(Le Monde
20/11/2012)
Si cela se confirme, c'est le tournant de la bataille de
Goma : les rebelles congolais auraient pris l'aéroport de Goma mardi en fin de
matinée, et il y a des raisons de redouter que ce soir le début de la fin. Déjà,
certaines sources disent que certains de leurs hommes approcheraient du
centre-ville. L'aéroport, cela va de soi, est l'un des points de résistance
clefs de l'armée congolaise (FARDC) face à l'offensive rebelle du M23. la Garde
républicaine, une unité délite, en assurait jusqu'ici la défense, appuyée par
les soldats de l'ONU (Monusco), dont l'équipement, à l'échelle des conflits de
la région, est loin d'être négligeable. De plus, la Monusco n'a pas vocation
(car son mandat, et ses capacités, ne le permettent pas) à faire la guerre
maison par maison dans Goma, mais appuie seulement l'armée congolaise. Si
l'armée congolaise s'effondre, c'en est fini de l'action des casques bleus.
Or, la rébellion du M23 a de toute évidence longuement et soigneusement
préparé cette offensive et opère sans précipitation. Au passage, les forces
armées rebelles se font désormais appeler Armée révolutionnaire congolaise
(ARC), un nom qui permet de prendre de la distance avec la dernière appellation
en cours, souvent mentionnée dans des rapports des Nations unies, et qui a déjà
entraîné des sanctions contre son chef militaire, Sultani Makenga, mais dévoile
aussi de nouvelles ambitions.
Le M23 a été créée sur la bases de
revendications de militaires face à un accord de paix précédent mal appliqué.
Désormais, les rebelles montrent qu'ils voient plus loin. Ce qui se joue aux
portes de Goma n'est pas un épisode obscur d'un conflit entre soldats
d'infortune, mais le retour en force d'une rébellion en bonne et due forme, même
si ses effectifs sont encore limités (peut-être 2000 hommes ?). Va-t-on voir
dans les jours à venir d'autres mouvements alliés du M23 passer aux actes dans
le "Grand Nord" (la partie la plus septentrionale du Nord-Kivu), dans le Sud
Kivu ou dans la province orientale ? C'est envisageable. Certains s'y préparent.
Nous y reviendrons.
Elles semblent déjà bien loin, les tentatives de
négociations entamées dimanche pour empêcher l'assaut de Goma. Depuis, les
forces du M23 ont tiré depuis les hauteurs qui dominent l'aéroport (lequel se
trouve à la sortie nord), en s'appliquant à ne pas tuer de casques bleus, ce qui
aurait pour conséquence d'attirer une attention internationale jusqu'ici très,
très relâchée.
Des sources mentionnent des percées rebelles sur d'autres
axes. Il va falloir vérifier ces informations avec soin. Hier, des poches
d'infiltrations de rebelles avaient été créées. Cela n'a pas eu pour conséquence
d'entraîner un mouvement de panique escompté au sein des FARDC, qui aurait pu
précipiter la chute de la ville. En clair les FARDC ont tenu jusqu'ici. Dans la
nuit, les habitants de Goma terrés chez eux pouvaient entendre des tirs venant
de plusieurs quartiers, mais cela ne signifiait pas que des combats y avaient
lieu. Il y a toujours des soldats qui se persuadent que tirer en l'air, la nuit,
peut les protéger.... Compte tenu du faible niveau des troupes dans ce conflit,
l'obscurité est plutôt mise à profit pour se déplacer que pour monter des
opérations militaires compliquées.
A présent, l'aéroport pris, et avec
une tentative de rentrer depuis l'extérieur de la ville, tout peut basculer.
Mais le M2" ne se précipite pas. Au terme de conversations avec plusieurs types
de sources, il apparaît que la rébellion est en train de livrer une bataille en
mode retenu. D'abord, il s'agit de jouer sur le temps et sur la capacité des
forces loyalistes à maintenir leur niveau (actuel) d'engagement militaire. Les
chars FARDC sont utilisés pour tirer contre les positions M23 (à distance, par
définition), mais combien de temps y aura-t-il des munitions pour les alimenter
? On a vu dans les précédentes séquences de combat (de mai à juillet) que la
logistique était toujours l'un des points faibles de cette armée, notamment en
raison des détournements, même si des unités de soldats entraînées récemment
font preuve d'une plus grande discipline et d'une plus grande ardeur au combat
que dans le passé.
