Pendant des années, Paul Kagame a agi, souvent en toute impunité, avec le
soutien —et avec les milliards— de l'Occident. Cet appui semble prendre fin.
Paul Kagame lors d'une conférence à Kigali, août 2012 © REUTERS/Stringer
.
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Mise à jour du 31 octobre: L'opposante rwandaise Victoire Ingabire a été
condamnée le 30 octobre à Kigali à huit ans de prison ferme pour "conspiration
contre les autorités par le terrorisme et la guerre" et négation du génocide de
1994, un verdict dont son avocat a déjà annoncé qu'elle allait faire
appel.
Mme Ingabire, 44 ans, "est condamnée à huit ans de prison pour tous les
crimes dont elle a été déclarée coupable", a déclaré la juge Alice Rulisa, en
donnant lecture de la longue décision de la Cour.
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Voilà plusieurs années que des accusations crédibles de répression et de
crimes de guerre pèsent sur le Rwanda, que ce soit à l'intérieur ou en dehors de ses
frontières.
Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et nombre de gouvernements occidentaux
ferment systématiquement les yeux sur cette situation.
Ils couvrent ce pays d'Afrique centrale de diverses formes d'aide au
développement, applaudissent les réformes «exemplaires» mises en œuvre après le
conflit, et ils le défendent vigoureusement lorsqu'il est critiqué.
Parmi les accusations formulées contre le Rwanda, on peut
notamment citer le meurtre de dizaines de milliers de personnes en République démocratique du Congo (RDC), le
soutien de violentes révoltes dans ce même pays et le contrôle illégal du très
lucratif commerce des minerais du Congo; le régime serait par ailleurs
autoritaire, et réprimerait sévèrement ses opposants politiques, les
journalistes et les citoyens.
Cette situation a toutefois évolué cet été 2012, au lendemain de la
publication d’un rapport rédigé par un groupe d’experts des Nations unies —rapport qui accuse le Rwanda de soutenir un
groupe de rebelles congolais.
L'heure des comptes est arrivée
Un grand nombre de pays donateurs ont —fait incroyable, étant donné la
gravité des accusations qu'ils ont jusqu'à présent écartées— soudain décidé de
demander des comptes au président rwandais, Paul Kagame.
La porte-parole du département d’Etat américain, Victoria Nuland, a déclaré:
«Le Rwanda soutient le groupe rebelle appelé M23, ce qui nous préoccupe profondément.»
Plusieurs pays sont même allés jusqu’à suspendre leur aide au Rwanda, qui
—jusqu’à récemment— était l’un des pays les plus choyés par les acteurs
internationaux du développement.
Ces acteurs sont particulièrement actifs au Rwanda: ce pays de 10 millions
d’habitants reçoit plus d’un milliard de dollars par an au titre de
l'aide au développement.
Pour beaucoup, le Rwanda incarne l’espoir d’une Afrique enfin tirée de la
pauvreté. Selon les chiffres gouvernementaux, le pays aurait enregistré un taux de croissance annuel dde 8,2% sur les cinq
dernières années, et ce malgré la crise économique mondiale.
Le pouvoir prétend avoir tiré un million de personnes de la misère sur la
même période. La Banque mondiale applaudit ouvertement les progrès réalisés par
le Rwanda dans le domaine du développement.
Kagame —et les gouvernements occidentaux— présentent ce pays comme un
exemple de redressement spectaculaire (après le terrible génocide de 1994);
comme une preuve éclatante des bienfaits de l'aide étrangère, qui, lorsqu'elle
est bien administrée, peut aider les pays pauvres à prendre une longueur
d'avance.
L'aide occidentale représente environ la moitié du budget rwandais; aussi
Kagame a-t-il désormais plus d'une raison de s'inquiéter.
Son gouvernement a écarté cette série d'accusations accablantes sans se
départir de sa stratégie habituelle: tout nier en bloc, et prétendre que les
preuves ont été inventées de toutes pièces.
Kagame veut passer pour un incompris
Le Rwanda se défend souvent en prétendant que le crime dont il est accusé
serait contraire à ses intérêts —il affirme par exemple que le fait de mener une
guerre frontalière mettrait à mal son développement et sa croissance économique.
