Le pilote de l'avion tenta tout pour que l'avion soit détourné sur Elisabethville selon la Sûreté belge,le CRISP et Brassine (cf Luc de Vos et coll., Les secrets de l'Affaire Lumumba p. 269). "Remis dans l'avion, le pilote a fait tout ce qu'il a pu pour convaincre Gilbert Pongo d'aller atterir à Elisabethville, mais ce dernier, fidèle à l'ordre reçu du chef de la Sûreté, est parvenu à convaincre le pilote de rentrer à Léopoldville"(cité par Luc de Vos et coll., ibid, p.268). Arsène Ruwet, le pilote décéda d'un accident de voiture en Belgique peu après les évènements.

Le samedi 3 décembre, l'agent belge Crokart adresse à Bruxelles le télégramme suivant : "Après arrêt camp Kokolo, intéressé devrait être dirigé vers camp Hardy à Thysville. Autorités Léopoldville vont prendre contact, semble-t-il, avec autorités Katanga pour obtenir accord ce dernier en vue transfert Lumumba prison Katanga. Actuellement, aucun renseignement sur état d'esprit Kasavubu mais action entreprise par intermédiaire aile progressiste Abako et entourage en vue obtenir fermeté sa part..." (ibidem, p. 272).

Pour Ludo de Witte (
L'Assassinat de Lumumba Ludo De Witte, Edition Karthala p. 135), il s'agit pour Bruxelles de décharger le régime faible et aux abois de Léopoldville de personnalités nationalistes de premier plan dont la popularité et la légitimité excèdent celles de Mobutu et Kasavubu réunis.

Samedi prochain :
Lumumba humilié, Lumumba torturé, Lumumba emprisonné
__________________________________________________________
A l'époque pour la Sûreté militaire belge : le "Diable" désignait Lumumba et le "Juif" Moïse Tshombe.

__________________________________________________________
Dernière modif : le 10.12.05

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire