dimanche 11 mars 2012

Episode V : La résistible ascension de Mobutu, "gouverneur à peau noire" au service de l'Occident

PRESSAFRIQUE 29.10.05Comment l'Américafrique, la Belgafrique, la Françafrique et l'Organisation des Nations Unies furent les fossoyeurs de Lumumba et de la démocratie congolaise naissante
Episode V : La résistible ascension de Mobutu, "gouverneur à peau noire" au service de l'Occident


"Quand les provinces ou les cités conquises avaient coutume de vivre, comme je l'ai dit, en liberté, sous leurs propres lois, il y a trois façons de s'y maintenir : la première de les détruire ; la seconde d'y aller demeurer en personne ; la troisième, de les laisser vivre selon leurs lois, en prélevant des tribus après y avoir établi un gouvernement peu nombreux qui te conservera leur amitié. Ayant été créé par le conquérant, ce gouvernement sait en effet qu'il ne peut durer sans sa puissance et sa faveur et qu'il doit faire tous ses efforts pour le satisfaire."
Comment on doit gouverner les villes ou principautés qui, avant d'être conquises, vivaient sous leur propre loi. Chapitre V. Le Prince de Machiavel.
Si Mobutu parvint au pouvoir en renversant Lumumba au travers d'un coup d'état militaire c'est essentiellement grâce au soutien de la CIA et de la Belgique. L'essentiel des subsides que recevaient Mobutu provenaient de la CIA et de la Belgique.

Le Dr Weissman, directeur du personnel de la sous-commission de la chambre des Représentants des Etats-Unis sur l'Afrique de 1986 à 1991 a révélé dans, The Washington Post, l'existence d'un "Project Wizard" ou "Projet sorcier" non déclassifié par la Commission Church en 1975. Selon le Dr Weissman, le "Project Wizard" était un programme d'action secret mené par la CIA approuvé par le président Eisenhower et couvert par le Conseil de Sécurité Nationale, soit le "Special Group", composé du conseiller national à la sécurité, du chef de la CIA, du sous-secrétaire d'état aux affaires politiques et du secrétaire adjoint à la défense.

Le "Project Wizard" créé en août 1960 par la CIA avait pour but de destituer Lumumba. Ainsi des "documents états-uniens d'archive montrent que la CIA à partir du mois d'août a fait travailler et payer huit haut fonctionnaires congolais - y compris le président Kasavubu, Mobutu (chef d'état-major des armées), le ministre des affaires Justin Bomboko, le conseiller financier Albert Ndele, le président du Sénat Ileo, et le leader syndical Cyrille Adoula - qui ont tous joué un rôle dans la chute de Lumumba." Révélations sur le rôle joué par les Etats-Unis dans l'assassinat de Lumumba. Stephen R. Weissman, Washington Post, juin 2002.

Le 27 octobre, le Special Group autorise la CIA à financer directement Mobutu et son gouvernement à hauteur de 250.000 dollars (de l'époque) puis ce sera la CIA, la Belgique qui fourniront des armes, des munitions et l'entraînement militaire des forces armées de Mobutu. (
Dr Weissman, ibid). "L'argent pour Mobutu provenait de toute façon également de Bruxelles : dans un message de l'adjoint du ministre des Affaires africaines de fin septembre, nous lisons qu'il a dégagé vingt millions de francs belges pour payer les soldes en vue de soutenir Mobutu". (L'Assassinat de Lumumba, Ludo de Witte, Ed. Karthala, p.75). Le chef de l'ONU, Dayal, révéla : "Des officiers de liaison des Nations Unies...racontèrent que des attachés militaires occidentaux rendaient visite à Mobutu, les coffres bourrés de paquets enveloppés dans du kraft que, serviables, ils posaient sur sa table. Nous ne savions pas ce que c'était, mais ne pouvions nous empêcher de deviner." (L'Assassinat de Lumumba, Ludo de Witte, Ed. Karthala, p.75). Quant à l'ONU, alors que Lumumba élu démocratiquement a été destitué par un coup d'état, elle payera les salaires des militaires congolais sous la coupe de Mobutu.
Mobutu fut au départ l'homme lige de la CIA et de la Belgique avant d'être adoubé et secouru par la Françafique dans une alliance transatlantique évidente faisant penser à un dispositif digne de la mafiafrique. Mobutu rencontra Lumumba en 1958, Mobutu était à l'époque sergent dans la Force publique dirigé par les Belges. Mobutu fut en fait enrôlé de force par les colons belges dans la Force Publique en 1950 en raison de comportement d'insoumission lors de ses études chez les pères missionnaires. Celui-ci rêvait de devenir journaliste, il eut l'occasion d'écrire dans le journal "Affaires Africaines". Il quitta la Force Publique pour devenir journaliste à "Affaires Africaines" avant de devenir rédacteur en chef et c'est là qu'il y rencontra Patrice Emery Lumumba en juillet 1958. Il rencontra Lumumba au moment où celui-ci était VRP pour une entreprise belge de vente de bière tout en étant le leader indépendantiste dont la popularité ne cessait de croître. Ils ont sympathisé assez rapidement et Mobutu deviendra secrétaire délégué du parti de Lumumba, le MNC, ce qui ne fut pas sans entraîner des réprobations au sein du parti. Lors d'une discussion à Bruxelles en 1960 sur l'indépendance politique, Mobutu fut exclu par les membres de la réunion au prétexte qu'il n'était pas un élu politique. Il y avait une certaine suspiction notamment de la part de Maurice Mpolo très proche de Lumumba. Dans l'ombre de Patrice Lumumba, Mobutu parlait peu mais écoutait beaucoup ( Documentaire Mobutu roi du Zaïre , Thierry Michel). Plus tard lorsque Lumumba voulu nommer Maurice Mpolo à la tête de l'Etat-major, les conseillers belges de Kasavubu et certains proches de Kasavubu lui reprochèrent son manque d'expérience et orientèrent plus Lumumba vers Mobutu qui était sergent dans la Force Publique. En Belgique, Mobutu allait parfaire son carnet d'adresse. Apprenti journaliste, il aimait les dîners mondains et semblaient facilement "civilisable" selon les canons de la royauté et de la bourgeoisie belge. Mobutu à l'encontre de Lumumba ne se cachait pas en Belgique d'être un grand admirateur du roi Baudoin depuis sa plus tendre enfance. C'est à cette période que l'on présume qu'il fut approché par la CIA avant même la proclamation de l'indépendance.

