(L'Express 16/10/2012)
Deux boxeurs peuvent se défier rudement à l’heure de la
pesée, s’invectiver le jour J dans le secret des vestiaires, puis, sur le ring,
retenir crochets et uppercuts. Scénario illustré par l’empoignade trop attendue
entre François Hollande et Joseph Kabila à Kinshasa, théâtre samedi du 14e
Sommet de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Quatre jours
auparavant, le locataire de l’Elysée avait fustigé les dérives autocratiques du
boss de « Kin ». Hier matin, il a croisé les gants avec son hôte lors d’un
tête-à-tête « franc et direct ». Formule appliquée, dans la novlangue
diplomatique, aux échanges rugueux. A en croire son entourage, le successeur de
Nicolas Sarkozy aurait ainsi exigé, dix jours avant le procès en appel des huit
policiers incriminés, que soient dûment jugés et punis les meurtriers Floribert
Chebeya ; avant d’inaugurer, un peu plus tard, au sein du Centre culturel
français, une médiathèque dédiée au militant des droits de l’homme assassiné en
juin 2010. Comme annoncé, Hollande conversera ensuite avec des émissaires de
l’opposition parlementaire, une délégation de la société civile puis, le soir
venu, le vieil insoumis Etienne Tshisekedi. Celui-là même qui revendique la
dignité de « président élu » depuis novembre 2011, date d’un scrutin entaché par
des fraudes grossières.
Lors de la cérémonie d’ouverture, chacun des deux
pugilistes s’est donc borné à réciter ses gammes. Même si c’est à contre-emploi
que Kabila entonna un refrain à la gloire de la tolérance, de l’Etat de droit et
de la démocratie. Moins dissonante aura été sa sortie sur la « guerre injuste
imposée [au Nord-Kivu] par des forces négatives à la solde d’intérêts extérieurs
». Entendez la rébellion des mutins du M23, épaulée quoiqu’en dise Kigali par le
Rwanda. Y penser toujours, n’en parler jamais… Si le pays des Mille collines fut
à peine cité, l’ombre de son maître absolu Paul Kagamé flotta sur le huis-clos
des chefs d’Etat. Et l’on doit à l’ancien président sénégalais Abdou Diouf,
secrétaire général de la Francophonie, d’avoir évoqué, publiquement cette fois,
le calvaire des civils broyés entre les insurgés et l’armée dite régulière aux
confins orientaux de l’ex-Zaïre.
On ne saurait taire, pour conclure,
l’étrange couac qui assombrit l’épilogue du sommet kinois. A savoir l’admission
directe, au titre de « membre associé » de l’OIF, de Sa Majesté le Qatar, fief
francophone bien connu, dispensé de passer par la case « observateur »,
antichambre où patientent les candidats ordinaires. Cet insolite privilège a
bien sûr alimenté de vifs débats. Mais l’intense lobbying de l’émirat, notamment
auprès de partenaires africains tels que la Guinée ou Djibouti, finira par…
payer. Et tant pis si Doha finance en Afrique de l’Ouest des écoles coraniques
qui tendent à supplanter les établissements où se cultive la langue de Molière
et d’Aimé Césaire. Tant pis si de généreux donateurs qataris choient au
Nord-Mali telle faction salafiste, dont on dénonça par ailleurs les exactions
barbares.
Diouf réclame non sans raison pour l’Afrique « la place qui lui
revient de droit » au sein d’instances telles que le Conseil de sécurité de
l’Onu, le FMI ou la Banque mondiale. Il vilipende à juste titre le « deux poids
deux mesures » dont pâtit le continent dans l’arène planétaire, comme le diktat
des « intérêts commerciaux et stratégiques ». Pourquoi dès lors gratifier le
puissant Qatar d’un statut qui, à l’évidence, ne lui revient pas ? L’argument
selon lequel la principauté des al-Thani accueille sur son sol maints expatriés
hexagonaux a quelque chose de cocasse. A ce compte-là, bienvenue à l’Angleterre,
à l’Allemagne et à l’Australie… Histoire de gagner du temps, on suggèrera ici
d’attribuer sans délai au nouveau-venu le fauteuil de secrétaire perpétuel de
l’Académie Française, voire de lui confier les commandes de la Fédération
internationale de ski.
le 14 octobre 2012 0H36 | par
Vincent Hugeux
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