mercredi 14 novembre 2012

Masisi : l’Assemblée Nationale piégée !

 (La Prospérité 14/11/2012)

Il aura ainsi réussi à entrainer la chambre basse sur une piste glissante. José Makila Sumanda, Président National de l’ATD, est l’auteur d’une motion incidentielle qui, après son adoption, met dos à dos l’Assemblée Nationale et la Cour Suprême de Justice. L’affaire de ces sept Députés de Masisi non validés à l’Assemblée Nationale, fait tellement grand bruit dans la ville haute qu’elle suscite des inquiétudes dans tous les sens. Les uns, tirant la couverture de leur côté, estiment que Makila avait raison. Alors que les autres, par contre, considèrent que Makila a là, fait tomber l’Assemblée Nationale dans un piège. D’où, la tempête aux allures de ‘’Sandy’’ aux USA, risque-t-elle d’emporter les bases, pourtant constitutionnellement cimentées, de la collaboration entre les deux pouvoirs, à savoir, le législatif et le judicaire. Dans cette édition, Belhar Mbuyi, dans une correspondance particulière, scrute cette affaire, dans ses moindres détails. En tant que journaliste indépendant et spécialiste des questions de l’Est, il tranche, en affirmant que sur ce dossier de Masisi, Makila a simplement induit l’Assemblée Nationale en erreur. Ci-après, l’intégralité de cette analyse aux accents riches en enseignements. Lisez-la, pour en savoir un peu plus sur la suite de ce feuilleton qui, au demeurant, attise davantage du feu, à Masisi. Rendez-vous est donc pris, pour ce vendredi 16 novembre, jour où la Commission ad hoc présentera son rapport, avant que la plénière puisse, enfin, valider ou invalider ces sept élus de Masisi. Masisi : comment Makila a induit l’Assemblée en erreur ! La plénière du vendredi a été de tous les dangers. Et pour cause : les Députés devaient valider le mandat de leurs futurs collègues récemment proclamés par la Cour Suprême de Justice (CSJ), après que la CENI se soit déclarée dans l’incapacité d’organiser des nouveaux scrutins, et après l’épuisement du délai fixé par la Haute cour quant à ce. Pour l’élu de Lomela, au Kasaï oriental, pas de problème : le Suppléant de Moïse Ekanga (PPRD), économiste-mathématicien et ancien proche de Feu Katumba Mwanke, est promptement validé. Quand survient le tour de Masisi, c’est le Congo qui s’embourbe dans le sol volcanique des collines escarpées du plus beau – mais aussi le plus sulfureux – territoire du pays. Suite à une motion incidentielle du député José Makila Sumanda (ATD, opposition), la Chambre basse décide de surseoir la validation de ces 7 élus du Nord-Kivu, avant de confier le dossier à une commission ad hoc qui rendra ses conclusions endéans 7 jours. Cette décision, pour le moins singulière, est, politiquement, lourde de conséquence. En tout état de cause, il restera à dire comment l’Assemblée nationale peut-elle s’arroger le droit de contester la décision de la CSJ, légalement reconnue (article 72 de la Loi électorale et 161 et 168 de la Constitution) comme l’ultime autorité en matière de proclamation des résultats électoraux, sans courir le risque d’une violation de la Constitution par ceux qui sont censés être les premiers à respecter la Loi. Pour rappel, la situation a été clairement présentée par la commission Politique, administrative qui avait, dans un rapport, déclaré conformes les dossiers des élus de Masisi. Mais, la motion Makila est arrivée. L’élu de Gemena a évoqué «les tricheries et irrégularités» qui auraient entaché les élections législatives dans cette circonscription. Mais, le Président de l’ATD est allé très loin : il a dénoncé ce qu’il qualifie de «corruption versée aux membres de la CENI/Goma pour avaliser cette supercherie montée par des personnalités très bien connues, animatrices des réseaux proches du RCD, CNDP, M23/ARC, responsables de l’imposition de cette liste». Il a ajouté : «si notre Assemblée (…) se trouvait contrainte de valider les mandats de ces élus de Masisi alignés par la CSJ, elle aura mis notre peuple face à une évidence que l’on s’efforce de taire et de nier : l’existence des accords secrets pour la balkanisation de la R.D.Congo. Et nous prendrons le peuple à témoin». Un tel argumentaire, recelant une forte charge émotive en ces temps de guerre d’agression, a porté : même les Députés de la majorité ont chaudement applaudi le représentant de l’opposition, au point de voter la surséance de la validation des Députés de Masisi. Nul ne s’est posé la question de savoir comment le M23 peut-il favoriser l’élection de ceux qu’il considère comme ses ennemis mortels tels que le PARECO (groupe créé pour combattre le CNDP d’alors), l’UCP (issu d’une dissidence du RCD), ou le PANADI (parti accusé alors par le CNDP de professer un discours notoirement anti-Tutsi)? Ignorance des réalités Passée l’émotion, il reste les faits. Et la raison: celle-ci implique de bien analyser en profondeur la motion Makila. Et l’on se rendrait vite à l’évidence qu’elle est mue, d’abord, par la méconnaissance de son auteur, originaire de l’Ouest, des réalités de l’Est. En effet, M. Makila déclare – textuel ! : «En clair, qui dit Masisi pense d’abord à la communauté la plus importante du territoire : les Bahunde. A la grande surprise générale, ils sont superbement ignorés, exclus par la nouvelle mouture parlementaire CSJ». Question : en quoi les Bahunde sont-ils la communauté la plus importante de Masisi? En effet, la première communauté, numériquement parlant, de Masisi est, et de très loin, celle des Hutu (plus de 80%). Les Bahunde constituent l’une des minorités du territoire, aux côtés d’autres telles que les Tembo et les Tutsi. Aux élections législatives de 2006, les Tembo, pourtant autochtones eux aussi, n’avaient engrangé aucun élu, et le problème ne s’était jamais posé. Bien plus, les Bahunde ont aligné, à eux seuls et bien qu’étant déjà minoritaires, plus de la moitié des candidats, soit exactement 118 sur 200. N’ont-ils pas, ainsi, réduit drastiquement leurs chances? Parfois, des membres d’une même famille se sont lancés dans la campagne et ont éparpillé leurs voix. L’exemple en est donné par le cas de la famille Kalinda, celle d’un des chefs les plus prestigieux des Bahunde: Mme Odia Kalinda (du parti CPR) a recueilli 9 000 voix, et n’a pas été élu, étant donné que ses colistiers ont réalisé des scores très faibles. Pendant ce temps, son propre frère, Kalinda Ndandu (MSR) totalisait 5 000 voix. A eux deux, ils totalisent 14 000 voix, soit plus que la COFEDEC qui n’a recueilli que 11 800 voix et fait sortir un député qui, à titre individuelle, avait moins de voix que Mme Odia Kalinda. Et si les deux frère et sœur s’étaient entendus pour une candidature unique (ou commune, c’est selon), cela aurait sans doute permis l’élection d’un Hunde. Deuxième chose, pourquoi fait-on une fixation seulement sur Masisi à propos de la situation des Bahunde, feignant d’oublier ce qui s’est passé à Goma? En effet, en 2006, les Bahunde avaient été la première communauté la mieux représentée de la capitale du Nord-Kivu, avec 2 élus sur les 4 de la circonscription (soit 50%): Bakungu Mithondeke et Kasole, tous PPRD. Les deux autres élus étant Elvis Mutiri (Hutu, MLC), et Kalimumbalo (Nande, RCD/K-ML). Pourtant, en 2011, alors que le nombre de sièges à pourvoir est passé à 6, les Hunde n’ont obtenu aucun élu à Goma ! Leurs enfants ont préféré porter leur dévolu sur cet originaire du lointain Bas-Congo, Konde Vila-ki-Kanda, alors même que le Hunde le mieux placé dans les institutions provinciales, le vice-Gouverneur Feller Lutaïchirwa, concourait à Goma même. Pourquoi cela ne pose-t-il pas problème? Sanctions disciplinaires Ensuite, M. Makila affirme craindre les infiltrations de