Episode XI : Lumumba humilié,
Lumumba torturé, Lumumba emprisonné
"...Ni brutalités, ni sévices, ni
tortures ne m'ont jamais amené à demander la grâce car je préfère mourir la tête
haute, la foi inébranlable et la confiance profonde dans la destinée de mon pays
plutôt que vivre dans la soumission et le mépris des principes sacrés.
L'histoire dira un jour son mot, mais ce ne sera pas l'histoire qu'on enseignra
aux Nations Unies, Washington, Paris, ou Bruxelles, mais celle qu'on enseignera
dans les pays affranchis du colonialisme et ses fantôches. L'Afrique écrira sa
propre histoire et elle sera au Nord et au Sud du Sahara une histoire de gloire
et de dignité. Ne me pleure pas, ma compagne, moi je sais que mon pays, qui
souffre tant, saura défendre son indépendance et sa liberté. Vive le Congo !
Vive l'Afrique! " Dernière lettre de Patrice Lumumba à sa femme Pauline.
Lettre écrite en prison en décembre 1960.
Pour cet épisode l'essentiel des sources
proviennent du livre de Ludo de Witte : L'assassinat de Lumumba. Se procurer le
livre
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Le vendredi 2 décembre 1960, l'avion ramenant Lumumba atterit sur la piste de l'aéroport de Léopoldville à Ndjili. Pour célébrer sa victoire, Mobutu a convié sur le tarmac la presse, les hauts gradés de l'ANC et des dignitaires du régime. Les soldats de l'ONU sont présents et restent en retrait. Alors que l'ONU est intervenue pour empêcher que Bomboko soit malmené par les partisans de Lumumba en septembre, alors que l'Onu est intervenue pour protéger les ressortissants belges au début de la crise congolaise, bien que Lumumba dispose de l'immunité parlementaire, l'ONU refuse d'intervenir et de le secourir. Et c'est un Pongo triomphant qui sort le Premier Ministre Patrie Emery Lumumba de l'avion. Selon l'ambassadeur belge à Brazzaville dans un télégramme en date du 3 décembre 1960, Lumumba porte une chemise blanche, il a perdu ses lunettes et a les mains attachés dans le dos. Selon des observateurs de l'ONU (cité par Ludo de Witte, l'assassinat de Lumumba, p.136) Lumumba a un caillot de sang sur la joue. Il a visibilement été battu pendant le voyage. Pour renforcer l'humiliation, Mobutu demande à ce que Lumumba soit exhibé devant la presse. Les prisonniers sont poussés sur la plate-forme d'un camion où un soldat relève la tête de Lumumba en le tirant par les cheveux et en tordant son bras pour que les photographes puissent photographier son visage. Mobutu (fantoche du néocolonialisme) fait exhiber l'ancien Premier ministre du Congo comme un animal que l'on fait parader dans une foire aux bestiaux.
Etats-Unis : la règle du jeu. Afrique : l'étoile
noire (2/3). Documentaire. Scénario et réalisation de Peter Du Cane
et Matthew Kelly. Production Australian Film Finance Corporation/Electric
Picture/Wildfilm Australia
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Jean Van Lierde écrira : "La Télévision et les reporters du cinéma ont filmé cette scène odieuse de leur arrivée à Ndjili où ils furent battus et humiliés, sous l'oeil des caméras, par des soldats déchaînés. Mais pendant ces minutes terribles la figure de Lumumba apparaît sereine et fière. Il tient la tête haute sous les coups et pose avec commisération ses regards sur les faces brutales des mutins excités".
