dimanche 9 décembre 2012

Kampala VI : l’ombre d’un échec

 
(Le Potentiel 08/12/2012)


L’agenda de Kampala VI ne rassure personne. L’opinion, tout comme les évêques catholiques, embouche le langage du scepticisme quant à l’aboutissement heureux des pourparlers sur des bases mettant scandaleusement l’unité du pays en péril. L’accord du 23 mars 2009 constitue en lui-même un maillon du mélodrame de la balkanisation du pays. Cette réalité, qui se plante dans le jardin des agresseurs comme une grosse pierre, trouvera une résistance farouche auprès d’une opinion publique plus que déterminée et vigilante tous azimuts.

Deux objectifs majeurs poussent deux voisins de la République du Congo, le Rwanda et l’Ouganda, à poursuivre l’œuvre de déstabilisation du pays : le pillage des ressources et l’annexion d’un pan du pays. Pour ces raisons, plusieurs stratégies sont mises en jeu : guerres à répétition pour lasser les populations et créer un désamour avec la mère-patrie et ses institutions ; transplantation des populations rwandaises vers le territoire congolais avec but de les faire passer pour des Congolais. Cela en toute impunité et désinvolture.

Ce tableau est bien connu des Congolais qui, dans leur majorité, ont développé des capacités d’anticipation sur ce qui pourrait se produire. Et les évêques qui connaissent la profondeur de la pensée n’ont pas vu autre chose. Ils ont dit haut ce que la majorité des Congolais disent de manière diffuse. Les évêques entament leur déclaration par un important rappel : « Dans nos différents messages antérieurs, nous avons condamné le projet de balkanisation de la RD Congo, l’exploitation illégale des ressources naturelles, la prolifération de milices et groupes armés. Pour le même motif, nous avons organisé un triduum de prières dans tous nos diocèses et une marche sur toute l’étendue de la RD Congo le 1er août 2012.

Après notre visite pastorale de solidarité à la population meurtrie dans le Nord et le Sud-Kivu au mois de septembre 2012, en dépit de nos échanges avec le M23 en présence de la population prise en otage à Rutshuru, la situation n’a fait qu’empirer ».

Les évêques catholiques constatent sur le terrain que la situation est désastreuse : « La guerre dans le Nord-Kivu a entraîné d’énormes dégâts. Il s’agit notamment de la dégradation de la situation des droits de l’Homme causée par le M23 et les groupes armés, des meurtres à grande échelle, des viols, des enlèvements, d’enrôlement des mineurs dans les rangs des groupes armés, des détentions et taxations illégales, des actes de banditisme, de destruction et du pillage du patrimoine national et des particuliers, des déplacements forcés et massifs des populations contraintes à l’errance dans des conditions infrahumaines ».

Pour les princes de l’Eglise catholique, le pic est atteint par la prise du chef-lieu de la province du Nord-Kivu. Les évêques ne cachent pas leur amertume : « Et, la chute de la ville de Goma a plongé tous les Congolais dans la consternation ».

Opposés à toute forme de compromission, les princes de l’Eglise catholique regrettent qu’une partie de la République échappe aux institutions légalement établies. Pour les hommes d’Eglise, l’attachement à la terre est sacrée et ne pourraient donc cautionner. Ils écrivent dans leur déclaration : « Aujourd’hui, une partie de notre territoire échappe à notre gouvernement et se retrouve de fait sous l’administration du M23 qui est soutenu par des pays étrangers, notamment le Rwanda et l’Ouganda.

Le rapport des experts des Nations unies n’a fait que le confirmer. A la base de cette situation, nous relevons la stratégie de balkanisation qui est en cours d’exécution. Celle-ci obéit à la même dynamique depuis des décennies : revendications d’ordre identitaire ou foncier, refus de l’ordre institutionnel, exploitation illégale des ressources naturelles, déplacement forcé des populations, recours à la violence dans la perspective de l’émiettement de la RD Congo ».