Mais la vieille rhétorique semble désormais avoir fait long feu. Si par le
passé les donateurs occidentaux étaient tout à fait disposés à lui accorder le
bénéfice du doute, ses plus fidèles alliés ne semblent aujourd'hui plus croire à
ses démentis répétés.
Kagame s'est emporté à la fin du mois de juillet, attribuant le gel de
l'aide américaine à l'ignorance des Etats-Unis et accusant la communauté
internationale —qui fut naguère son indéfectible alliée— de «tout déformer» et
de refuser de l'écouter.
Le gouvernement américain, qui demeure le plus fidèle et le plus important
soutien financier du Rwanda, a opéré son étonnante volte-face le 22 juillet, en
annonçant qu'il suspendait son aide militaire au Rwanda.
Le montant en question est minuscule (200.000 dollars seulement), et cette
suspension ne s'étendra sans doute pas à l'ensemble du soutien militaire des
Etats-Unis (qui forment le fils de Kagame à l'Académie militaire de West Point).
Les analystes notent toutefois que cette décision est hautement
symbolique.
L'ambassadeur américain chargé du dossier des crimes de guerre, Stephen
Rapp, a ensuite lancé un avertissement stupéfiant, relayé par le quotidien
britannique The Guardian, daté du 25 juillet.
Selon lui, Kagame pourrait être reconnu coupable de crimes de guerre pour
«s'être rendu complice» de crimes contre l'humanité dans un pays voisin.
Le gouvernement néerlandais a emboîté le pas des Etats-Unis en suspendant
son aide au Rwanda. La Grande-Bretagne (qui est l'un des premiers donateurs et
des plus fidèles alliés du Rwanda, et qui avait facilité son adhésion au
Commonwealth) a fait de même.
L'Allemagne a elle aussi interrompu le versement de son aide; le ministre
du Développement, Dirk Niebel, a déclaré que la «suspension de l'aide est un
signal des plus clairs à destination du gouvernement rwandais».
La Banque
africaine de développement a elle-même été forcée de suspendre le versement
de l'aide par les membres scandinaves de son Conseil d'administration et par
l'Inde.
Cet organisme demeure pourtant généralement apolitique; il est dirigé par
un Rwandais, Donald Kaberuka, qui est parfois pressenti pour prendre la suite de
Kagame (ce dernier est à la tête du pays depuis près de vingt ans, et dit
vouloir quitter le pouvoir en 2017).
Publié à la fin du mois de juin, le rapport du groupe d'experts de l'ONU (qui est à
l'origine de cette vague d'abandons) établit que le Rwanda a violé un embargo
sur les armes imposé par les Nations Unies en fournissant des soldats et des
armements au groupe rebelle congolais M23.
Cet embargo date de 2003. Il a été conçu pour
contribuer au rétablissement de la paix dans une région pour le moins instable;
une région que la communauté internationale tente de sécuriser depuis plusieurs
années.
La plus importante force de maintien de la paix de l'ONU y a été déployée à
cet effet (pour un coût annuel de 1,5 milliard de dollars).
Le rapport avance plusieurs éléments crédibles, qui tendent à prouver que
plusieurs hauts responsables du gouvernement rwandais —qui appartiennent au
premier cercle de Kagame— soutiennent les rebelles.
Effets pervers de la rébellion en RDC
Le M23 est composé de soldats ayant déserté les rangs de l'armée congolaise dans le courant de l'année —et
le groupe tente visiblement de prendre possession d'une partie de l'est du
Congo.
Ces combattants sont pour la plupart issus de l'ethnie tutsi,
traditionnellement marginalisée en RDC —mais le groupe compte aussi de puissants
hommes politiques et de riches hommes d'affaires liés au Rwanda, qui soutiennent
la rébellion.
Kagame est lui aussi tutsi, tout comme la majorité de l'élite de son
gouvernement. La rébellion a été à l'origine de profonds bouleversements dans la
région: elle a provoqué l'exode de plus de 260.000 Congolais ces quatre derniers
mois, capturant des territoires et repoussant les soldats du gouvernement de la
RDC (soutenus par les forces des Nations unies).