Il gardera pendant une grande partie de son règne de roi Ubu des liens étroits avec la CIA. Ainsi Georges Bush père, président des USA, lui gardera un soutien indéfectible depuis l'époque où il avait été directeur de la CIA dans les années soixante-dix . Leur lien d'amitié ira jusqu'à l'adoption par la famille Bush de deux enfants de Mobutu (d'après le
documentaire Mobutu roi du Zaïre ). Dans la tactique états-unienne, Mobutu était la pièce maîtresse permettant aus USA de s'assurer du contrôle des richesses faramineuses du Congo à bas prix, de s'assurer de la main mise sur une région géopolitiquement cruciale comme point névralgique et central de l'Afrique et enfin d'endiguer l'influence soviétique en Afrique dans le contexte de la guerre froide. L'activation de Mobutu s'est sans doute faite au moment où lui-même avait été lâché par Lumumba suite aux massacres du Kasaï. Ces massacres furent dirigés par Mobutu, Lumumba avait l'intention de le remplacer par Lundula, chef des armées.

A l'instar de nombreux gouverneurs installés dans les néocolonies françaises comme
Albert Bongo, Eyadéma, Bokassa...il fut souvent tributaire des ordres de ses parrains coloniaux. Ainsi le 16 septembre, deux jours après qu'il ait démi Lumumba, Georges Denis conseiller belge de Kasa Vubu écrit au ministre belge Wigny :

" Acte de l'autorité du 5 septembre doit réussir...premier et unique problème était et reste d'éliminer un seul homme : Lumumba. A cet effet disposer de l'armée...Ordonné à Mobutu d'empêcher chambres se réunir en commun ce matin à 9 heures ; a été exécuté ce qui est un fait nouveau d'importance considérable...notre politique du moment est d'appuyer Mobutu sans intervenir trop ouvertement et sans heurter son soi-disant neutralisme qui lui permet rallier toute l'armée...circonstances m'ont obligé de jouer un rôle important...j'ai la conscience de participer à une lutte capitale pour l'idéal de liberté occidentale...". (L'Assassinat de Lumumba, Ludo de Witte, Ed. Karthala, p.119).

