mercredi 17 octobre 2012

RDC : entretien exclusif avec un témoin clé de l’affaire Chebeya, Paul Mwilambwe

Le général John Numbi (G) et Floribert Chebeya.
Le général John Numbi (G) et Floribert Chebeya.
AFP/ Montage


Par Stéphanie Braquehais

Paul Mwilambwe, policier congolais, affirme avoir assisté au meurtre de Floribert Chebeya, le militant des droits de l’homme assassiné en juin 2010. Il affirme également que le commanditaire de l’assassinat était le général John Numbi, chef de la police à l’époque. Ce témoignage a tout d’abord été révélé par le réalisateur belge Thierry Michel auteur du film : « L’affaire Chebeya, un crime d’Etat ? ». S’il était confirmé, il pourrait relancer entièrement l’affaire. Le témoin, qui a été condamné en première instance par contumace, vit depuis plusieurs mois dans la clandestinité. Il affirme avoir été plusieurs fois enlevé et menacé d’exécution en RDC, avant de parvenir à quitter le pays. Depuis, il se cache dans un pays d’Afrique. Paul Mwilambwe répond aux questions de Stéphanie Braquehais.

Paul Mwilambwe, vous étiez chargé de la sécurité à l’Inspection générale de la police le 1er juin 2010, le jour où Floribert Chebeya a été tué. Vous étiez vous-même au bureau ce jour-là. Qu’est-ce que vous avez vu ?
A partir de 17 heures, mon ami le major Christian Ngoy qui est le commandant du bataillon Simba m’a appelé. Il m’a dit : « Je suis accompagné par un visiteur de marque qui va rencontrer le général Numbi ». Je lui ai dit : « Non, le général Numbi est absent ». Il m’a dit : « Non, dans quelques minutes, le général va arriver à l’Inspection générale ». Il est entré avec un monsieur que je ne connaissais pas. Et lorsqu’il est sorti, la personne s’est présentée devant moi et m’a dit : « Je m’appelle Floribert Chebeya, le secrétaire exécutif de la Voix des sans voix ».

Combien de temps est-il resté dans votre bureau ?
A partir de 19 heures et quelques minutes, c’est le major Christian qui est venu récupérer Chebeya dans mon bureau. Tout d’abord, il s’est excusé devant Chebeya en disant : « Le chef s’excuse, il ne doit plus vous recevoir ici au bureau. Il préfère vous recevoir à sa résidence privée ». Mais en sortant, à partir de la réception, Chebeya a été cagoulé, au niveau de la réception.

Comment le savez-vous ?
Sous mon bureau, il y a une caméra de surveillance et cette caméra capte à partir de mon bureau jusqu’à 50, 100 mètres. Alors lorsqu’on a fait le mouvement de prendre Chebeya brusquement, la caméra a sonné. En regardant cette caméra, je vois le major Christian et quelques éléments de la police cagouler Chebeya avec les sachets Viva (ndlr : des sacs plastiques de la marque Viva). Et on a commencé à les scotcher. Et c’est ce qui m’a incité à quitter mon bureau et à descendre voir ce qui se passe.

C’est à ce moment-là que vous les avez rejoints à la réception ?
Je n’ai pas trouvé Chebeya à la réception. On l’a amené directement au hangar. J’ai appelé le major Christian. Je lui ai posé la question pour savoir. Il m’a dit : « Monsieur, ferme ta bouche. C’est un ordre qui vient de la hiérarchie ». Je lui ai encore posé la deuxième question : « Qui vous a donné cet ordre ? ». Il m’a dit : « C’est le président de la République » pour la première fois. Je lui ai posé la question :

« Qui a reçu l’ordre du président de la République ? Par téléphone ou par quoi précisément ? ». Il m’a dit : « Non, j’ai reçu l’ordre du président de la République par le canal du général Numbi ». C’est le général Numbi qui a intimé l’ordre au major Christian. Et lorsqu’il a donné cet ordre, il a dit au major Christian que cet ordre vient du président de la République. Ça c’est le major Christian qui me le rapporte. D’abord l’ordre est venu : toute personne qui accompagnerait Chebeya, que ça soit son fils, que ça soit son collègue, que ça soit son épouse, doivent subir le même sort que Chebeya. Et il m’a dit : « Voyez dans la voiture. Son chauffeur, on l’a déjà exécuté ». J’ai regardé la voiture et j’ai vu un corps sans vie. Et lorsque je parle avec le major Christian, les policiers sont en train de continuer à étouffer Chebeya.