Le rapport de l'ONU semble indiquer que le Rwanda ne s'est pas contenté de
faire échouer les tentatives de la communauté internationale pour rétablir la
paix au Congo: selon ses auteurs, il aide directement les rebelles à prendre le
contrôle d'une partie du territoire de son voisin.
Ces accusations sont graves. Mais il faut savoir que l'on a reproché bien
pire à Kagame par le passé. Et que les pays donateurs s'étaient jusqu'ici
toujours empressés de fermer les yeux sur ces transgressions.
Ils n'avaient jamais —à quelques exceptions près— suspendu leur aide, ou
même critiqué le gouvernement du dirigeant rwandais.
Lorsque le Rwanda a envahi le Congo en 1996 et en 1998, il a déposé Mobutu Sese Seko, dictateur de longue date de la
RDC, et l'a remplacé par un nouveau dirigeant, Laurent-Désiré Kabila.
Les forces de Kagame ont alors été accusées d'avoir massacré des dizaines
—voire des centaines— de milliers de personnes, y compris des femmes et des
enfants désarmés qui vivaient dans des camps de réfugiés.
Les deux invasions ont laissé nombre de charniers dans leur sillage à travers
le Congo. Le gouvernement rwandais a déclaré qu'il ne faisait que pourchasser
les responsables du génocide de 1994, qui avait fait 800.000 victimes.
Mais un rapport de l'ONU publié en 2010 a analysé dans le détail l'origine
de ces violences (le Rwanda n'était pas le seul pays impliqué), et s'est
interrogé sur l'ampleur des massacres: les forces de Kagame avaient-elles,
elles-mêmes, commis un génocide? Deux rapports de l'ONU avaient déjà évoqué
cette hypothèse.
Depuis ces invasions, le Rwanda pille chaque année au Congo des dizaines de
millions de dollars —selon les estimations les plus prudentes— dans les mines
d'or, d'étain et de coltan du pays, qui sont particulièrement lucratives.
Le Rwanda a toujours nié ces accusations, et il n'existe aucune trace des
richesses ainsi pillées dans le budget national. Mais selon des diplomates, les
profits ainsi réalisés servent à financer l'imposante armée du pays.
L'épine de la corruption
Voilà bien longtemps que le gouvernement de Kagame soutient des armées
parallèles sur le territoire congolais, et son premier cercle s'est immensément
enrichi grâce à ces conflits —et à la corruption.
Dans la capitale rwandaise, cette richesse saute aux yeux. A Kigali, un
nouveau boulevard abrite un grand nombre de hauts responsables gouvernementaux
et d'expatriés fortunés.
Les résidents le surnomment «Congo Street»; ils savent parfaitement que sa
construction a été financée par ces fonds illicites.
Il y a six ans, le Rwanda a soutenu une rébellion proche de celle du M23.
Les rebelles ont alors été accusés de multiples crimes de guerre (y compris
d'une série de viols de masse), et le Congo a émis un mandat d'arrêt
international à l'encontre de leur chef, Laurent Nkunda.
La rébellion soutenue par le Rwanda agissait en toute impunité, assaillant
et capturant des villes sans rencontrer de véritable résistance, capturant de
larges pans de territoire congolais et provoquant le déplacement de plusieurs
centaines de milliers de personnes.
Lorsque Laurent Nkunda a commencé à échapper au contrôle
de Kagame, celui-ci l'a fait arrêter par les forces rwandaises. Il est détenu
dans un lieu tenu secret depuis 2009.
Kagame a également été accusé pour des actes commis au Rwanda (répression
impitoyable, violations des droits de l'homme), qu'il a nié.
Dans la période qui a précédé l'élection présidentielle de 2010 (élection
financée par des donateurs occidentaux), son gouvernement a emprisonné plusieurs
opposants politiques. Certains d'entre eux auraient été torturés; l'un d'eux à
été retrouvé décapité.
A Johannesburg, on a ouvert le feu sur un ancien membre du gouvernement de
Kagame, qui avait fait défection; il fut grièvement blessé.
Un journaliste a écrit que les hommes de Kagame étaient derrière l'attaque
de Johannesburg; il a été tué à Kigali, peu après avoir publié l'information
sur le site de son journal.
D'autres journalistes ont été arrêtés pour avoir «menacé la sécurité de
l'Etat» et pour avoir insulté Kagame. Plusieurs journalistes et opposants
politiques ont fuit le pays. Mais l'exil n'est pas synonyme de sécurité:
plusieurs membres de la presse ont été tués à l'étranger.
Kagame est sorti vainqueur des élections, avec 93% des suffrages. Selon
l'organisation Freedom House, à la fin de la course à la présidentielle, «le
gouvernement avait étouffé l'ensemble des médias indépendants rwandais
susceptibles de le critiquer».
Le pouvoir a nié avoir envoyé des assassins contre ses opposants à
l'étranger; Scotland Yard a toutefois adressé des courriers de mise en garde aux détracteurs de
Kagame résidant en Grande-Bretagne, expliquant que le gouvernement rwandais
pouvait attenter à leur vie à tout moment.
Fait incroyable, aucune de ces transgressions n'a été sérieusement
pénalisée par la communauté internationale.
En dépit de la gravité des accusations et du nombre d'éléments de preuves,
les pays occidentaux n'ont pas critiqué Kagame, bien au contraire: la majorité
d'entre eux l'ont applaudi, saluant l'avènement d'un nouveau type de leader
africain.
Quand Bill Clinton complimentait Kagame
L'ex-président américain Bill Clinton a affirmé qu'il s'agissait de l'un «des plus
grands dirigeants de notre temps»; l'ancien Premier ministre britannique
Tony Blair a parlé d'un «visionnaire».
Clinton se trouvait d'ailleurs au Rwanda avec sa fille, le 19 juillet, pour
inaugurer un nouveau centre d'oncologie; il en a profité pour applaudir de
nouveau «la solidité du leadership national (…) de son Excellence le
président Kagame».
(On ignore si l'ancien président a discuté du M23 avec Kagame). Lorsque les
pontes de l'ONU passent par le Rwanda, on les entend souvent dire que le reste
du monde devrait s'inspirer de la bonne gouvernance de Kigali.
Le 23 juin 2010, soit la veille de la mort du journaliste assassiné au cœur
de la capitale, le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-Moon, a nommé
Kagame co-président d'une réunion de l'ONU réunissant de prestigieux experts,
surnommés les «super-héros» des objectifs du millénaire pour le
développement.
A cette époque, l'aide apportée au Rwanda ne cessait d'augmenter, et une
fraction de plus en plus importante de cette somme était directement versée au
gouvernement de Kagame.
L'adulation et la richesse conféraient alors une aura d'invincibilité au
dirigeant rwandais. Ce dernier était considéré comme infaillible, et pouvait
donc agir en toute impunité, que ce soit pour orchestrer la répression dans son
propre pays ou pour poursuivre ses ennemis et protéger ses intérêts au Congo
comme dans le reste du monde.
Le soutien apporté au Rwanda était si important que les Etats-Unis auraient
œuvré pour bloquer une enquête de l'ONU portant sur les crimes commis au Congo.
Le rapport détaillé de l'ONU (2010) a été publié plus d'une décennie après
les massacres; dans un entretien privé, les enquêteurs ont dit avoir été obligés
de procéder avec une discrétion inhabituelle —afin d'éviter que le Rwanda
n'alerte ses alliés pour mettre un nouveau coup d'arrêt aux
investigations.
Voilà bien longtemps que les universitaires, les diplomates et les
journalistes qui observent la région s'étonnent de voir l'Occident soutenir
Kagame de façon aussi inconditionnelle.
Adam Hochschild, auteur d'un ouvrage consacré au Congo, évoque Kagame en ces termes:
«Comment cet autocrate —fin connaisseur des médias— est-il parvenu à convaincre tant de diplomates, de leaders politiques et de journalistes américains qu'il était un grand homme d'Etat? Cette seule question mériterait qu'on lui consacre un ouvrage.»
Certains ont affirmé que l'Occident était motivé par la culpabilité de
n'être pas intervenu lors du génocide rwandais de 1994; l'administration Clinton
avait notamment refusé d'agir.
D'autres ont évoqué les soldats rwandais qui participent aux missions de
maintien de la paix à l'étranger - cet appui militaire permet à l'Occident de
faire l'économie d'éventuelles interventions armées.
