vendredi 6 juillet 2012

La présence belge au cinquantenaire du Burundi a fait débat

(ARIB.INFO 06/07/2012)
Oui. C’est le 50e anniversaire d’un pays avec qui nous avons eu une histoire commune. La Belgique fait beaucoup d’efforts pour ce pays qui est, je crois, le quatrième bénéficiaire de l’aide bilatérale directe.

Que ce pays ne soit pas une démocratie parfaite, c’est évident, mais si l’on devait ne pas aller dans un pays africain qui n’est pas une démocratie parfaite, on n’irait nulle part ! Il y a bien pire que le Burundi, et d’abord son voisin le Rwanda, où il n’y a pas de délégation aux fêtes des 50 ans de l’indépendance, parce qu’on n’y est pas invité.

En allant au Burundi, ne cautionne-t-on pas le régime ?

Ce n’est pas en s’y rendant qu’on cautionne ce qui s’y passe. Ce n’est qu’en se parlant qu’on peut espérer qu’on va être écouté. J’imagine que M. Reynders ou M. Magnette vont tenir un langage qui sera ce qu’on appelle un dialogue critique mais constructif. Je crois d’ailleurs que c’est le dialogue qui se passe entre le Burundi et la Belgique. Surtout par la voix de notre ambassadeur, Je sais, parce que j’y vais souvent, que M. Jozef Smets engage un dialogue souvent assez difficile avec les autorités burundaises justement pour aider à ce que cela évolue dans le bon sens. Il a constamment engagé le pouvoir burundais dans le domaine des droits de la personne, de l’espace et du dialogue politiques. Et je pense que c’est ce qu’il faut faire. Malheureusement M. Smets va quitter le Burundi pour le Brésil.

Il ne faut pas oublier d’où vient le Burundi. Si c’est une démocratie moins que parfaite, et c’est un euphémisme, le pays a réussi quelque chose d’important, la gestion du contentieux ethnique, qui n’est plus le clivage le plus important du pays. Dans un pays qui a connu depuis 1965, et surtout depuis 1972, des violences interethniques, même si ce sont des violences manipulées, cet épisode-là de l’histoire semble être terminé. Aujourd’hui, les clivages y sont des clivages politiques. C’est très important.

La liberté de la presse reste fragile au Burundi. Un journaliste s’est fait condamner à perpétuité il y a une semaine. Didier Reynders en parlera-t-il ?

Reynders tiendra un discours que j’imagine diplomatique. Ce ne sera pas un discours à la De Gucht, Reynders a un style différent. Mais en privé, en l’absence du prince Philippe, avec le président Nkurunziza ou son ministre des Affaires étrangères, il va sans doute avoir des propos plus forts. Par ailleurs, pour la liberté de la presse, ça va d’un côté à l’autre. C’est vrai qu’un journaliste vient d’être condamné à la perpétuité mais d’autre part, je lis la presse burundaise, et elle est beaucoup plus libre que dans beaucoup d’autres pays d’Afrique.

Il ne faut dès lors pas avoir de vision manichéenne de ce pays.

Je ne suis pas le défenseur de ce régime, tant s’en faut. D’ailleurs je ne comprends pas la mentalité d’assiégé de ce gouvernement, alors qu’il bénéficie d’une très grande légitimité. Le président Nkurunziza possède une belle majorité. Il est sans doute détesté par les élites urbaines, en particulier à Bujumbura, mais il est fortement soutenu par les Burundais anonymes qui vivent leur vie misérable sur leur colline.

Propos recueillis par Jean-Claude VANTROYEN

Bob Kabamba : « Oui, mais les discours devront être fermes »

Comment se situe le Burundi, en termes de démocratie et de respect des droits de l’homme ?

Le régime du président Pierre Nkurunziza est presque une « monopartite ». Le CNDD (Conseil national pour la défense de la démocratie) occupe tous les rouages du pouvoir. On se retrouve un peu comme à l’époque de l’Uprona (Union pour le progrès national, qui fut un acteur majeur de l’indépendance du pays), où on avait un parti unique… Ici, le CNDD contrôle le parlement, tout l’appareil de sécurité, les collectivités. En fait, lors des dernières élections, les autres partis s’étaient désistés, sauf l’Uprona et le Frodebu (proche du parti présidentiel).

La Constitution burundaise est particulière, en ce sens que lorsque l’on obtient un certain pourcentage d’élus, on fait obligatoirement partie du gouvernement. Mais comme le gouvernement est déjà largement dominé par le parti du président, le gouvernement devient une sorte d’appendice au pouvoir présidentiel. Lorsque le pouvoir est entre les mains d’un seul parti, cela réduit sensiblement les espaces de liberté pour les autres formations. La conséquence de ceci est qu’un autre mode d’expression tend alors à émerger : c’est une nouvelle rébellion, qui est en train de naître à nouveau au Burundi… S’ajoute à cela que le président Nkurunziza n’est pas quelqu’un qui accepte facilement la critique… La liberté d’expression au Burundi est donc en train de se réduire.

Dans ces conditions, la Belgique devait-elle envoyer une délégation de haut niveau à Bujumbura pour les festivités des cinquante ans d’indépendance ?

Il faut remettre les choses dans leur contexte et revenir deux ans en arrière, c’est-à-dire au cinquantenaire de l’indépendance du Congo, où on a eu le même débat : le Roi devait-il se rendre à Kinshasa ? (le 30 juin 2010, après moult débats, le roi Albert II, la reine Paola, accompagnés par le Premier ministre démissionnaire Yves Leterme, avaient assisté aux festivités à Kinshasa.) J’ai l’impression qu’ici, la volonté de la diplomatie belge a été de ne pas faire de différence entre les anciennes colonies.

Et sur le fond ?

Sur le fond, je ne pense pas que la présence du prince Philippe soit un scandale dès l’instant où le message qui sera délivré là-bas sera clair et dénoncera un certain nombre de choses, comme cela a été fait par rapport à la RDC. Notamment la question des droits de l’homme et de la liberté d’expression – on a condamné un journaliste à perpétuité (Hassan Ruvakuki, correspondant de RFI en swahili) uniquement pour avoir couvert la création d’un mouvement rebelle. En revanche, si rien n’est fait par rapport au Burundi, ce silence apparaîtra comme un soutien au régime de Nkurunziza.

La délégation belge est arrivée dimanche à Bujumbura ; êtes-vous rassuré par la tournure des choses ?

Jusqu’ici, le discours n’est pas assez ferme de mon point de vue.

Propos recueillis par William BOURTON


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