Episode XVIII. Epilogue : Un gendarme belge parle - le retour de
Gizenga
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"A mes enfants que je laisse et que ne reverrai plus dites leur que l'avenir du Congo est beau et qu'il attend d'eux comme il attend de chaque Congolais d'accomplir son devoir sacré " Extrait de la lettre de Lumumba à sa famille en janvier 1961.
Le témoignage de Gérard Soete est édifiant. Dans l'interview filmé ci-dessous (extrait du film Lumumba : une mort de style coloniale), il exhibe deux dents qu'il dit avoir arraché à la machoire de Lumumba et qu'il a gardé en souvenir. Devant le tollé suscité par ses déclarations, il finira par déclarer avoir jeté les dents dans la mer noire. Dans le reportage de Michel Noll, il évoque le souvenir de Lumumba comme s'il évoquait le souvenir d'un animal avec un ton particulièrement détaché et un sourire sardonique : "il avait une très bonne denture".. ."Y en a même qui croit qu'il va revenir. Eh bien il reviendra avec deux dents de moins eheh (rires)".
On apprend donc selon ce discours que l'ex-gendarme belge de la néocoloniale katangaise détenait aussi deux doigts de Lumumba. Ce dont il n'a jamais parlé officiellement. Au dos de la couverture de ce livre il y a une citation de Hempstone Smith dans Rebels, Mercenaries and Dividends : The Katanga Story : "La mort de Lumumba pourrait être qualifiée de crime à première vue. Mais cela ne doit pas nous faire oublier le fait que Lumumba était une personne capricieuse et incapable, un raciste corrompu dont les actions démagogiques ont coûté la vie à des milliers de Congolais et apporté beaucoup de souffrances à d'autres. Il mettait son intelligence et son application au service du mal et finalement est devenu une victime de lui-même. Si quelqu'un devait mourrir pour le bien-être du Congo, Lumumba était bien le candidat logique à cet honneur ". Ce point de vue fut le point de vue le plus répandu en Belgique mais aussi dans la presse européenne et états-unienne. Après ce dur labeur colonial, les frères Soete, selon l'avocat belge de Tshombe, iront se reposer pendant deux semaines en Afrique du sud et son régime d'apartheid. A l'occasion de la commémoration du 46 ème anniversaire de la disparition de Lumumba, des historiens congolais ont reconstitué le déroulement de l'assassinat de Lumumba, Okito et Mpolo. Ils semblent confirmer la description du déroulement chronologique des faits tels que présentés par l'ex-gendarme belge qui sera amené à poursuivre une belle carrière néocoloniale sous Mobutu.
L'assassinat de Lumumba correspond symboliquement à l'assassinat d'un peuple. Pauline Lumumba, déclarait (interview par Michell Noll, 2001) : "Vous êtes européens, vous êtes allemand, je crois que cette image - je ne suis pas juive, je suis noire - cela rappelle l'Holocauste. On a brûlé des corps, on a pris leur graisse pour faire des engrais, on a pris les dents en or pour faire des trésors de guerre et vous appelez cela crimes contre l'humanité." L'assassinat de Lumumba fut masqué par les autorités Belges et Katangaises. On fit croire que Lumumba s'était échappé et avait pris une voiture puis avait été assassiné par des villageois qui l'avaient reconnu. Un scénario inventé de toute pièce par les éminences grises belgo-katangaises derrière Tshombe selon Verscheure cité par Brassine (Enquête sur la mort de Patrice Lummba, Thèse de science politique (ULB) non publiée, p.400). Une version officielle qui sera proclamée par le ministre sécessionniste katangais Munongo : " Ils ont été immédiatement enterrés en un droit que nous ne révèlerons, ne serait-ce que pour éviter d'éventuels pèlerinages. Nous ne révélerons pas davantage le nom du village qui a mis fin aux tristes exploits de Lumumba et de ses complices. En effet, nous ne voulons pas que ces Katangais, dont la tribu ne sera même pas précisée, puissent être l'objet d'éventuelles représailles de la part des lumumbistes. Nous ne voulons pas non plus être l'objet d'une pression en vue d'exercer des poursuites judiciaires du chef de meurtre contre ces Katangais qui ont peut-être agi d'une façon un peu précipitée[...], mais auxquels nous ne pouvons honnêtement reprocher d'avoir débarrassé le Katanga, le Congo, l'Afrique et le monde, d'un problème [...] qui menaçait d'empoisonner l'existence de l'humanité" (Cité par Ludo de Witte, l'Assassinat de Lumumba, p.311-312). . Mais personne ne crut à ces ragots colportés par la Belgique et le gouvernement néocolonial katangais. Selon Michel Noll (Lumumba, une mort de style colonial) "le ministre belge des affaires africaines qui tirait les affaires en coulisse, tentait lui même d'étouffer l'affaire en envoyant de faux télégrammes". Trois semaines plus tard la presse internationale fit ses gros titres sur l'affaire en donnant la version officielle colportée par les gouvernements belge, états-unien, français et les supplétifs Congolais. La vérité n'allait être connue que dix ans plus tard, aucuns des meurtriers ou des hommes qui y ont pris part n'ont jamais été inquiétés ou inculpés. De nombreux journaux belges de l'époque notamment La Libre Belgique pratiquèrent la démonisation du défunt Lumumba considéré comme le "diable" ou "Lucifer", un "paranaoïaque" ou atteint de "crises d'hystérie". Une démonisation associée une infantilisation et une psychiatrisation par de nombreux médias occidentaux du cas Lumumba qui a été mis en place dès son accession au poste de Premier ministre et de son programme patriotique allant à l'encontre des intérêts impérialistes américains et coloniaux. Cette propagande (néo)coloniale se poursuivra donc après sa mort dans les milieux pro-colonialistes ou/et d'extrêmes droites. "Selon un sous-officier suédois de garde à l'aérodrome, l'ancien Premier ministre aurait été rudoyé à son arrivée par les policiers katangais. Qu'un prisonnier puisse être frappé, malmené, heurte nos sentiments [...] Il est très certainement regrettable que les Congolais n'aient pas constamment en poche 'le manuel du parfait gentleman', avec le désir de s'en servir.[...] Nous ne serons jamais, et nulle part, les défenseurs des brutalités policères. Mais les coups qu'a reçus Lumumba dans l'avion qui l'amenait à Elisabethville ont peut-être une explication. Au cours des trois mois que nous venons de passer au Congo, nous avons recueilli un certain nombre de témoignages sur la personnalité réelle de l'ancien Premier ministre. A Brazzaville [...] un médecin français [...] [ a dit que Lumumba] est un paranoïaque.[...] Au mois d'août, devenu Premier ministre, Lumumba s'était vu interdire l'atterissage à Elisabethville[...] (il a eu) une crise d'hystérie[...] si les soldats chargés de l'escorter connaissaient, par exemple, l'histoire des enfants massacrés de Bakwanga, il est compréhensible, si non excusable, qu'ils aient montré peu de patience pour les crises de nerfs de leur prisonnier". (La Libre Belgique, 27.01.1961 "L'Afrique démoniaque". Cité par Ludo De Witte , ibid, p.305). Toujours dans la Libre Belgique un éditorial dénonce : "Ce qui survient démontre hélas ! qu'en Afrique et en certains pays d'égal évolution, l'accession à la démocratie demeure une affaire de meurtres". Même son de cloche dans De Standaard "Patrice Lumumba est mort comme il l'a toujours voulu : de manière violente"; L'Echo de la Bourse, journal des milieux financiers belges écrit "L'existence même de M. Lumumba était un abcès qui avait déja infecté le Congo et qui menaçait de l'infecter davantage...Il nous est difficile d'être tristes...sans être hypocrites!" (Cité par Ludo De Witte, ibid). Chez les colons du Katanga comme dans le gouvernement belge d'Eyskens ou au sein de la royauté belge ou dans les milieux françafricains ou américafricains se fut la liesse. Les huits soldats et les neufs policiers qui ont procédé à l'exécution et aidé à mettre en place la pseudo-évasion des prisonniers furent récompensés par le commandement belge et reçurent une prime dans les mois qui suivirent l'assassinat. Selon Ludo De Witte, Verscheure remettra de sa main les primes aux soldats ayant participé à l'assassinat : "Soussigné X, soldat de 1ère classe de la 1ère compagnie P.M. - Camp Massart déclare avoir reçu ce 16 juin 1961 du commissaire Verscheure la somme de 10 000 francs". (Ibid p. 338). Le roi Baudoin ira jusqu'à se fendre d'une lettre pour remercier Tshombe de ce qu'il a fait pour le Congo.
