(Le Pays
19/10/2012)
Quelle mouche a donc piqué le président Idriss Déby Itno du
Tchad ? De retour d’Afrique du Sud, il s’est arrêté mardi soir à Kinshasa, trois
jours après avoir boudé le sommet de la Francophonie dans cette même ville.
Durant ce voyage, il s’est aussi rendu en Guinée Equatoriale. Cherchait-il à
faire diversion, et rendre banal le bras de fer actuel entre son pouvoir et les
syndicats tchadiens, ou a-t-il des comptes à régler avec le nouveau pouvoir
français ?
Les dirigeants de la Guinée Equatoriale et de la RD Congo ont
en commun le fait d’avoir été maintes fois interpellés par les défenseurs des
droits humains pour manquements graves dans leur gestion du pouvoir d’Etat.
Récemment, ils ont encore été mis à l’index par le nouveau chef de l’Etat
français, François Hollande. Un mur d’hostilité manifeste semble également se
dresser entre les chefs d’Etat français et tchadien. Le 8 octobre dernier à
l’Elysée, une première rencontre entre les deux hommes a dû être reportée. Le
président Idriss Déby Itno aurait mal pris les exigences du chef de l’Etat
français. Celui-ci, dans sa logique de faire respecter les droits de l’Homme sur
le continent africain, avait demandé un geste de Ndjamena dans le sensible
dossier d’Ibni Oumar Mahamat Saleh.
La France veut que la Justice
tchadienne et le comité de suivi mis en place s’activent pour que l’enquête sur
cet opposant politique disparu début 2008, ne soit pas définitivement enterrée.
Déby garde le silence. Hollande agacé, annule le rendez-vous au dernier moment,
prétextant que son agenda était trop chargé. Braqué à son tour, le chef de
l’Etat tchadien, sans l’annoncer officiellement, boycotte le sommet de la
Francophonie. Enfonçant ensuite le clou, il entreprit de faire une courte escale
à Kinshasa, de retour d’Afrique du Sud. Fait rare : Joseph Kabila se déplace à
l’aéroport, pour un tête-à-tête qui n’a certainement pas échappé à Paris.
Y aurait-il d’autres contentieux entre le Tchad de Déby et la France de
Hollande ? On sait que le Tchad est peu motivé à s’embarquer dans l’intervention
armée visant à chasser les groupes islamistes du Nord-Mali occupé. Or, le
dossier est piloté aux Nations unies par les Français. Les animosités
iront-elles croissantes ? Ironie du sort, c’est la France qui, à un moment donné
de l’histoire, avait sauvé l’actuel homme fort de Ndjamena des griffes
d’opposants armés.
Aujourd’hui, la soudaine réapparition publique du
chef de l’Etat tchadien à l’extérieur, tend à faire croire qu’il se prépare un
front anti-français ou anti-Hollande. Auquel cas, le noyau dur pourrait se
constituer de pays dont les dirigeants se seraient sentis blessés dans leur
orgueil, suite aux récriminations de Hollande. Dans un tel scénario, le
président Déby se projetterait-il comme le patron de la fronde ? Le Tchad, la
Guinée Equatoriale et la RD Congo ont ceci de particulier que tous trois
possèdent d’énormes ressources naturelles. Malheureusement, les dirigeants de
ces pays qui croient se suffire, s’illustrent toujours négativement. Or, la
France connaît bien nos réalités, parfois même mieux que nos dirigeants,
généralement mal entourés.
Les faiblesses des dirigeants africains sont
ainsi notoirement connues de Paris. Et c’est pourquoi, avant et pendant le
sommet de la Francophonie, le nouveau patron de l’Elysée ne s’est pas privé de
titiller les dirigeants africains. Aucun doute qu’il les harcèlera sans cesse,
vu la cupidité et l’égoïsme qui habitent certains d’entre eux, mais aussi le
contexte de privation de libertés sur ce continent. Dans un refrain qui
reviendra probablement tout au long de son mandat à Paris, Hollande se fera le
devoir de condamner tous ceux dont la gestion du pouvoir d’Etat sur le continent
scandalise. Il sait que sur ce point, il pourra toujours compter sur le soutien
des « sans-voix » et de leurs défenseurs.
C’est pourquoi depuis son
arrivée, la panique gagne les rangs de certains gouvernants africains. Le
discours tenu par Hollande est relativement nouveau, et les actes qu’il pose
troublent le sommeil de dirigeants visiblement mal dans leur peau. Eux qui
avaient toujours trouvé oreille, gîte et couvert à Paris, se sentent désormais
esseulés et vulnérables. Sans exagération aucune, on peut dire que, par ses
positions de principe, le chef de l’Etat français séduit l’opinion africaine et
galvanise les opposants les plus crédibles. Au sommet de l’Etat africain par
contre, le malaise va grandissant. Nombre d’acteurs politiques ont mauvaise
conscience. A ce jour, que de crimes économiques et de sang impunis !
Complicités, prébendes, trafics et abus en tous genres, orchestrés du sous-sol
des palais feutrés des monarques à vie, sillonnent l’histoire de ce continent.
Aucune pitié, aucune compassion pour des peuples que, tour à tour, la
traite négrière, l’esclavage, les intrigues et les injustices du système
international ont spoliés. Aucune honte de la part de ces dirigeants dont la
plupart sont pourtant d’origine modeste. Parvenus au sommet, ces fils de
paysans, d’ouvriers, de commis expéditionnaires et de soldats de la coloniale,
semblent avoir irrémédiablement oublié leur feuille de route. Mais comment
peuvent-ils ignorer ce contexte de misère effroyable auquel sont, chaque jour,
réduits leurs concitoyens ? Et ces leçons de sagesse et d’humilité que n’ont pas
omis de leur glisser au creux de l’oreille d’illustres parents et devanciers ?
Pourquoi aura-t-il fallu attendre qu’un messie, -encore un autre «
toubab »-, nous arrive de l’Hexagone pour les rappeler piteusement à leur devoir
de responsabilité ? La réalité crève l’œil depuis si longtemps : retard sur tous
les plans, chômages endémiques, maladies et malnutrition, faim et soif, manque
d’instruction, guerres fratricides, détournements crapuleux, assassinats
politiques sur fond de querelles de chiffonniers, injustices sociales, sur un
continent pourtant riche et majoritairement peuplé de femmes et de jeunes qui ne
demandent qu’à s’impliquer pour juguler les fléaux. L’opinion africaine n’en
voudra pas à Hollande de servir la leçon à des dirigeants sourds aux appels de
détresse de leur peuple.
C’est pourquoi ses phrases qui font si mal aux
dictateurs et aux usurpateurs, elle les applaudira des mains ou à défaut, des
yeux, là où les libertés sont confisquées. Plutôt que de se tromper de combat,
et faire preuve de susceptibilité, Déby aurait mieux fait de répondre à son
interlocuteur français. En tout état de cause, le comportement de Idriss Déby
donne matière à pousser les Français à appuyer Sénégalais et Belges pour vite
faire juger Hissène Habré, et peser d’une certaine façon, sur son devenir à lui.
Des mal- aimés, il y en a sans doute plus !
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