Le passé, c'est la rébellion précédente, celle que
menait Laurent Nkunda en 2008 aux portes de Goma. A l'époque, le CNDP (tel était
le nom de la formation rebelle, qui forme le berceau du mouvement qui attaque
Goma actuellement) avait été bloqué dans son avancée par l'ONU, et avait parié
sur l'effet psychologique de sa présence tout prés de la ville, le tout émaillé
de quelques combats de peur d'ampleur et de massacres nettement plus
graves.
Résultat : après quelques mois de ce régime, un accord de paix
avait été conclu directement (et secrètement) entre Kigali, la capitale
rwandaise, et Kinshasa, celle du Congo. Les Nations unies avaient pourtant créé
un mécanisme de discussion, nommé un envoyé spécial, et des pourparlers avaient
lieu à Nairobi quand soudain, en janvier, la nouvelle de l'accord avait été
rendue publique, court-circuitant le processus "officiel". le chef de la
rébellion, Laurent Nkunda, avait alors fait les frais de l'arrangement. Il avait
été mis aux arrêts à Kigali, et un nouveau chef nommé à sa place, Bosco
Ntaganda.
L'accord mettait fin alors au siège sans espoir de Goma, et
intégrait les ex-rebelles dans l'armée. Sans régler aucun des problèmes de la
région, sans même répondre tout à fait aux espoirs du CNDP, notamment ceux de la
direction politique du mouvement. Laurent Nkunda était bien un chef de guerre,
mais aussi un homme politique de premier ordre, qui commençait à exercer une
influence importante auprès de le jeunesse de l'est du Congo, en raison de ses
talents d'orateur, joints à des propos très clair sur l'état de déliquescence de
l'état.
Car au milieu de cette poussée de violence, il ne faut pas perdre
de vue que la République démocratique du Congo est un pays malade. Du reste,
alors que l'offensive a début jeudi, que Goma menace d'être prise, le silence du
pouvoir, à Kinshasa, est profond comme une tombe. Seule le porte-parole du
gouvernement et ministre de la communication, Lambert Mende, se fait entendre,
mais le reste du pouvoir, à commencer par son chef, le président Joseph Kabila,
reste muré dans le silence.
Et à bonne distance, Laurent Nkunda,
réhabilité discrètement, aide son mouvement recomposé à avancer sur la route de
Goma, avant de poursuivre, peut-être, vers d'autres destinations congolaises.
Cette séquence d'événements n'en est qu'à son début.
Si Goma devait
tomber, il faut imagine que la rue, à Kinshasa, ainsi que bon nombre de
responsables politiques encore frustrés après les élections désastreuses de
l'année dernière, feraient entendre leur voix, et cela peut inclure l'usage de
la violence. Lorsque, en 2004, un groupe rebelle similaire (l'un des chefs en
était.... Laurent Nkunda) avait pris la ville de Bukavu, des émeutes avaient
éclaté dans la capitale congolaise et visaient essentiellement l'ONU, accusée
d'inaction face aux rebelles. C'étaient pourtant des hélicoptères onusiens
(sud-africains) qui avaient chassé les rebelles à coups de roquette et ramené un
semblant d'ordre, ouvrant la voie à un accord bancal qui avait gelé le conflit
pendant moins de deux ans, avant que la rébellion ne reprenne de plus
belle.
L'attaque de Goma s'inscrit dans cette continuité-là et c'est la
raison laquelle cet épisode est important, même s'il est encore difficile à
cerner. Pour l'instant, le reste de la planète semble ne pas prendre la mesure
de l'importance de la bataille en cours à Goma. Cette "ignorance" ne surprendra
pas les Congolais, qui ont souvent l'impression d'être les victimes d'un
déclassement perpétuel dans l'ordre des priorités mondiales. Mais l'Est du Congo
risque de se rappeler, très vite, au souvenir d'une planète
paresseuse.
http://afrique.blog.lemonde.fr/2012/11/19/premiers-tirs-dans-goma-la-bataille-de-la-ville-a-t-elle-commence/
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