Le ministre Wigny sera promut baron, Brassine sera anobli chevalier, Soete ainsi que Marlière continueront une brillante carrière auprès de Mobutu. Il n'y aura que peu de remise en question de la politique belge au Congo après l'assassinat de Lumumba. L'ancien ministre Pholien contient à peine sa joie à l'idée que le transfert de Lumumba ait pu consolider les liens entre Elisabethville et Léopoldville. Les milieux financiers et les grandes familles politiques belges partagent l'idée d'une reconstruction d'un Congo néocolonial autour du Katanga auquelle la classe ouvrière en grève à l'époque ne semble pas manifester d'opposition farouche. Néanmoins des questions seront posées à la Chambre belge qui resteront sans réponses : "Je constate que le pilote de l'avion était Belge, que le capitaine des seize hommes qui le gardaient était, comme par hasard, un Belge, et je vous rappelle que le grand chef de la justice du Katanga est un Belge!". Quelques journaux belges (La Meuse, Le Peuple) se questionnent sur la version officielle et exprimeront leur horreur face à ce qui s'est passé dans l'ex-Katanga. En revanche les réactions de protestation dans le monde furent particulièrement nombreuses. Des manifestations pacifiques en hommage de Lumumba se déroulèrent partout dans le monde à Belgrade, au Caire, à Vienne, à Varsovie, à Moscou, à New Dehli, à Moscou, à Tel Aviv, à Oslo, à Accra et même à Léopoldville malgré le régime néocolonial en place. A Luluambourg au Congo une grève générale est organisée. Dans les manifestations au travers le monde, les slogans fusent "Nations unies dehors", "L'Afrique aux Africains". Les ambassades belges sont victimes d'exactions à Belgrade, à Varsovie et au Caire où les manifestants forcent les cordons de sécurité et remplacent les tableaux du roi Baudoin par ceux de Lumumba. A Belgrade, l'ambassade belge est ravagée, au Caire, elle est mise à feu, à New Dehli les affiches du roi Baudoin sont arrachés au sein de l'ambassade. A Belgrade, l'ambassade de France est aussi envahie, à Accra les manifestants arrachent l'enseigne de l'ambassade des USA du mur et piétinent le drapeau de l'ONU et au Caire, le Centre d'information de l'ONU est détruit. Le président ghanéen N'Krumah fait une déclaration à la radio.
Devant le tollé international l'ONU se voit contrainte d'ouvrir une enquête internationale auquelle la Belgique et le gouvernement sécessionniste du Katanga refuseront de participer. Elle sera freinée aussi par l'Américafrique tandis que l'URSS ne fera rien pour que celle-ci soit menée à bien. L'URSS après avoir tapé du poing par l'intermédiaire de Kroutchev à l'ONU, craignant une désolidarisation du système onusien de la plupart des pays en développement et souhaitant garder son cortège d'états clients s'empressera de ne pas faire trop de remue ménage au conseil de sécurité concernant le massacre commis par le lobby belgo-katangais avec l'entier soutien de l'Américafrique et la complicité tacite de l'ONU. Lumumba assassiné, les autorités de Léopoldville et d'Elisabethville vont s'employer à décapiter le mouvement nationaliste en assassinant ses principaux leaders : Finant, Elengesa, Nzuzi, Muzungu et Mbuyi sont remis aux autorités de Bakwanga (une province ayant fait sécession à la suite du Katanga avec le soutien de la Belgafrique). Ces leaders nationalistes seront exterminés par la clique de Kalonji, président dictateur autoproclamé du sud-Kasaï.
Quarante six ans plus tard, Antoine Gizenga, bras droit de Lumumba en 1960, et secrétaire du parti des lumumbistes unifiés en 2007, est le nouveau premier ministre du RDC. Mais Gizenga a constitutionnellement un pouvoir nettement réduit comparativement à celui de Lumumba. Lumumba fut premier ministre dans un régime parlementaire tandis que Gizenga est premier ministre d'un régime présidentiel fort dont la constitution a été en partie rédigée par un homme de la Françafrique. Il ne faut pas cacher qu'après la guerre en RDC où l'Américafrique et la Françafrique se sont affrontés par états vassaux interposés - une guerre qui a fait plus 4 millions de morts - le Congo est à genou et reste à reconstruire. Le président Joseph Kabila avant les élections a déja bradé les richesses du pays dans des joints ventures laissant la part belle aux multinationales avec la caution du FMI. Gizenga fidèle à la doctrine de Lumumba a promis de lancer un plan contre la corruption pour relancer l'économie. Sa tâche sera donc particulièrement ardue et il devra développer des trésors de diplomatie et d'imagination pour parvenir à son objectif sans passer pour l'alibi d'un président considéré par beaucoup comme l'homme lige de l'Occident. Un président qui n'hésitait pas à déclarer au Sénat belge, il y a de cela quelques années, vouloir rendre hommage à l'oeuvre accomplie par Léopold II au Congo : "«L'histoire de la République démocratique du Congo, c'est aussi celle des Belges, missionnaires, fonctionnaires et entrepreneurs qui crurent au rêve du Roi Léopold II de bâtir, au centre de l'Afrique, un Etat. Nous voulons rendre hommage à la mémoire de tous ces pionniers.» (Extrait du discours de Joseph Kabila le 10.02.06 au Sénat belge). Une rhétorique qui est aux antipodes du discours de Lumumba qui avait fustigé devant le roi des Belges "Bwana Kitoko" le 30 juin 1960 les crimes de la colonisation dans son discours d'intronisation et au discours de Laurent-Désiré Kabila qui avait déclaré en 2000: "«A un moment, Léopold II avait son Etat du Congo pour y chercher le caoutchouc. Si vous n'alliez pas en chercher, on vous amputait, vous deveniez manchot. La chicotte était quotidienne. Ils ont pillé, pillé. (...) Nous disons qu'il faut confier le pouvoir au peuple». Lorsque la statue de Léopold II fut réinstallée le 3 février 2005 à Kinshasa elle fut aussitôt déboulonnée moins de 24 heures après son installation. Cela fait plusieurs décades que les Congolais résistent comme ils peuvent à l'oppression coloniale puis néocoloniale. Face aux massacres à caractère génocidaire que certains nomment les génocides (sous Léopold II ou lors des massacres de dizaines à des centaines de milliers de civils organisés par les troupes belgo-katangaises dirigés par les mercenaires franco-belges lors de leur reconquête du Katanga après la mort de Lumumba), face aux assassinats, face à la torture, face à la spoliation et à la prédation des richesses sur fond de néocolonisation mobutienne pendant plus de 40 ans puis face à la guerre civile de 1998-2003, certains ont baissé les bras. Kabila fils n'a -t-il pas eu son père assassiné le 16.01.2001? La journaliste Colette Braeckman spécialiste des grands Lacs évoque entre autres, une piste américafricaine mêlant CIA et hommes de mains congolais.
D'autres pistes ont été évoquées concernant l'assassinat de Laurent-Désiré Kabila jugé trop rétif aux intérêts des multinationales occidentales et aux pontes kleptocrates du pays et autres chefs de guerre. Les autorités congolaises ne semblent pas prêtes à faire lumière sur les responsables de l'assassinat. Six ans plus tard, il reste beaucoup de zones d'ombre autour de cette tragique affaire. La justice militaire a condamné plusieurs dizaines de personnes sans que l'on sache qui sont réellement les assassins, les commanditaires, et pour quels mobiles Kabila père a été exécuté (RFI Invité Afrique : Maître Richard Kwébé, 16.01.07) . La disparition de Laurent-Désiré Kabila qui avait gagné le maquis pendant les années de tyrannie néocoloniale mobutiesque pour revenir au pouvoir porté par les troupes ougando-rwandaises soutenues par l'Américafrique puis pour les combattre soutenu pour partie par la Françafrique ne semble pas avoir rendu triste les milieux financiers internationaux et les autorités belges. Le lendemain de l'assassinat Louis Michel, ministre belge des Affaires étrangères, n'hésitait pas à déclarer : «Le choc a peut-être crée un moment propice à la négociation» (Le Soir du 19 janvier 2001). Le fils Kabila n'a peut-être pas eu beaucoup de marge de manoeuvre pour accepter les termes de la négociation. A compléter et à suivre ... Dernières modifications le 20.01.07 |
dimanche 11 mars 2012
Episode XVIII. Epilogue : Un gendarme belge parle - le retour de Gizenga
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