On peut également citer l'efficacité de l'Etat autocratique, qui semblait
respecter les programmes d'aide extérieure dans leurs moindres détails.
D'éminents experts du développement, comme Jeffrey Sachs (Columbia
University) ont pris la défense des programmes rwandais.
Le Rwanda est ainsi devenu la figure emblématique d'un mouvement
international, pour lequel l'aide au développement est en mesure d'aider
l'Afrique à régler ses problèmes.
Kagame a fait usage de son influence avec habileté, pour renforcer le
pouvoir politique au sein de son pays —et pour faire du Rwanda la plus grande
force militaire de la région.
Voilà pourquoi la récente volte-face opérée par la communauté
internationale était si inattendue. Rares sont ceux qui s'attendaient à ce que
la chance de Kagame tourne si brusquement.
Vélléités autocratiques
Lors d'une conférence de presse organisée à Kigali, le président rwandais a
coupé la parole à une journaliste étrangère, lui ordonnant de ne pas prononcer
le nom de l'organisation Human Rights Watch (qui avait été parmi les premières à
accuser Kagame de s'être rendu complice de la rébellion congolaise).
Le président est coutumier de ce type de provocations —et de signes
d'irritation.
Le Rwanda pensait sans doute qu'il parviendrait à empêcher la publication
de ce rapport ou à l'écarter d'emblée, comme il l'avait fait à chaque fois qu'il
avait été accusé.
L'équipe des enquêteurs de l'ONU a expliqué que le gouvernement de Kagame
avait refusé de commenter les constatations du rapport malgré les nombreuses
sollicitations de l'équipe (et ce depuis le mois de mai dernier).
Au lendemain de la présentation —orale— des conclusions du rapport face au
Conseil de sécurité de l'ONU, chacun des Etats membres (Chine, Russie et
Grande-Bretagne y compris) ont voté en faveur de la publication des conclusions
susceptibles de porter préjudice au Rwanda; c'est ce que m'ont confié (sous le
sceau de la confidentialité) plusieurs diplomates qui ont assisté à la réunion.
Mais les Etats-Unis se sont néanmoins opposés à la publication du rapport.
Les autres membres du Conseil ont alors fait pression sur les Américains,
qui ont fini par accepter —à condition que le Rwanda puisse y ajouter son droit
de réponse avant la publication.
Cette concession est rarement accordée aux pays accusés de crimes de guerre
—un exemple de plus du favoritisme dont bénéficiait Kigali. Cela n'a étonné
personne.
Puis, tout d'un coup, les Etats-Unis ont annoncé qu'ils suspendaient leur
aide militaire (200.000 dollars destinés à une école militaire ) au Rwanda, son
allié de longue date; une première.
Dans une déclaration effectuée par courriel, une porte-parole du
département d'Etat, Hilary Fuller Renner, a tenu ces propos:
«Les preuves de l'appui que le Rwanda fournit à plusieurs groupes rebelles congolais, donc le M23, préoccupent profondément le gouvernement des Etats-Unis.»
La politique étrangère des Etats-Unis allait changer, et cette décision en
était le premier signe annonciateur.
Kagame a feint l'indifférence, affirmant que cette suspension n'était
«rien» —mais son inquiétude était palpable.
Dans le cadre d'un reportage consacré au président, une équipe de
journalistes français a noté que Kagame consacrait beaucoup de temps aux
retombées de l'affaire M23; quant à son gouvernement, il s'est empressé de nier
les accusations avec la plus grande véhémence.
Il semble toutefois que l'ingérence du Rwanda sur le territoire congolais
ait finalement eu raison de la patience de l'Occident. Un responsable de Human
Rights Watch a ainsi affirmé que l'Amérique «ne pouvait plus
supporter qu'on lui mente».
L'équipe de l'ONU qui a rédigé le rapport est récemment retournée au Rwanda
pour présenter ses conclusions au gouvernement de Kagame. Pour les pays
donateurs, la reprise de l'aide au Rwanda dépendra de la réaction du président.
On peut toutefois s'attendre à ce que le gouvernement rwandais conserve sa
stratégie actuelle et continue de nier les faits en criant au scandale, quelles
que soient les preuves qui lui sont présentées.
Le 1er août, l'habile ministre rwandaise des Affaires étrangères, Louise
Mushikiwabo, a déclaré qu'elle avait réfuté point par point l'ensemble des
accusations de l'ONU - qui, selon elle, s'avèrent toutes fausses.
A l'en croire, le droit de réponse du Rwanda aurait été officiellement
soumis au Conseil de sécurité de l'ONU le 30 juillet.
Kagame est allé plus loin, en accusant l'Occident et la communauté
internationale d'être à l'origine de la crise qui agite le Congo, et en répétant
que son gouvernement n'avait pas fourni "une seule balle" aux rebelles.
Le 28 juillet, Mushikiwabo a accusé les gouvernements occidentaux de faire
preuve de paternalisme envers les pays qui bénéficient de leurs aides.
Objectif: raviver la culpabilité de l'Occident vis-à-vis du colonialisme et
de l'inaction dont il a fait preuve pendant le génocide; une stratégie qui s'est
avérée particulièrement payante par le passé.
Kagame est la plus puissante figure de la région, et son armée pourrait
neutraliser les rebelles du M23 s'il lui en donnait l'ordre.
Par ailleurs, si le Rwanda cessait d'apporter son appui (supposé) au M23
tout en ne fournissant aucune porte de sortie à ses combattants, la rébellion
serait sans doute matée par l'armée congolaise et les forces de l'ONU.
Mais rien n'indique que Kagame soit disposé à opter pour l'une ou l'autre
de ces solutions.
Pourquoi? C'est bien simple: il dispose encore de nombreux soutiens, qui
répondent amplement à ses besoins.
L'amitié avec la Chine résiste à la tempête
Certains donateurs occidentaux et multilatéraux n'ont pas suspendu leur
aide à Kigali: l'Union européenne, la Belgique, la Banque mondiale et le Fonds
mondial de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose fournissent plus
de 400 millions de dollars par an au Rwanda (selon les chiffres de l'OCDE) —et
une bonne part de cette somme est directement attribuée au gouvernement ou aux
projets gérés par ce dernier.
A l'heure où j'écris ces lignes, aucun d'entre eux n'a suspendu son aide
(ou exprimé l'intention de le faire).
Les Etats-Unis n'ont pas encore gelé leur aide non-militaire, qui
représente quelque 240 millions de dollars —pour l'heure, sa démarche équivaut
donc à une simple réprimande.
La Chine continuera par ailleurs très certainement de soutenir le Rwanda,
et pourrait bien être de plus en plus courtisée par le régime de Kagame.
Les firmes chinoises ont déjà financé une série d'infrastructures et de
projets connexes (le secret qui entoure ces accords est total), dont la
construction de plusieurs routes et d'importants complexes hôteliers; le
gouvernement rwandais a pour projet d'attirer dans sa capitale les touristes et
les conférenciers du monde entier, en prenant modèle sur Singapour.
Les Chinois réalisent toutefois des profits des deux côtés de la frontière:
ils entretiennent une relation des plus cordiales avec le gouvernement
congolais, et financent également d'importants projets d'infrastructure dans ce
pays.
Au final, les preuves de violation des droits de l'homme ont rarement
empêché le Rwanda de recevoir le soutien de la communauté internationale.
Le régime que Kagame a renversé en 1994 (et qui a orchestré le génocide)
avait lui aussi reçu de larges donations —et l'appui— de l'Occident. Et lui
aussi avait été applaudi pour avoir contribué à maintenir la paix et la
stabilité dans une région en proie aux troubles, ainsi que pour sa gestion
efficace de l'aide étrangère.
Kagame s'est montré tout aussi adroit: il a su charmer les donateurs et
sortir indemne des situations politiques les plus délicates.
Mais si l'on en juge par la frustration croissante dont fait montre le
président lors de ses déclarations publiques, il semble que l'autocrate
rwandais se lasse d'agir sous la surveillance constante de l'Occident. Et il se
pourrait bien que l'Occident se lasse de Paul Kagame.
Anjan Sundaram, Foreign Policy
Traduit par Jean-Clément
Nau
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