Lumumba et les autres prisonniers sont alors transférés au camp de Binza. Là, nouvelle séance de photographie devant la presse puis Mobutu regarde ses soldats bastonner Lumumba tandis que Pongo crie aux militaires de taper encore plus fort (Ludo de Witte, p.137). Un soldat lit la déclaration de Lumumba proclamant qu'il est le Premier ministre élu démocratiquement du Congo puis enfonce le papier dans la bouche de Lumumba. Ensuite Lumumba est de nouveau roué de coups (selon Ludo de Witte, p.137). Puis vient Nendaka qui s'est rallié au camp Mobutu, il enferme Lumumba dans le garage de la résidence du colonel Wandewalle où Lumumba sera très violemment frappé dans la nuit du 2 au 3 décembre 1960. Le ministre belge des affaires étrangères, Wigny, est prévenu par l'ambassadede Belgique à Brazzaville dans un télégramme en date du 3 décembre : "Fortement maltraité au cours de la nuit du 2 au 3 décembre par commandos qui lui auraient notamment brûlé la barbe. Bomboko est intervenu pour calmer les esprits, mais sans succès. D'après témoin occulaire, intéressé est actuellement très mal en point" (cité par Ludo de Witte, ibid, p.137). Dans ce même télégramme l'ambassadeur belge de Brazzaville engage Kasavubu, le maillon faible de la coalition néocoloniale, à plus de "fermeté".
Les traitements infligés à Ndjili et à Binza par les soldats de l'ANC de Mobutu ont été filmés par la presse et malgré les efforts déployés par l'ambassadeur des USA, Timberlake, ceux-ci seront diffusés dans le monde entier mettant l'ONU dans une fâcheuse posture. Les Nations-Unies par l'intermédiaire de leur secrétaire général émettront des protestations envers le gouvernement féal de Léopoldville sans exiger la moindre sanction ni une quelconque action. Timberlake justifiera les violences en écrivant "la violence appelle la violence" (Ludo de Witte, ibid, p.138). Il s'agissait selon Vandewalle de se couvrir contre la fronde à l'ONU des pays afro-asiatiques (Ludo de Wilde, inid, p.139).
Le 3 décembre, Lumumba est transféré au camp
militaire de Hardy à Thysville. Un contingent de casques bleus marocains ne
manque pas de signaler au représentant de l'ONU au Congo, Dayal, les mauvais
traitements infligés à Lumumba dans ces baraquements : "On dit qu'il souffre
de graves blessures reçues avant son arrivée. Il a été tondu et on lui laisse
les mains liées. On le tient en cellule dans des conditions inhumaines pour ce
qui est de la santé et de l'hygiène" (cité par Ludo de Witte, ibid, p.139).
De plus, le 5 décembre toujours selon Ludo de Witte (ibid, p.140), Dayal écrit
au secrétaire général de l'ONU, Hammarskjöld : "Le détachement marocain
signale qu'il y a des grandes discussions au sein de la base de l'ANC à propos
des traitements réservés à Lumumba. Le débat n'est pas clos".
Dernière lettre de Lumumba à sa femme
Pauline.
Lettre écrite en prison en décembre 1960. Publiée par Jean Van Lierde en 1963 puis rééditée en 1997. Lettre de Lumumba qui fut aussi publiée dans Jeun Afrique. Les commentaires en italique sont de Jean Van Lierde. |
Ce départ de Lumumba coïncidait avec le retour de M. Kasa-Vubu de New-York où il avait obtenu la validation de sa délégation près des Nations Unies. La même nuit plusieurs ministres M.N.C. quittèrent également Léopoldville : Gbenye, Mpolo, Kashamura, Okito, Mujanay et Mbuy. Ces deux derniers se séparèrent de la colonne et furent massacrés au Kasaï. Mpolo et Okito furent arrêtés à Mushie et transférés à Léopoldville. Le vote de l'O.N.U. en faveur de Kasa-vubu avait persuadé les leaders M.N.C que l'O.NU.C. n'empêcherait plus désormais leur arrestation. Dès que la nouvelle fut connue, elle fit sensation, et aussitôt mes larbins du colonialisme prêtèrent au major Pongo de la Sûreté conglaise des avions de reconnaissance à basse altitude pour repérer les traces de Lumumba sur les routes de brousse. Le 29 sa présence était signalée à Kikwit, le fief du P.S.A., où il tint des meetings. Puis les voitures du convoi furent repérées alors qu'elles entraient au Kasaï et le ssoldats mobutistes arrêtèrent M. Lumumba. Celui-ci aurait pu s'échapper encore, mais il ne voulut pas abandonner sa femme avec laquelle il fasait ce voyage en souvenir de leur enfant perdu. De sa prison, il enverra alors à Pauline Lumumba cette dernière lettre que publia l'hebdomadaire tiunisien Jeune Afrique. Ma compagne chérie, Je t'écris ces mots sans savoir s'ils te parviendront, quand ils te parviendront et si je serai en vie lorsque tu les liras. Tout au long de ma lutte pour l'indépendance de mon pays, je n'ai jamais douté un seul instant du triomphe final de la cause sacrée à laquelle mes compagnons et moi avons consacré toute notre vie. Mais ce que nous voulions pour notre pays, son droit à une vie honorable, à une dignité sans tache, à une indépendance sans restrictions, le colonialisme belge et ses alliés occidentaux - qui ont trouvé des soutiens directs et indirects, délibérés et non délibérés, parmi certains hauts fonctionnaires des Nations-Unies, cet organisme en qui nous avons placé toute notre confiance lorsque nous avons fait appel à son assistance - ne l'ont jamais voulu. Ils ont corrompu certains de nos compatriotes, ils ont contribué à déformer la vérité et à souiller notre indépendance. Que pourrai je dire d'autre ? Que mort, vivant, libre ou en prison sur ordre des colonialistes, ce n'est pas ma personne qui compte. C'est le Congo, c'est notre pauvre peuple dont on a transformé l'indépendance en une cage d'où l'on nous regarde du dehors, tantôt avec cette compassion bénévole, tantôt avec joie et plaisir. Mais ma foi restera inébranlable. Je sais et je sens au fond de moi même que tôt ou tard mon peuple se débarassera de tous ses ennemis intérieurs et extérieurs, qu'il se lèvera comme un seul homme pour dire non au capitalisme dégradant et honteux, et pour reprendre sa dignité sous un soleil pur. Nous ne sommes pas seuls. L'Afrique, l'Asie et les peuples libres et libérés de tous les coins du monde se trouveront toujours aux côtés de millions de congolais qui n'abandonneront la lutte que le jour où il n'y aura plus de colonisateurs et leurs mercenaires dans notre pays. A mes enfants que je laisse, et que peut-être je ne reverrai plus, je veux qu'on dise que l'avenir du Congo est beau et qu'il attend d'eux, comme il attend de chaque Congolais, d'accomplir la tâche sacrée de la reconstruction de notre indépendance et de notre souveraineté, car sans dignité il n'y a pas de liberté, sans justice il n'y a pas de dignité, et sans indépendance il n'y a pas d'hommes libres. Ni brutalités, ni sévices, ni tortures ne m'ont jamais amené à demander la grâce, car je préfère mourir la tête haute, la foi inébranlable et la confiance profonde dans la destinée de mon pays, plutôt que vivre dans la soumission et le mépris des principes sacrés. L'histoire dira un jour son mot, mais ce ne sera pas l'histoire qu'on enseignera à Bruxelles, Washington, Paris ou aux Nations Unies, mais celle qu'on enseignera dans les pays affranchis du colonialisme et de ses fantoches. L'Afrique écrira sa propre histoire et elle sera au nord et au sud du Sahara une histoire de gloire et de dignité. Ne me pleure pas, ma compagne. Moi je sais que mon pays, qui souffre tant, saura défendre son indépendance et sa liberté. Vive le Congo ! Vive l'Afrique ! C'est le 1er décembre que les militaires de Port-Francqui vinrent arrêter Lumumba à Bulonga-Mweka et menaçèrent de tuer le prisonnier. Plusieurs éléments exigeaient qu'il soit expédié au Katanga, mais les ordres de Nendaka étaient formels, ils devaient le ramener à Léopoldville, où il arriva le 2 décembre à 17 heures dans un avion d'Air-Congo. La télévision et les reporters du cinéma ont filmé cette scène odieuse de leur arrivée à Ndjili où ils furent battus et humiliés, sous l'oeil des caméras, par des soldats déchaînés. Mais pendant ces minutes terribles la figure de Lumumba apparaît sereine et fière. Il tient la tête haute sous les coups et pose avec commisération ses regards sur les faces brutales des mutins excités. Le 3 décembre après-midi, une colonne militaire assure son transfert au camp Hardy à Thysville. M. Hammerskjöld intervient auprès de M. Kasa-vubu pour le respect de la légalité et le chef de l'Etat, le 7 décembre, répond que le déroulement du procès sera correct. |
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