Quelle a été votre réaction ?
Moi je suis un officier sans troupes, le major Christian, c’est l’officier avec troupes. Donc je suis rentré à mon bureau parce que je savais que les caméras étaient en train d’enregistrer. Je devais faire un rapport à la hiérarchie.

Vous voyez un assassinat se dérouler devant vos yeux. Pourquoi n’avez-vous pas tenté de sauver la personne ?
Non, à ce moment qu’est-ce que je devais faire ? Moi mon problème est de faire un rapport au chef. Je suis le commandant de sécurité. Je vois des événements. Le major Christian a des policiers bien armés. A ce moment-là, je ne devais pas faire autrement. Je devais faire un rapport au général Numbi. Après cette opération, il était déjà 20 heures. J’ai quitté les bureaux à partir de 20 heures et quelques minutes. Et je suis arrivé à la maison à 20 heures et quelques minutes.

Et c’est donc deux jours après l’assassinat que Christian Ngoy s’est confié à vous ?
Avant les fouilles, il m’a appelé dans sa chambre parce que nous habitons les mêmes maisons. Je l’ai trouvé en train de pleurer. Il m’a dit : « Ça me fait mal parce que je viens d’avoir d’autres ordres auprès du général Numbi : 'Avant les fouilles, il faut exécuter ton ami' ». Je lui ai demandé : « Est-ce que le général vous a dit le mobile de cet assassinat d’exécuter Chebeya ? ». Il m’a dit : « Non. Chebeya était un témoin gênant ». Il m’a dit pour deux choses : le massacre de Bundu Dia Kongo ; et deuxièmement, M. Chebeya avait enquêté sur les massacres de l’Equateur. Les gens qui ont fait cette opération, ce sont les éléments du bataillon Simba dirigé par le major Christian. Ces bataillons recevaient les ordres directement du général Numbi.
Dix jours après le meurtre, vous vous faites enlever.
Lorsqu’on m’a arrêté, on m’a cagoulé et on m’a amené vers une destination inconnue. Lorsque nous sommes arrivés à destination, on m’a fait ouvrir la cagoule. Et je me suis retrouvé dans la résidence privée d’un conseiller du général Numb : « Toi, tu voudrais trahir le général Numbi ». Ça c’est le 11 jusqu’au 13, un certain dimanche. Après quelques minutes, à 14h, on nous a amené à manger. Je surveillais les mouvements des policiers et je suis sorti, j’ai escaladé le mur. Je suis parti.

Vous restez neuf mois caché à Kinshasa, puis vous décidez de vous rendre à la justice. Mais là, vous êtes à nouveau arrêté et emmené à Lubumbashi. Vous parvenez encore à vous évader et cette fois à quitter le pays. Vous avez été condamné à mort par contumace pour assassinat, association de malfaiteurs. Pourquoi témoigner aujourd’hui ?
On m’a condamné illégalement. J’étais devant la justice. La justice devait me livrer. Mais la justice a préféré me faire disparaître parce que je suis un témoin gênant dans l’affaire Chebeya, c’est-à-dire que je suis un témoin gênant pour le pouvoir de Kinshasa et pour le président de la République, et même pour le général Numbi. A ce moment-là, il n’y a pas moyen de retourner au pays.
Réaction de Kinshasa
Après la diffusion du témoignage sur RFI de Paul Mwilambwe, le porte-parole du gouvernement congolais et ministre de la Communication a aussitôt réagi. Lambert Mendé dénonce un témoignage qui ne tient pas la route. Il déclare :

« Nous voulons réagir à cette espèce de récit arrangé, qui ne nous paraît pas très éloigné d’un véritable lynchage médiatique. Parce que ce fameux témoin gênant qui ne se confie pas à la justice, qui fuit la justice de son pays, qui ne se confie qu’à des médias français, est assez suspect après ce qui s’est passé au sommet de la Francophonie. Il n’a pas entendu le général donner des ordres. Il n’a pas vu le général Numbi. Il aurait vu quelqu’un qui aurait vu le général Numbi, qui aurait dit que le président Kabila aurait donné les ordres. Même devant un petit juge de quartier, cela ne tient pas la route. Et nous nous étonnons que l’on donne quelque consistance que ce soit à de tels témoignages qui ne sont pas du tout judiciaires. C’est des évènements médiatiques peut-être, mais qui ne peuvent pas permettre d’aller jusqu’à attenter à l’honneur d’un pays, à l’honneur d’un chef d’Etat dont on ne voit pas ce qu’il vient faire dans cette affaire de l’assassinat de Floribert Chebeya. Sinon la volonté d’utiliser ce drame pour déstabiliser les institutions congolaises ».

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