Episode XIII : Le
pouvoir de Tshombe fragilisé au Katanga - situation économique et sociale
précaire en Belgique - dimanche 01.01.1961 défaite des soldats de Mobutu à
Bukavu - la capture du major Pongo - panique à Bruxelles et Léopoldville - le
transfert et l'élimination de Lumumba deviennent
urgents
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Le pouvoir de Tshombe
fragilisé au Katanga
Fin décembre 1960, la situation se gâte dans la "province du cuivre", véritable poumon économique du pays. Contrairement à ce que Tshombe veut bien annoncer à la communauté internationale quant à la prospérité de sa province sécessionniste, les éléments de réalité ne plaident pas en sa faveur. Le pouvoir supplétif à Elisabethville est obligé de s'appuyer sur des mercenaires européens et d'Afrique du sud, des colons belges et des centaines de militaires belges pour assurer son maintien au pouvoir. Deux cent militaires belges camouflés sous l'uniforme de l'armée katangaise assurent la colone vertébrale des troupes de Tshombe (Ludo de Witte, l'assassinat de Lumumba p. 146). D'après Ludo de Witte (ibid, p. 175) : "Tshombe a donné son accord pour former une compagnie qui sera entièrement composée de Blancs recrutés en Europe. Cette garde prétorienne aura pour tâche de protéger le régime au cas où les troupes africaines perdraient pied". Le régime Katangais ne tient que grâce au soutien belge et aux "affreux", ces mercenaires qui encadrent avec les soldats belges la gendarmerie katangaise. Selon le major Weber, Tshombe a perdu confiance en ses propres troupes : "Celles-ci sont régulièrement indisciplinées, entraînées dans des disputes entre ethnies et de plus en plus méfiantes envers les officiers blancs " (ibid, p.175). Le consulat des USA à Elisabethville décrit la situation lamentable de l'armée de Tshombe. De fait le tiers de la province est passé sous le contrôle des Baluba en passe d'être rejoint par les patriotes lumumbistes. La révolte des Baluba "a converti la ville (de Manolo) en bastion de la rébellion. Au cours des derniers mois de 1960, les triomphes de la Balukabat se succèdent. Le nord et le centre du Katanga, des deux côtés de la Lualaba, bon pour un tiers de la superficie totale de la province, sont tombés sous la prise solide des rebelles, d'autres régions et certaines villes importantes ont été converties en noman's land. Kabalo et Nyunzu, dans le nord, sont tombés respectivement au début du mois de novembre et de décembre. Bukama, plaque tournante au centre de la province, est conquis début décembre. Bukama servait également de gare de passage à la ligne ferroviaire entre la capitale katangaise et le Kasaï. Depuis, ce trafic s'est arrêté. Ce n'est que grâce à beaucoup d'efforts que Kamina, lieu stratégique se trouvant également au centre, reste sous le contrôle du régime. Luena et Mitwaba au centre, et Kabongo dans le nord-est, sont à peu près coupés du reste de la province. La rébellion est sur le point de contrôler trois plaques tournantes vitales du régime : Albertville, deuxième ville de la province dans le nord ; Kolwezi, centre minier dans le sud ; et enfin le chemin de fer reliant Elisabethville au port de Lobito en Angola". La Belgique se trouve piéger par son "double-jeu" consistant à soutenir avec les USA les autorités néocoloniales en constitution à Léopoldville (Kasa vubu - Mobutu) et le régime de Tshombe. Les anciens colons derrière Tshombe demandent la reconnaissance officielle par la Belgique du Katanga auprès des Nations unies mais Bruxelles reste relativement entravée par son lien avec le tandem Kasa vubu - Mobutu. En fait, la Belgique a joué deux chevaux à la fois pour contrer le gouvernement démocratique de Lumumba tandis que les USA ont toujours soutenu Mobutu et Kasa-Vubu à Léopoldville. Conscient de ce "double-jeu", se sentant insuffisamment soutenu par le gouvernement belge le lobby belgo-katangais sous couvert de Tshombe menace de faire appel à la France et de fait engage des militaires français ultras de l'Algérie française. Le colonel Trinquier, père avec Lacheroy de la théorie de la guerre antisubversive, est recruté par les colons belges au Katanga comme chef de la gendarmerie katangaise fin janvier 1961. "Les diehards katangais autour de Thyssens, Onckelinx, Belina et des cadres de l'Union minière comme Henri Fortemps veulent coûte que coûte maintenir l'indépendance katangaise. Ils ont trouvé un fougueux partisan en la personne du ministre Kimba. Thyssens et ses comparses rêvent d'une éternelle oasis coloniale au coeur de l'Afrique, et ce clan craint, non sans raisons, que Bruxelles ne pousse le Katanga, après le renversement de Lumumba et l'installation d'un régime néocolonial à Léopoldville, à un compromis avec le gouvernement central pour la restauration d'un Congo uni".(ibid, p. 158). Roger Trinquier lors du putsch du général de Gaulle en 1958 était présenté dans les colones du journal Le Monde comme un "tigre assoiffé de sang" il aurait déclaré en mai 1958 lors du putsch républicain qui allait placer le général de Gaulle à la tête de l'Etat français "Donnez-moi cent égorgeurs et je terroriserai Paris" (ibid, p. 159). A l'époque il commandait les paracommandos français à Alger chargés des opérations de "nettoyage". En France, l'avènement du général de Gaulle en mai 1958 sous la poussée des ultras de l'Algérie et des réseaux stay-behind marquera la fin de la IVème république, de son régime parlementaire et reculera la date de l'indépendance de l'Algérie. Avec l'avènement de la Vème république les Français entreront dans un régime présidentiel fort, semi-démocratique, ils n'auront plus accès à la politique africaine de leur pays et au domaine de l'exécutif par la voix de leurs parlementaires. Dès lors le général de Gaulle, ancien militaire, régentera avec son alter-ego Jacques Foccart la politique étrangère dans les pays outre-mer sans guère de contre-pouvoir instituant le système de la Françafrique et ses nombreuses dérives. On peut dire que la Vème République française porte l'héritage colonial en son sein* et le prolonge sous sa forme néocoloniale dans les anciennes colonies. Situation économique et sociale précaire en Belgique Fin décembre 1960 la Belgique a perdu vingt cinq militaires sur le sol katangais depuis la sécession du Katanga en juillet 1960 (Ludo de Witte, ibid, p. 181, note de bas de page). La situation économique depuis l'indépendance du Congo n'est guère brillante. La dette publique s'est élevée considérablement et le gouvernement Eyskens est obligé d'engager des mesures de restriction budgétaire : augmentation des impôts et diminution des dépenses sont au programme. "Les économies et les assainissements doivent se chiffer à 20 milliards de francs et les recettes fiscales nouvelles "temporaires" seront à l'ordre de 6 milliards". (Luc De Vos et coll., Les secrets de l'Affaire Lumumba , p. 281). Fin décembre 1960, début janvier un mouvement de contestation sociale croissant conduit à des grèves et des émeutes en Belgique. Le 3 janvier 1961, les grèves atteignent leur point culminant, en ampleur et en intensité, avec des émeutes et des sabotages. Pour Luc De Vos et coll., (ibid, p.281) ces mesures d'assainissement de l'économie n'ont rien à voir avec la crise congolaise. Néanmoins il est fort probable que l'indépendance accordée au Congo, la guerre civile qui a éclaté suite à la proclamation de la sécession du Katanga entraînant la rupture des relations diplomatiques et économiques avec la Belgique (prononcée par le gouvernement Lumumba suite à la sécession du Katanga fomentée par l'ancienne puissance coloniale) ont privé Bruxelles d'une manne financière non négligeable. D'autant plus que même si la Belgique continue de contrôler économiquement le Katanga, la guerre qui ravage le nord comme on l'a vu influe considérablement sur l'économie katangaise. Dimanche 01.01.1961. Défaite des soldats de Mobutu à Bukavu. La capture du major Pongo. La perte de Bukavu dans l'est du Congo constitue une perte sèche pour Bruxelles, Washington et le nouveau gouvernement hétéroclite de Léopoldville. Dès lors il s'agit pour Mobutu de reprendre cette ville charnière aux patriotes de Stanleyville soutenant Lumumba. Fin décembre Mobutu lance ses soldats à la reconquête de Bukavu à la frontière du Rwanda encore sous mandat belge. Les soldats de l'ANC pro-Mobutu sont envoyés sous l'aile protectrice de leur mentor belge, le samedi 31.12.1960 via le Rwanda à Bukavu. Action qui se fait avec l'appui de Bruxelles en violation flagrante avec l'interdiction faite par le conseil de sécurité de l'ONU. Dès le début de la bataille le dimanche 01.01.1961, les soldats de l'ANC pro-Mobutu sont mis en déroute après quelques échanges de tirs en provenance du camp des patriotes de Saio en territoire congolais. Une grande partie des soldats sont capturés dont le major Pongo qui a arrêté Lumumba. Seuls trente hommes parviennent à s'échapper. Pris en otage par les patriotes, le major Pongo ne cessera de réclamer la libération de Lumumba en échange de la sienne. Il n'obtiendra jamais gain de cause. Pongo sera assassiné par les patriotes peu après l'assassinat de Lumumba. Cette action de reconquête avait été planifiée dès le 27 décembre 1960 en plein accord avec l'ancienne puissance coloniale.
La Belgique a joué un rôle actif dans le soutien logistique et militaire apporté aux troupes de Mobutu.
Panique à Bruxelles et Léopoldville - le transfert et l'élimination de Lumumba deviennent urgents Le colonel Frédéric Vandewalle qualifiera cet épisode de "désastre" pour les autorités de Léopoldville. C'est la panique à Bruxelles et à Léopoldville. Ce fiasco total ne rassure en rien le gouvernement belge ni les USA d'ailleurs qui vont être confrontés à la passation de pouvoir entre Eisenhower et Kennedy fin janvier 1961. Il n'est pas sûr que le nouveau président partage les vues de son prédécesseur et de la CIA concernant le bannissement de Lumumba. A Léopoldville, Mobutu fait preuve d'une indécision croissante face à la défaite cuisante subie à Bukavu. Des bruits courent que l'on envisagerait à Léopoldville de relâcher Lumumba. Les soldats de l'ANC ont sympathisé avec Lumumba. Après la mutinerie du 27 décembre que le colonel Bobozo a stoppé à son corps défendant, on craint des récidives au camps de Thysville. Dès la fin décembre les tractations en coulisse se sont activées pour transférer Lumumba vers une localisation où il pourrait "être éliminé physiquement" en toute opacité. Le samedi 24 décembre, Bomboko demande dans un télégramme le transfert du prisonnier de Thysville vers le Katanga à Elisabethville. Le même jour l'ambasadeur belge à Brazzaville Dupret écrit : "Une réponse affirmative est souhaitable, malgré l'échec des tentatives antérieures. Contamination des troupes de Thysville est à craindre". (Ludo de Witte, l'assassinat de Lumumba, p.183). Ce télégramme sera envoyé à Bruxelles "aux Affaires étrangères, aux Affaires africaines et à Caeymax, chef de la Sûreté belge. Aussitôt Bruxelles le réexpédie au consulat général belge d'Elisabethville. Quelques jours plus tard (le 28.12.1960, ndlr), Vanden Bloock (E'ville) envoie un télégramme ultra secret à Bruxelles. Elisabethvilles déclare qu'un transfert n'est pas opportun" (ibid, p.183). Le 28.12.1960 Tshombe refuse le transfert de Lumumba au Katanga et préconise à l'instar de Vanden Bloock qu'il soit envoyé au Kasaï à Bakwanga où il serait livré aux soldats de Kalonji. Fin décembre, le ministre belge Wigny "souligne dans sa communication que Tshombe doit cesser "sa lutte de prestige" avec Kasa Vubu : la coopération entre "modérés" contre le danger nationaliste est absolument prioritaire. Wigny mentionne encore que les communications tééphoniques entre Léo et E'ville sont réparées". (ibid, p. 186). Le souci de l'ancienne puissance coloniale devient d'autant plus prioritaire que la presse américaine révèle que Lumumba a fêté le réveillon de la Saint Sylvestre avec les soldats censés le garder et que les soldats lui ont souhaité la bonne année et ont permis à sa première compagne de le visiter. Un ancien collaborateur de Lumumba, Lopez Alvarez signale l'inquiétude des dirigeants à Brazzaville et témoigne du rapprochement entre Lumumba et ses gardes. "Ils se mirent à souhaiter la bonne année au prisonnier de Thysville et ils accordèrent leur hospitalité à la première compagne de Lumumba, que l'on présenta à l'opinion mondiale comme étant son épouse (...) On me demande : "'Si Lumumba revient, seriez-vous disposé à remplir un rôle de médiation pour chercher un modus vivendi entre nous et lui?" (Témoignage retranscrit par Lahaye et repris par Brassine cité par Ludo de Witte, l'assassinat de Lumumba, p.144). Début janvier, craignant un retournement de situation, les autorités de Léopoldville songent à transférer Lumumba dans le Bas-Congo au fort de Shinkakasa où il aurait vraisemblablement un sort plus enviable. Le Bas-Congo est la province natale de Kasa Vubu où son parti politique l'Abako est fortement représenté. Première semaine de janvier les autorités congolaises envoient à Boma le commissaire Kandolo pour préparer son transfert. Mais l'administrateur-directeur général de la Sûreté publique belge au Congo s'y oppose dans une lettre au ministre Wigny : "le transfert de Lumumba vers Boma s'avère irréalisable par suite de la désorganisation militaire du détachement de Boma et l'exiguïté du fort de Shinkakasa. Une autre solution devra être recherchée". (Luc De Vos, Les secrets de l'Affaire Lumumba , p. 281). Les autorités de Léopoldville renonceront à cette solution. Selon Luc De Vos et coll., (ibid, p.281) les autorités locales du Bas-Congo n'étaient pas prêtes à recevoir le prisonnier de Thysville.
Semaine prochaine
Episode XIV : Le 04.01.1961, lettre de Lumumba au secrétaire général de l'ONU ____________________________________________________ * Encore de nos jours lorsque des députés demandent une commission d'enquête sur l'armée française mise en cause dans un massacre de civils à Abidjan, ceux-ci se voient répondre par la branche forte de l'exécutif que "cela serait une défiance à notre armée". |
dimanche 11 mars 2012
Episode XIII : Le pouvoir de Tshombe fragilisé au Katanga - situation économique et sociale précaire en Belgique
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