Mobutu considérait le pays comme sa propriété personnelle à l'instar de l'ancien colonisateur belge, le roi Léopold II. Il pilla donc sans vergogne le pays, riche en or, en diamants et en minéraux divers. Il amassa ainsi une fortune colossale, l'une des plus importantes de la planète ; une fortune de plusieurs milliards de dollars équivalant à la dette du Zaïre. Népotisme et clientélisme, affairisme et corruption furent les maîtres mots de son règne. Enrichissement extrême de la camarilla au pouvoir et appauvrissement des quarante millions de Zaïrois, telle a été la réalité du Zaïre durant ces dernières décennies. (Lutte Ouvrière, Voir : Mobutu, roi du Zaïre, de Thierry Michel).
Un roi Ubu au service de l'occident qui ne tint son règne que parce qu'il était soutenu par l'Américafrique et la Françafrique. Si le Mobutisme a réussi à unifier le pays sous sa coupe c'est au prix d'une véritable catastrophe économique. Le régime monarchique et la bourgeoisie d'état abandonnent toute volonté de développement économique et se contentent de ponctionner la rente minière et l'aide occidentale. Le délabrement des infrastructures du pays aboutit à une baisse dramatique du niveau de vie dans les années 1980.
Mobutu fut l'allié principal de l'Occident en Afrique pendant la Guerre froide et le Congo devint le relais pour les opérations de la CIA contre les régimes africains soutenus par l'Union soviétique. Dans la presse négrologique et raciste le délabrement de l'économie du pays Congo fut mis sur le compte de l'incapacité quasi-structurelle des Africains à se diriger eux-mêmes. Un atavisme construit bien commode pour éviter d'aborder une face occultée de l'Histoire et les pratiques néocoloniales des anciennes puissances coloniales dans leur pré-carré Africain. Une indépendance en trompe l'oeil qui n'a été qu'une reconquête coloniale de l'économie mise en coupe réglée par un tyran mandaté par les USA, la France et la Belgique sous l'oeil bienveillant de l'ONU. Un régime qui a réalisé la prédation de l'économie congolaise en systématisant et encourageant la corruption. Ainsi Mobutu redistribuait à son clan, en usant de la force, les entreprises performantes des congolais du pays tandis qu'une grande partie de la manne financière allait dans ses caisses en Europe et arrosait un grand nombre de dirigeants des pays occidentaux, les parrains du système néocolonial. Un système totalitaire fondé sur l'embrigadement de la population, du contrôle et du quadrillage des villes rappelant le savoir faire françafricain en la matière de guerre antisubversive . Un état policier fondé sur la répression policière, l'assassinat d'opposants politiques, les massacres de population civile, la torture systématisée dans les geôles zaïroises, où les cadavres des prisonniers politiques étaient lâchés la nuit, du haut d'hélicoptères en plein vol, dans le fleuve Congo ( Mobutu roi du Zaïre , documentaire de Thierry Michel). Un régime fondé sur le culte de la personnalité faisant de Mobutu un demi-dieu tout puissant, "un gouverneur à peau noire", un roi Ubu mégalomane disposant de vie et de mort sur ses sujets. "Il assasinait aussi facilement qu'on écrase un insecte" témoigne Sakombi Inongo ancien ministre de l'information de Mobutu (Mobutu, roi du zaïre, documentaire de Thierry Michel). Un régime porté à bout de bras par l'Occident. A la fin de la guerre froide la donne change, Mobutu est lâché par la communauté internationale notamment par les USA tandis que la Belgique et la France maintiennent Mobutu en place contre l'opposition politique naissante au Congo. Paris et Bruxelles estiment après la fin de la guerre froide pouvoir contrôler, via Mobutu, la région des Grands Lacs et de consolider leurs positions dans la plupart des pays du continent et cela à l'encontre des USA. Mobutu fut remis en course par la France qui fera de l'est du Zaïre de Mobutu un sanctuaire pour les génocidaires rwandais lors de l'opération Turquoise en 1994. Les terribles Forces Armées Zaïroises (FAZ), troupes d'élites de Mobutu, qui ont participé aux massacres de Tutsi dès le règne du président Habyarimana recevront le soutien logistique français.


NOUVEL AFRIQUE-ASIE juin 1997RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO
Un Waterloo en Afrique
...Pour le chef de la diplomatie d'Alain Juppé, M. Hervé de Charrette, Mobutu était "l'homme incontournable". Jacques Foccart, lui, n'a cessé d'affirmer jusqu'à son dernier souffle que la "Françafrique" s'effondrerait si le maître de Kinshasa était abandonné. Quant aux stratèges en herbe de la DGSE, ils préconisaient de le soutenir, de le sauver, même au prix d'une intervention militaire, si possible de concert avec des Européens, mais même sans eux si cela s'imposait. Illusion, chimère. De fait, si l'ascension de Mobutu dans les années soixante est due principalement à la coalition formée par Washington, Paris et Bruxelles, sa chute a été précipitée par la politique de ces deux derniers, et surtout de la France. Ces deux pays estimaient en effet que la fin de la guerre froide pouvait leur permettre de contrôler, via Mobutu, la région des Grands Lacs et de consolider leurs positions dans la plupart des pays du continent. La crainte que Paris nourrissait à l'égard d'une influence anglo-saxonne l'a amené à croire que risquait de lui échapper une base importante dans son dispositif de "protection" des régimes du pré-carré français. C'est cette phobie qui a abouti à la faillite de la stratégie de la cellule africaine de l'Elysée où MM. Dupuch et Wibaux étaient les véritables courroies de transmission de la vieille éminence grise. Il ne comprenait pas que l'Afrique de la fin du XXe siècle n'est plus celle des années cinquante et soixante. Résultat : un Waterloo africain pour la France...

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