jeudi 11 octobre 2012

Les Petites, croqueuses de maris au Cameroun

Afin de joindre les deux bouts, certaines jeunes Camerounaises n'hésitent pas à multiplier les amants, généralement mariés et aisés.


Ne vous fiez pas à leur sobriquet, les Petites ont passé l’âge de jouer à la poupée. Toutes n’ont pas atteint la majorité —loin de là— mais la plupart ont enterré depuis belle lurette leur rêve de prince charmant. Sorte de courtisane des temps modernes, la Petite est un substantif vernaculaire qui désigne au Cameroun toute fille s’affichant au bras d’un homme dont elle n’est ni l’épouse ni la petite amie officielle. On est toutefois loin de l’image misérabiliste de la maîtresse malheureuse ni tout à fait dans le schéma de la vamp voleuse de mari. La Petite est en effet rarement une briseuse de couples. Elle évite d’ailleurs d’appeler son amant après une certaine heure et respecte ses obligations familiales… Elle-même a un petit copain, affectueusement surnommé le chaud. Autant de surnoms passés à la postérité tant le phénomène est banal.

La fin justifie les moyens

Marilyne est mariée. La quarantaine, elle porte élégamment ses kilos en trop de mère de famille. Depuis des années, elle a quitté l’univers des Petites pour celui des épouses. Pourtant, elle se souvient avec amusement et, semble-t-il, une pointe de nostalgie de l’époque où elle s’affichait au bras de messieurs argentés:
«On les appelle les "Coca-cola", les sponsors officiels… Quand j’étais à l’université, ma mère n’avait pas de moyens. J’étais dans une institution qui me coûtait 500.000 francs CFA (762,24 euros) par an. Alors, je me trouvais des messieurs riches qui m’entretenaient. Je me souviens de ce monsieur, directeur dans l’administration camerounaise. Il me payait la chambre, la scolarité, et mon argent de poche. Moi, mon travail c’était de l’accompagner lors de ses missions, au restaurant… Il recherchait la jeunesse en moi, sa femme était déjà âgée.»
Les témoignages de ces jeunes femmes, souvent désarmants de sincérité, ont un point commun…l’apport financier que leur procurent leurs amants, les bien nommés sponsors. Lesquels ont la plupart du temps le bon goût d’être lucides sur la question. Signe que les temps changent, certains hommes interrogés sur le sujet confient même que les rôles sont parfois inversés. Charles est un jeune homme de médias en vue. En plus de devoir gérer ses Petites, il fait désormais face aux offensives de certaines femmes de pouvoir:
«J’ai notamment quelqu’un au Premier ministère qui me courtise. Et elle me promet la lune! Quand j’ai acheté ma voiture (une élégante berline noire) elle m’a même donné de sa poche 400.000 francs CFA (609,70 euros)… que j’ai acceptés. Je joue sur l’usure et sur le fait que je suis très occupé pour lui échapper... pour l’instant. Elle est plus âgée que moi et elle essaie clairement de m’acheter. A partir du moment où ils ont du fric, hommes ou femmes pensent que personne ne peut leur résister.»

Insécurité financière ou tradition culturelle?

Le Cameroun connait un taux de chômage massif: 75% des actifs sont en situation de sous-emploi selon des chiffres officiels, le chômage culminerait même à 30% selon une estimation de la CIA World Factbook. Au rang des premiers touchés: les jeunes. Cette insécurité financière explique dans une large mesure cette «marchandisation» des relations entre hommes et femmes. Mais de nombreuses jeunes filles se justifient en arguant également de la polygamie, une pratique traditionnelle des sociétés bantoues.
Un argument culturel qui convainc Maître Alice Nkom. La célèbre avocate est une inlassable défenseure des droits des minorités sexuelles. Elle combat aussi l’ostracisme dont est victime, selon elle, la majorité féminine:
«La pauvreté est venue aggraver une tradition culturelle. Il n’ y a qu’ à faire un tour dans nos chefferies pour voir que la polygamie est une réalité. La soumission de la femme est alors transmise aux enfants qui perpétuent à leur tour ce modèle. Cela est d’ailleurs conforté par la législation. On utilise toujours le code napoléonien qui impose le mari comme chef de famille.
Il y a enfin l’aspect politique. Le fait que le chef de l’Etat ne pose pas d’acte fort pour renforcer, par exemple, le rôle des femmes dans les institutions. On ne les nomme qu’au ministère de la Condition féminine ou autres ministères secondaires. Globalement, la femme n’est pas considérée au Cameroun. Et puis, quand les gens bien placés vont épouser des petites filles, quel exemple cela donne du rôle de la femme dans la société?»
L’adultère reste pourtant une cause de divorce sur le papier mais de l’aveu de l’avocate, peu de femmes en font usage dans un contexte social où le mariage reste une preuve de respectabilité:
«La plupart des femmes préfèrent un homme adultère qu’un homme violent. Mais elles ne sont pas dupes, elles ont fini par s’adapter à cet environnement.»
Ce tableau est toutefois nuancé par les écrits du professeur Jean-Emmanuel Pondi, auteur d’un récent ouvrage sur le harcèlement en milieu universitaire. Dans cet essai qui lève le voile sur un terrible mal qui ronge l’université camerounaise, le professeur Pondi pose en guise de conclusion une question: doit-on analyser les phénomènes de société, de mœurs «au crible des valeurs africaines de civilisation?» En clair: dans quelle mesure la place de la femme africaine dans la société traditionnelle justifie-t-elle certaines pratiques ?
Avec maintes références à des sociologues et égyptologues africains de renom —et en fustigeant au passage certains anthropologues occidentaux «coloniaux»— le professeur Pondi conclut au rôle central de la femme dans la société africaine précoloniale. La tentative de «chosification» de celle-ci parfois observée dans la société contemporaine «serait plus proche de la logique de pensée "accumulationniste" des économistes néo-libéraux, que de la vision partenariale et symbiotique de la société qui a toujours prévalu en Afrique».

Et la sensualité dans tout ça?

Plus prosaïquement, une fois les tabous de l’adultère tombés, ces relations «libres» donnent-elles au moins satisfaction aux deux parties? Rien n’est moins sûr… Les jeunes femmes qui pratiquent l’amour libre ne semblent que peu s’intéresser aux plaisirs de la chair.
«S’il me plait? Franchement, je m’en fiche! D’ailleurs, j’ai aussi un petit copain avec qui je m’éclate», explique une toute jeune femme qui fréquente un professeur d’université de vingt ans son aîné. Quelques hommes ne sont pas plus tendres envers ces «moitiés» clandestines. Stéphane, fin connaisseur de la société camerounaise, confie ainsi ses réflexions:
«Les courtisanes d'antan pratiquaient un art des choses du corps et du sexe … et si elles étaient entretenues, c’est aussi parce qu’elles le méritaient et que les hommes savaient tous les gestes d’affection qu’ils obtiendraient s’ils se montraient généreux!
Il y a une gourmandise de la vie que les demoiselles de Yaoundé ignorent. Que donnent-elles? Pas grand-chose: du vide, une passivité désarmante, pas de vrais désirs, aucune audace. Des tabous.»
Et la sentence finale de tomber: «Au total, les corps à corps ce n'est pas toujours... le pied!»
Sarah Sakho

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