lundi 12 mars 2012

France/Côte d’Ivoire: Mercenaires, meurtriers mais protégés ? (La Libre 18/03/2010)

 
France/Côte d’Ivoire: Mercenaires, meurtriers mais protégés ? (La Libre 18/03/2010)

La ministre Michèle Alliot-Marie priée de venir s’expliquer devant le tribunal aux armées. Sur l’affaire curieuse (et sulfureuse ?) de Bouaké.

Cela a été confirmé de source gouvernementale mercredi : Michèle Alliot-Marie, ex-ministre de la Défense et aujourd’hui Garde des Sceaux, a demandé au Conseil des ministres de l’autoriser à être entendue comme témoin par le tribunal aux armées de Paris. Cette prochaine audition fera assurément du bruit. L’affaire en jeu, en effet, est politiquement et diplomatiquement délicate.

La juge d’instruction de ce tribunal veut entendre l’ex-ministre de la Défense pour tirer au clair la sombre affaire de Bouaké. Du nom de cette ville de Côte d’Ivoire où, fin 2004, le camp militaire français de la force onusienne Licorne, déployée à l’époque dans ce pays, avait été victime d’un raid aérien meurtrier. Deux avions Sukhoï-25 des forces loyalistes ivoiriennes avaient bombardé ce camp, tuant (outre un humanitaire américain) neuf militaires français et blessant 38 soldats tricolores.

Six ans après ce raid, le tribunal aux armées (compétent pour juger les crimes et délits commis contre ou par des soldats français à l’étranger) instruit une plainte contre X pour assassinats, tentatives d’assassinats et destructions volontaires de biens. Comme la justice ivoirienne - qui veut aussi entendre Michèle Alliot-Marie, a-t-il également été annoncé mercredi - , ce tribunal veut mettre la main sur les pilotes des Sukhoï, qui demeurent impunis.

Précisément, l’avocat des familles des militaires français tués juge que Michèle Alliot-Marie a joué un rôle dans cette impunité. Il accuse la ministre d’avoir "menti de façon absolument délibérée" dans ce dossier. Et, plus globalement, attaque les plus hautes autorités françaises. "On cache beaucoup d’éléments à la justice, qui ne peut pas travailler. Tant d’inertie des autorités militaires et politiques françaises est incompréhensible".

Devant les juges militaires, la ministre Alliot-Marie va devoir s’expliquer sur les bizarreries apparues dans les dossiers déclassifiés secret-défense, relatifs à cette affaire. Ainsi, après le raid aérien, des techniciens aéronautiques russes, biélorusses et ukrainiens - dont les mercenaires ayant piloté les Sukhoï, qui avaient été identifiés comme tels par la DGSE (services secrets) - ont été arrêtés par l’armée française à Abidjan, puis relâchés. Pourquoi ? La Défense a refusé de déclassifier le compte rendu de leurs interrogatoires. Pourquoi ? Ces mercenaires ont ensuite été exfiltrés vers le Togo, pays qui les a alors mis à la disposition de la France. Mais sans que Paris n’y donne suite. Pourquoi ?

Pour l’avocat des soldats tués, Paris a laissé s’échapper ces mercenaires pour éviter qu’ils désignent les donneurs d’ordres du raid sur Bouaké, à savoir "la plus haute autorité ivoirienne". Car une telle révélation aurait "embarrassé le gouvernement français", en envenimant encore un peu plus ses relations avec Abidjan. Diplomatiquement donc, mieux valait passer l’éponge et en rester à la thèse de la bavure militaire isolée.

Depuis mercredi à Paris, une deuxième thèse, pas forcément incompatible avec la précédente, est relancée.

Le peu d’empressement de Paris à ce que la justice tire cette affaire au clair cacherait sa volonté de ne pas découvrir un protagoniste clé du dossier. Il s’agit d’un Français, ex-gendarme de la cellule antiterroriste de l’Elysée sous Mitterrand, reconverti dans le commerce d’armes, et établi au Togo. Il a servi d’intermédiaire entre les gouvernements ivoirien et biélorusse pour la fourniture des Sukhoï. Et est soupçonné (mais a démenti) avoir joué un rôle dans l’exfiltration des mercenaires vers le Togo. La juge du tribunal aux armées a saisi le parquet d’une demande de mandat d’arrêt international contre ce marchand d’armes. Qui, de son côté, a déjà dénoncé une "campagne d’intoxication destinée à (le) calomnier". Selon certaines sources, Paris voudrait surtout qu’aucun ennui ne soit fait à un de ses informateurs les plus précieux au Togo, pays clé du pré carré français en Afrique.

Ce qui est sûr, en tout cas, c’est que, en haut lieu, on ne se hâte pas pour que ce dossier soit (éventuellement) tiré au clair. L’audition de la ministre Alliot-Marie par le tribunal aux armées est réclamée depuis quatre ans par les parties civiles. Et le magistrat de cette juridiction la demande publiquement depuis quatre mois au moins. En revanche, mercredi de source gouvernementale, aucun délai n’était encore donné pour cette comparution ministérielle.

Correspondant permanent à Paris



Bernard Delattre

Mis en ligne le 18/03/2010


© Copyright La Libre

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire