C'est Joseph Kabila
Pourquoi a-t-on cherché à distiller une telle rumeur à dix mois de la fin du mandat du gouverneur Moïse Katumbi à la tête de la province du Katanga ? Il doit bien y avoir une raison qu’on cherchera sans doute à dissimuler.
Et en cas d’attaque, elle ne peut d’abord provenir que da sa famille politique.
Le PPRD, ce panier à crabes, devient alors un royaume divisé où chacun avance les pions en fonction de ses intérêts. Et Joseph Kabila, au lieu d’être le dénominateur commun est devenu le plus grand commun diviseur.
Qui a allumé le feu le 30 juin ?
Ce jour du 30 juin 2011, une rumeur se répand dans la ville de Lubumbashi. On raconte que ce matin du 30 juin, juste avant le défilé, le président Joseph Kabila aurait eu une prise de bec avec le gouverneur Moïse Katumbi au sujet de la tribune érigée pour abriter les officiels le jour du défilé. On va jusqu’à soutenir que dans son élan de colère, Joseph Kabila aurait même giflé Moïse Katumbi.
Les preuves pour le démontrer ne manquent pas. On soutient que les hésitations constatées dans le mot introductif du gouverneur Moïse Katumbi trouverait par là leur justification.
En effet, ce jour-là, Moise Katumbi ne semblait pas être au mieux de sa forme. Contrairement à ses habitudes, quand il a introduit Joseph Kabila, il ne semblait pas être bien dans sa peau. Il était un peu maladroit dans son propos. Est-ce que ceci justifierait cela ?
La rumeur le soutient. Elle soutient aussi que la lune de miel, qui n’a d’ailleurs jamais existé, entre Joseph Kabila et Moïse Katumbi appartient au passé.
On rappelle là-dessus les propos du chef de l’Etat tenus à Kalubwe Lodge lors de la réception qu’il avait accordée aux notables katangais. Et chacun y va de son latin. Il est de plus en plus clair que la cloison est dans le verre.
Voilà que le lendemain du 30 juin, Moïse a pris son jet privé pour aller en vacances. Avec lui, Carine sa femme et ses enfants. On dit même qu’il serait parti avec trois de ses domestiques.
Déjà, les rumeurs ont semblé défier la vérité. Quelques jours après, Salomon Idi, le fidèle parmi les fidèles de Moise, son ombre, quitte aussi le pays en compagnie de sa famille. Les doutes semblent se dissiper. Moïse est bien parti… Toute la RDC en est persuadée. Les grandes manchettes des journaux viennent le confirmer à leur tour.
Et à partir de ce jour, plusieurs versions ont circulé sur les raisons de ce départ. Versions plus fournies et animées les unes que les autres. On parle d’empoisonnement, d’autres le disent déjà mort. Et on attend d’être fixé sur la date du rapatriement de sa dépouille mortelle.
Dans les cœurs de beaucoup de personnes, le deuil a commencé…
Mais on ne dit pas qu’avant le 30 juin, Moïse Katumbi avait pris son congé annuel d’un mois qu’il a interrompu juste une semaine après pour préparer les festivités du 30 juin à Lubumbashi auxquelles le président de la République allait assister.
C’est pourquoi, après le défilé, il a jugé bon d’aller consommer les trois semaines qu’il lui restait, avec l’autorisation de Joseph Kabila, en personne.
Que retenir ? S’il y a de la fumée, c’est qu’il y a du feu quelque part … S’il y avait une grande complicité entre Joseph Kabila et Moïse Katumbi, on ne se serait pas permis de faire circuler des rumeurs.
D’ailleurs, à chacun de ses innombrables séjours à Lubumbashi, on l’a vu, plus d’une fois à l’aéroport de Lubumbashi, saluer à peine le gouverneur Moïse Katumbi. C’est à peine s’il le regarde.
Il lui arrive même de l’ignorer pendant 2 à 3 jours durant son séjour lushois. Des faits similaires alimentent les conversations partout. Alors, il y a problème. Le feu couve sous la cendre…
Joseph Kabila et Moïse Katumbi, deux Katangais que tout différencie
S’il est vrai que Moïse Katumbi porte sa montre à la main droite comme Joseph Kabila et que tous deux sont du PPRD, parti initié par Joseph Kabila, il est aussi vrai qu’entre les deux, il n’y a vraisemblablement rien de solide qui puisse les unir. Voilà qui justifierait sans nul doute tout ce bruit et toutes ces rumeurs sur les relations entre les deux hommes.
Moïse Katumbi est d’une famille connue dans les affaires. Tout le monde sait que sa famille est bourgeoise. Son père était dans le commerce.
Les medias occidentaux parlant de lui le présente comme un homme richissime. Et son frère Soriano Katebe passe pour un millionnaire Katangais.
La conséquence est que Moïse Katumbi peut se permettre de dépenser sans compter. Faire des largesses comme bon lui semble. Alors que la famille du président Joseph Kabila n’a pas de passé connu dans les affaires.
Ce sont plutôt des révolutionnaires. Ils ont vécu dans la discipline des grands révolutionnaires doublés d’une formation militaire rude et efficace.
Un monde où le nécessaire suffit. Quand bien même Joseph Kabila serait plus riche que Moïse Katumbi aujourd’hui, il ne se permettrait pas de dépenser autant que ce dernier de peur de susciter certaines curiosités et certains questionnements.
Déjà à ce niveau, les relations entre les deux sont tendues. Même si on ne le dit pas. Deuxième chose qui le différencie : le sport. Si tous les deux sont des accros du sport, la qualité de ce sport les sépare. Joseph Kabila est plus dans le sport individuel, qui ne le met pas beaucoup en contact avec la masse. Tandis que Moïse Katumbi, lui, est dans le foot, un sport qui draine du monde. Et par-dessus tout, il est le président du plus grand club congolais. Conséquence : il est obligé de communier avec la masse dans laquelle il se fond souvent.
Cela ne facilite pas non plus les choses entre les deux hommes. Le président pourrait facilement être amené à croire que le gouverneur du Katanga cherche à lui voler la vedette. Lui, le chef de l’Etat. Alors qu’on acclamerait avant tout Moïse Katumbi, président d’un club qui réussit.
Autre différence de taille : la politique. Si Moïse Katumbi se retrouve en politique, ce n’est pas parce qu’il le voulait. Il y est tombé par hasard comme jadis Obélix dans la marmite de la potion magique du druide Panoramix. Si bien que Moïse n’a pas les réflexes des politiciens.
Il lui arrive de formuler des plaintes facilement devant le premier-venu. Dans un monde politique où plusieurs personnes mangent à plusieurs râteliers, ses propos sont véhiculés facilement jusque même aux oreilles de la personne indésirable.
Il devient donc facile de savoir ce qu’il pense même s’il ne dit pas tout à tout le monde. Joseph Kabila, par contre, a eu une formation militaire doublée de la formation politique et de renseignement. Le sens de l’écoute légendaire que tout le monde admire chez lui n’est en réalité que la conséquence de sa formation.
Il n’est pas naïf. Loin de là. Ecouter plus lui permet de se faire une idée sur chacun de ses collaborateurs. Sa force vient surtout de sa capacité à transcender ses émotions. Rarement, il peut manifester à une personne sa répugnance, son mépris ou sa haine.
Il peut lui sourire même quand il n’en a pas envie. A la différence donc de Moïse Katumbi, Joseph Kabila est un monstre politique.
Les cercles autour de Joseph Kabila
Plusieurs cercles autour du chef jouent en défaveur de Moïse Katumbi. On pense dans certains milieux que le gouverneur du Katanga en fait en peu trop, il parle et se surestime un peu trop.
Et tout ça fait quand même un peu trop. D’où la nécessité et l’urgence de le neutraliser ou, du moins, de freiner ses élans et ses ambitions. Le neutraliser avant le temps pour l’empêcher de briguer un nouveau mandat à la tête de la province du Katanga.
Le neutraliser pour l’empêcher de se retrouver en 2016, candidat à la présidentielle. Peut-être même président de la République.