la chambre basse : «alors que l’on décrie les infiltrations, le Parlement, par le biais de sa chambre basse, s’infiltre volontiers. Le cas M. Mwangachuchu – pour ne parler que de lui – notoirement connu comme président du CNDP de qui provient le M23/ARC et sa suite». Des accusations d’une telle gravité sont proférées avec autant de légèreté, sans le moindre début de preuve. Ici, il s’agit d’un amalgame volontairement orienté afin de manipuler aussi bien les parlementaires que l’opinion. En effet, depuis la signature des accords du 23 mars 2009, tous les groupes armés se sont mués en partis politiques légalement reconnus. C’est le cas du CNDP certes, mais aussi de son ex-ennemi mortel le PARECO, qui totalise aujourd’hui 2 Députés nationaux. Si certains anciens responsables militaires de ces groupes s’évertuent à reprendre la lutte armée, il s’agit bien des rébellions qui doivent être réprimées en tant que telles. Bien plus, à propos de M. Edouard Mwangachucu, il est à ce jour sénateur membre de la MP. A ce titre, il siège régulièrement à la chambre haute du Parlement et nul, ni José Makila, ni personne d’autre, n’y a jamais rien trouvé à redire! S’agit-il d’infiltration seulement lorsqu’il est question de l’Assemblée nationale? Enfin, le Député de Gemena menace (par une incompréhensible mécanique binaire, il a gommé l’élu Mutembo, M. Shomwa Mongera Tanganyika) : «Masisi risque de brûler encore car représenté par les seuls Rwandophones», avant de préciser sa pensée : «en remettant le territoire de Masisi aux seuls Tutsi et Hutu, la CSJ consacre la balkanisation du pays tant dénoncée». La seule compréhension possible de cette prose voudrait donc que les 5 élus Hutu et 1 Tutsi ne sont pas congolais, mais Rwandais, sous-entendus décidés de démembrer le Masisi au profit de ce qui serait, selon Makila, leur pays d’origine. Dans le meilleur des mondes, le Président du Bureau lui aurait arraché la parole pour atteinte aux valeurs fondatrices de la nation congolaise, et l’aurait même soumis à des sanctions disciplinaires. Et revoici la RDC replongée dans son sempiternel péché mignon : peut-on être Hutu et Tutsi et congolais en même temps? La question date des années 1981. Depuis longtemps, elle a fait couler beaucoup de larmes et de sang. Mais, c’est le débat que relance, malencontreusement, José Makila. Lui-même d’ethnie Ngbaka, la même que l’ancien président centrafricain Ange-Félix Patassé et l’ex-président du Sénat du Congo-Brazzaville Noumazalayi. Pourquoi nul ne lui pose, à lui, cette question, bien que certains membres de son ethnie aient endeuillé le pays avec la «rébellion des Enyele», et pourquoi lui doit se croire permis de douter de la loyauté, voire de la nationalité des autres? Si le Tutsi posait problème à ce point, José Makila ignore-t-il que le seul Tutsi élu député national en 2006 (Dunia Bakarani), l’était également à Masisi, qu’il était le neveu du même Edouard Mwangachuchu, et qu’il appartenait au même parti que lui Makila à l’époque, c’est-à-dire, le MLC? Pourquoi cela n’avait pas posé problème? Ce vendredi, l’Assemblée nationale sera placée devant ses responsabilités. Devant la ville et le monde, elle devra soit respecter les prescrits de la Constitution (article 168 : Les arrêts de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours et sont immédiatement exécutoires. Ils sont obligatoires et s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles, civiles et militaires ainsi qu’aux particuliers) et valider les élus de Masisi, soit elle avalise le discours de José Makila, et elle donne du grain à moudre à ceux qui, du M23 au Rwanda, crient à la persécution des communautés rwandophones de la RDC, pour tenter de justifier l’actuelle agression. BELHAR MBUYI (Correspondance particulière)

La Pros.


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