Sans ambages, les évêques sont offusqués de constater que des accords sont passés avec « des nébuleuses », mettant en jeu la souveraineté du pays. Du fait que ces accords secrets sont passés loin du contrôle républicain des institutions, la compréhension des concessions acceptées heurte la nation dans son ensemble. Pour cette raison, les évêques élèvent le ton : Certains « accords de paix » passés avec des groupes armés, sans concertation préalable, compromettent la souveraineté et l’intégrité de la RD Congo ».

Et d’ajouter : « Par ailleurs, nous notons au sein de la population, des frustrations dues à une gouvernance qui ne répond pas à ses attentes. Nos appartenances ethniques sont exploitées sciemment par quelques compatriotes pour leur positionnement politique.

Ras-le bol des évêques

La dégradation de la situation telle que peinte ci-haut par le clergé catholique ne pouvait se limiter à de simples constats sans en apporter des solutions appropriées. Aussi les évêques invitent-ils tous les acteurs de cette guerre inutile d’être à l’écoute de la population qui désapprouve toute solution de violence. « Car cela est à la base de la souffrance du peuple, du retard de développement de tout le pays et du recul de son processus de démocratisation.

Il est d’autant inadmissible que tout cela soit l’œuvre de compatriotes congolais qui se font manipuler servilement pour des intérêts étrangers », tonnent les princes de l’Eglise.

Dans un langage ferme, les évêques et le peuple de Dieu refusent toute compromission sur l’intangibilité des frontières et l’unité des Congolais dans leur diversité. « Nous réaffirmons la souveraineté de la RD Congo et l’intangibilité de ses frontières; nous tenons fermement à l’unité et à l’indivisibilité de la RD Congo dans ses frontières issues de la colonisation et reconnues par la communauté internationale le 30 juin 1960.L’intégrité du territoire de la RD Congo n’est pas négociable ».

L’ombre de l’échec

Cette détermination populaire dessine déjà l’échec qui se profile à l’horizon en rapport à ce plan de balkanisation du pays. Un plan voué à l’échec dans la mesure où il s’agit d’une initiative contraire aux aspirations de tous les Congolais, toutes tribus et ethnies confondues. Les évêques en font même un point d’orgue de toutes négociations : « Toute recherche de solution aux problèmes à l’intérieur de notre nation doit s’inscrire dans la perspective de l’unité à sauvegarder et à promouvoir en faveur de toute la population, sans privilégier aucun groupe au détriment des autres.La réconciliation nationale est à ce prix ».

En hommes avertis, les évêques savent ce qui se trame lors des rencontres organisées dans le cadre de la CIRGL. Pour cette raison, ils préviennent : « Aussi attirons-nous l’attention de tous ceux qui se rendront à Kampala sur les pièges de ces négociations. Qu’ils n’hypothèquent pas l’unité de la nation congolaise, qu’ils n’avalisent pas des accords qui consacreraient la balkanisation de la RD Congo. La vigilance et la clairvoyance doivent être de mise.

Il faudrait que les principes fondamentaux et patriotiques auxquels personne ne doit déroger ainsi qu’un schéma directeur fixant le degré et la nature des concessions possibles, acceptables et tolérables soient scrupuleusement respectés. Un accord qui hypothèquerait la souveraineté nationale est inacceptable ».

C’est tout dire. Les négociateurs et autres personnes chargées « d’écouter les griefs légitimes » du M23 sont avertis, il existe une ligne rouge à ne point franchir. Ils ont été choisis, en faisant d’eux les représentants des institutions établies (gouvernement, Parlement, opposition et majorité) et des forces vives de la nation (Société civile) comme témoins ou simples observateurs. Les balkanisateurs savent qu’ils viennent à ces « pourparlers » sans maîtrise des tenants et aboutissants du dossier.

On les a associés- et c’est là la subtilité du couple Kigali-Kampla- aux fins de donner une caution au plan de balkanisation, selon le nouveau module conçu en rapport avec l’évolution de la situation.

La formule est connue : ou les délégués de Kinshasa adhèrent au plan et marchent avec les agresseurs, ou ils se cabrent et les discussions capotent. Ne serait-ce que sur ces bases, Kampala VI pourrait accoucher d’une souris.
Écrit par LE POTENTIEL



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