Certes, ceux qui veulent le neutraliser n’ont pas tous la même motivation. Trois groupes semblent être en danse pour arriver à cette fin. Trois groupes qui gravitent autour du chef de l’Etat et qui cherchent à inhiber l’action de Katumba Mwanke, parrain supposé de Moïse Katumbi. Trois groupes bien distincts, mais mus par la même motivation : le départ du governatore…
Augustin Katumba Mwanke: El Diablo
Eminence grise du régime, Katumba Mwanke semble de plus en plus marginalisé sur le dossier Moïse Katumbi. Originaire du sud-Katanga comme le gouverneur Moïse Katumbi, membre de l’association socioculturelle Sempya comme ce dernier, on pense, dans certains cercles, qu’il prépare le gouverneur du Katanga pour succéder à Joseph Kabila. D’où une certaine méfiance, une certaine réserve de la part du président.
Fort, Katumba le demeure. Mais, il n’est plus le seul écouté comme auparavant. Et pour s’en convaincre, Joseph Kabila n’a pas voulu le consulter sur le choix des dirigeants de la très stratégique Gécamines.
Il n’a pas non plus voulu le tenir informé avant de faire arrêter Alain Ilunga Kitombolwe, l’ADGA de SEP-Congo, pourtant proche de lui. A dessein, Joseph Kabila commence à entretenir certaines rivalités entre son éminence grise, Katumba Mwanke, avec d’autres ténors de la MP.
Peut-être pour le fragiliser, peut-être encore pour lui faire comprendre qu’il n’est plus le seul à avoir voix au chapitre.
Au stade actuel, Katumba est, sans doute, convaincu que seul Moïse Katumbi peut permettre au président sortant de faire le plein de voix. Et le reconduire comme gouverneur du Katanga pourrait permettre d’envisager sans trop de casse comment modifier la constitution pour… délimiter le nombre des mandats du chef de l’Etat. Sur ce sujet, on pense plutôt qu’Augustin Katumba ne joue pas franc jeu, lui dont la fidélité n’a jamais failli.
Lui dont toutes les stratégies, ou presque, ont fini par porté les fruits escomptés. Et pourtant, dans le dossier Moïse Katumbi, il a peut-être encore raison.
Jean-Claude Masangu : argentier de la république ou conseiller occulte ?
Connaissez-vous Jean-Claude Masangu ? C’est le très puissant gouverneur de la Banque Centrale du Congo. Certaines langues affirment qu’il est à la Banque Centrale ce que le pape est au Vatican.
Fils d’un ancien ambassadeur de la République démocratique du Congo, et ancien directeur général de Citibank Zaïre, Jean-Claude Masangu est gouverneur de la Banque Centrale du Congo depuis 1997.
Il a été nommé par Laurent-Désiré Kabila et confirmé par Joseph Kabila en 2002 et 2008.
Il est de la tribu Balubakat (Baluba du Katanga), comme Joseph Kabila. Selon plusieurs sources, il serait plutôt favorable au remplacement de Moïse Katumbi par Baudouin Banza Mukalay Nsungu, ancien patron du MPR, fait-privé, originaire comme lui de Malemba-Nkulu.
Jean-Claude Masangu passe aujourd’hui pour être la tête de file des baluba du Katanga.
Son point fort : il est aussi discret qu’effacé, à l’image de Katumba Mwanke. Il se caractérise par un sponsoring fort et remarqué pour toute initiative des balubakat. L’argentier de la république a aujourd’hui l’oreille du chef.
On lui attribue même la nomination d’Ahmed Kalej comme ADG de la Gécamines au lieu de Calixte Mukasa pourtant proche parent de Katumba Mwanke.
A ce cercle, on ajoute aussi le général John Numbi, encore un autre de Malemba-Nkulu. Inspecteur général de la Police Nationale Congolaise suspendu, le général demeure l’un des proches du président Joseph Kabila avec qui il partage bien des choses. Selon certaines indiscrétions, le général John Numbi garde encore une dent contre le gouverneur du Katanga qui aurait tenu des propos durs à son égard à l’époque où ce dernier était en exil.
Les années ont eu beau passer, la cicatrice n’est pas totalement refermée. Dans ce même cercle, il convient d’ajouter l’ancien gouverneur du Katanga Aimé Ngoie Mukena, toujours de Malemba-Nkulu, qui, selon certaines personnes, ne cache pas sa hargne contre le gouverneur Moïse Katumbi.
Jaynet et Zoé Kabila : la famille du président
L’autre cercle, et non le moindre, est constitué de Jaynet Kabila, sœur jumelle du président, et de Zoé Kabila, son jeune frère. Il est tout de même curieux de constater que, pour se faire enrôler, cette fois-ci, Jaynet et Zoé ont choisi de le faire dans le district du Tanganyika, au Katanga. Les relations entre Moïse, Jaynet et Zoé semblent être au beau fixe. On ne sait pas s’ils s’aiment ou s’ils se détestent. Néanmoins, ils se parlent et se sourient.
Jusque-là très discrète dans le domaine politique de la RDC, Jaynet Kabila, patronne de la Fondation Mzee Kabila, se refusait de faire la politique. Elle aimait insister sur le fait qu’elle se contentait de l’humanitaire. Mais les choses semblent changer.
Elle s’est fait enrôler à Kalemie, dans le nord-Katanga, qu’elle a relié par un jet privé affrété. Avec, semble-t-il, l’ambition de se faire plus tard élire sénatrice pour la circonscription du Tanganyika. Apparemment quelque chose se profile à l’horizon.
Quant à son frère Zoé, il sera, dit-on, candidat député à Manono d’où son père est originaire. C’est au volant d’une jeep Mercedes que Zoé a débarqué dans le chef-lieu du territoire. A propos de Zoé, les bruits courent selon lesquels il ambitionnerait de devenir le prochain gouverneur du Katanga, à la place de Moïse Katumbi.
Mais Zoé demeure un grand inconnu aux yeux des Katangais. Même à ceux des Balubakat, qui ont eu un premier contact sérieux avec lui lors de leur conférence de Kamina. Selon certaines personnes, il ne convainc pas. Zoé passe jusqu’ici pour un homme d’affaires prospère et très discret à la tête d’une fortune immense et n’ayant pas d’ambitions politiques. Il est clair que quelque chose se concocte au sein de la famille du président.
Peut-être, à défaut d’avoir un enfant à l’âge de postuler à la présidence, on serait déjà en train de planifier «l’après-Joseph» avec un autre membre de la fratrie ? Cela n’est qu’une hypothèse. Mais en cas de confirmation, il va de soi que ce cercle serait aussi tenté de freiner les supposés élans du gouverneur du Katanga.
Evariste Boshab : le dauphin ?
Un autre cercle qui, sans contredit, ne voudrait pas de Moïse Katumbi est probablement celui tenu par Evariste Boshab, le président de l’Assemblée nationale et le secrétaire général du PPRD.
La raison est toute simple. Ce cercle estimerait qu’après 5 ans de présidence du Bas-Congo avec Joseph Kasa-Vubu, 32 ans de l’Equateur avec Joseph Mobutu, 19 ans du Katanga avec les Kabila père et fils, il serait maintenant temps pour le grand Kasaï de diriger à son tour la RDC. Voilà pourquoi Evariste Boshab se considérerait presque comme le dauphin légitime de Joseph Kabila.
Bien qu’apparemment le courant semble bien passer entre Moïse Katumbi et Evariste Boshab, il ne s’agit en fait que des apparences. Le président de l’Assemblée, loin de s’immiscer dans les conflits et les calculs des katangais, auraient, lui aussi, son propre schéma : déstabiliser le gouverneur du Katanga. Si les attaques frontales viennent de ses frères, c’est tant mieux. Mais il faudrait lui scier les côtes en sourdine. Quitte à en tirer profit au moment opportun.
Moïse Katumbi : la proie
Quand on examine les différents centres d’intérêts, on comprend pourquoi il y a tant d’agitations autour du gouverneur du Katanga. Le problème n’est pas qu’il vend mal l’image du chef, mais plutôt qu’il brouille les pistes de l’ « après Kabila ».
Le laisser diriger encore le Katanga serait lui donner un avantage pour 2016. Est-ce bien penser ? Non. Gouverneur pour le prochain mandat ou pas, Moïse est déjà parti. Et personne ne pourra plus lui porter ombrage. Alors, au lieu de le redouter, il vaudrait mieux composer avec lui ; et les meubles seront sauvés.
Entre-temps, Moïse Katumbi a annoncé son retrait de la politique. C’est sérieux, dit-on. A moins que le président Joseph Kabila lui demande de continuer. Mais Kabila, lui, continue encore à scruter les signes des astres…
Par Roger KAS
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire