Ce discours prononcé
devant le roi des Belges, Axel Marie Gustave Baudoin, est réputé avoir scellé le
sort funeste de Patrice Emery Lumumba.
En effet, il marquait d’emblée la ferme
volonté du Premier ministre congolais d’exercer toute la souveraineté politique
que supposait le principe de l’indépendance conquis de haute lutte face au
colon.
Or, les élites colonialistes belges entendaient continuer de piller les
ressources du Congo, tout en feignant d’approuver une indépendance qu’elles
prétendaient officiellement avoir octroyée, tandis qu’elles insinuaient
officieusement que les Congolais n’y étaient pas encore préparés.
Congolais et
Congolaises,
Combattants de
l’indépendance aujourd’hui victorieux
Je vous salue au nom
du gouvernement congolais.
A vous tous, mes
amis, qui avez lutté sans relâche à nos côtés, je vous demande de faire de ce
30juin 1960 une date illustre que vous garderez ineffaçablement gravée dans vos
cœurs, une date dont vous enseignerez avec fierté la signification à vos
enfants, pour que ceux-ci à leur tour fassent connaître à leurs fils et leurs
petits-fils l’histoire glorieuse de notre lutte pour la liberté.
Car cette
indépendance du Congo, si elle est proclamée aujourd’hui dans l’entente avec la
Belgique, pays ami avec qui nous traitons d’égal à égal, nul congolais digne de
ce nom ne pourra jamais oublier cependant que c’est par la lutte qu’elle a été
conquise, une lutte de tous les jours, une lutte ardente et idéaliste, une lutte
dans laquelle nous n’avons ménagé ni nos forces, ni nos privations, ni nos
souffrances, ni notre sang.
Cette lutte, qui fut
de larmes, de feu et de sang, nous en sommes fiers jusqu’au plus profond de
nous-mêmes, car ce fut une lutte noble et juste, une lutte indispensable pour
mettre fin à l’humiliant esclavage qui nous était imposé par la force.
Ce que
fut notre sort en 80 ans de régime colonialiste, nos blessures sont trop
fraîches et trop douloureuses encore pour que nous puissions les chasser de
notre mémoire. Nous avons connu le travail harassant, exigé en échange de
salaires qui ne nous permettaient ni de manger, ni de nous vêtir ou de nous
loger décemment, ni d’élever nos enfants comme des êtres chers.
Nous avons connu les
ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir,
parce que nous étions nègres. Qui oubliera qu’à un noir on disait « tu », non
certes comme à un ami, mais parce que le « vous » honorable était réservé aux
seuls Blancs ?
Nous avons connu que
nos terres furent spoliées au nom de textes prétendument légaux qui ne faisaient
que reconnaître le droit du plus fort. Nous avons connu que la loi n’était
jamais la même selon qu’il s’agissait d’un Blanc ou d’un Noir : accommodante
pour les uns, cruelle et inhumaine pour les autres. Nous avons connu les
souffrances atroces des relégués pour opinions politiques ou croyances
religieuses ; exilés dans leur propre patrie, leur sort était vraiment pire que
la mort elle-même.
Nous avons connu
qu’il y avait dans les villes des maisons magnifiques pour les blancs et des
paillottes croulantes pour les Noirs, qu’n Noir n’était admis ni dans les
cinémas, ni dans les restaurants, ni dans les magasins dits européens ; qu’un
Noir voyageait à même la coque des péniches, aux pieds du blanc dans sa cabine
de luxe.
Qui oubliera enfin
les fusillades où périrent tant de nos frères, les cachots où furent brutalement
jetés ceux qui ne voulaient plus se soumettre au régime d’une justice
d’oppression et d’exploitation ?
Tout cela, mes
frères, nous en avons profondément souffert. Mais tout cela aussi, nous que le
vote de vos représentants élus a agréé pour diriger notre cher pays, nous qui
avons souffert dans notre corps et dans notre cœur de l’oppression colonialiste,
nous vous le disons tout haut, tout cela est désormais fini.
La République du
Congo a té proclamée et notre pays est maintenant entre les mains de ses propres
enfants. Ensemble, mes frères, mes sœurs, nous allons commencer une nouvelle
lutte, une lutte sublime qui va mener notre pays à la paix, à la prospérité et à
la grandeur. Nous allons établir ensemble la justice sociale et assurer que
chacun reçoive la juste rémunération de son travail. Nous allons montrer au
monde ce que peut faire l’homme noir quand il travaille dans la liberté et nous
allons faire du Congo le centre de rayonnement de l’Afrique toute entière.
Nous
allons veiller à ce que les terres de notre patrie profitent véritablement à ses
enfants. Nous allons revoir toutes les lois d’autrefois et en faire de nouvelles
qui seront justes et nobles.
Nous allons mettre
fin à l’oppression de la pensée libre et faire en sorte que tous les citoyens
jouissent pleinement des libertés fondamentales prévues dans la Déclaration des
droits de l’Homme.
Nous allons
supprimer efficacement toute discrimination quelle qu’elle soit et donner à
chacun la juste place que lui vaudront sa dignité humaine, son travail et son
dévouement au pays. Nous allons faire régner nos pas la paix des fusils et des
baïonnettes, mais la paix des cœurs et des bonnes volontés.
Et pour cela, chers
compatriotes, soyez sûrs que nous pourrons compter non seulement sur nos forces
énormes et nos richesses immenses, mais sur l’assistance de nombreux pays
étrangers dont nous accepterons la collaboration chaque fois qu’elle sera loyale
et ne cherchera pas à nous imposer une politique quelle qu’elle soit. Dans ce
domaine, la Belgique qui, comprenant enfin le sens de l’histoire, n’a pas essayé
de s’opposer à notre indépendance, est prête à nous accorder son aide et son
amitié, et un traité vient d’être signé dans ce sens entre nos deux pays égaux
et indépendants.
Cette coopération, j’en suis sûr, sera profitable aux deux
pays. De notre côté, tout en restant vigilants, nous saurons respecter les
engagements librement consentis .
Ainsi, tant à
l’intérieur qu’à l’extérieur, le Congo nouveau, notre chère République, que mon
gouvernement va créer, sera un pays riche, libre et prospère. Mais pour que nous
arrivions sans retard à ce but, vous tous, législateurs et citoyens congolais,
je vous demande de m’aider de toutes vos forces. Je vous demande à tous
d’oublier les querelles tribales qui nous épuisent et risquent de nous faire
mépriser à l’étranger.
Je demande à la
minorité parlementaire d’aider mo n gouvernement par une opposition constructive
et de rester strictement dans les voies légales et démocratiques. Je vous
demande à tous de ne reculer devant aucun sacrifice pour assurer la réussite de
notre grandiose entreprise. Je vous demande enfin de respecter
inconditionnellement la vie et les biens de vos concitoyens et des étrangers
établis dans notre pays. Si la conduite de ces étrangers laisse à désirer, notre
justice sera prompte à les expulser du territoire de la République ; si par
contre leur conduite est bonne, il faut les laisser en paix, car eux aussi
travaillent à la prospérité de notre pays. L’indépendance du Congo marque un pas
décisif vers la libération de tout le continent africain.
Voilà, Sire,
Excellences, Mesdames, Messieurs, mes chers compatriotes, mes frères de race,
mes frères de lutte, ce que j’ai voulu vous dire au nom du gouvernement en ce
jour magnifique de notre indépendance complète et souveraine. Notre gouvernement
fort, national, populaire, sera le salut de ce pays.
J’invite tous les
citoyens congolais, hommes, femmes et enfants, à se mettre résolument au travail
en vue de créer une économie nationale prospère qui consacrera notre
indépendance économique.
Hommage aux
combattants de la liberté nationale !
Vive l’indépendance
et l’Unité africaine !
Vive le Congo
indépendant et souverain !
L’assassinat de
Lumumba par des forces occidentales coalisées est emblématique de l’assassinat
quasi systématique des aspirations légitimes des nations nègres à se gouverner
elles-mêmes, à exploiter leurs propres ressources pour leur prospérité
collective. Chacun peut lire ce discours fallacieusement prétendu de
lèse-majesté belge, mais qui est d’abord et surtout l’expression profonde d’une
volonté juste et vraie, d’une ambition mââtique :
« [...] faire du
Congo le centre de rayonnement de l’Afrique toute entière. [...] veiller à ce
que les terres de notre patrie profitent véritablement à ses
enfants ».
Lumumba a donc été
sauvagement assassiné parce qu’il voulait que le Congo fût aux Congolais, que
les immenses richesses de l’Afrique « profitent véritablement à ses enfants ».
Tous les leaders africains ayant exprimé, avec plus ou moins de véhémence, de
telles aspirations ont été éliminés d’une façon ou d’une autre par des Etats
étrangers criminels aidés de leurs acolytes locaux.
Cette criminalité séculaire
en Afrique d’Etats étrangers est la principale cause exogène du « drame de
l’Afrique » ; une cause qu’il faut plus que jamais dénoncer dans toutes les
instances internationales, pointer sans ambages, à chaque infime occasion, ces
fossoyeurs qui se donnent pour des sauveurs, pour des « partenaires au
co-développement ».
Par KLAH
Popo
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