QUEL DANGER POUR L'AFRIQUE
(La Conscience 03/06/2013 - 10:16)
Les guerres occidentales en Afrique se multiplient. En 2008, les USA créaient Africom, un centre de commandement unique pour toutes leurs opérations militaires en Afrique. Depuis, il y a eu la Côte d’Ivoire, la Libye, le Mali...
Sans compter la Somalie et le Congo, théâtres de violentes guerres indirectes depuis des années. Spécialiste de l’Afrique et auteur chez Investig’Action de « La stratégie du chaos », Mohamed Hassan nous explique les raisons de ces agressions à répétition. Menées par un Occident en pleine crise, elles ont pour toile de fond la lutte contre la Chine et le contrôle des matières premières.
Premier volet d’une série de trois articles sur « Les causes et conséquences de la guerre au Mali » (IGA).
Ce qui a précédé : crise et guerre
Depuis les années 70, le capitalisme est en crise. La réaction des dirigeants mondiaux du capitalisme dans les années 80 a consisté en une politique ultralibérale et une offensive idéologique acharnée contre le communisme.
En Afrique, en Asie et en Amérique latine, cette politique a été formulée dans les fameux programmes d’adaptation structurelle (PAS) qui ont fortement affaibli les États et ont balayé tout ce qui restait encore des infrastructures et des services sociaux. Dans le monde capitaliste, toutes les règles ont été supprimées, surtout — et de la façon la plus radicale — dans le monde bancaire. La législation du travail, la sécurité sociale et les droits syndicaux ont été également remis en question.
En 1990, quand le socialisme s’est effondré en Union soviétique, l’euphorie s’est emparée de l’Occident : on a parlé de la fin de l’histoire et de la victoire définitive du capitalisme. Le sigle de quatre lettres, TINA (pour There is no alternative — il n’y a pas d’alternative), a été très en vogue. Mais, au milieu des années 90, cette euphorie s’est quelque peu tempérée et le capitalisme en crise s’est mis en quête d’une nouvelle image d’ennemi.
À cette fin, la théorie du « choc des civilisations », de la guerre entre civilisations, de Samuel Huntington, s’est avérée utile. Et, déjà à l’époque, l’islam a été défini comme l’ennemi.
Sur le plan stratégique, il y a eu le livre influent de l’Américain d’origine polonaise, Zbigniew Brzezinski, Le grand échiquier avec, comme sous-titre, American Primacy and Its Geostrategic Imperatives (littéralement : « L’hégémonie américaine et ses impératifs stratégiques » ; c’est devenu « L’Amérique et le reste du monde », dans la version française).
Pour Brzezinski, les États-Unis devaient s’appuyer sur l’Union européenne et les grands pays est-européens comme la Pologne et l’Ukraine afin de pouvoir contrôler la totalité de l’Eurasie, la plus vaste étendue de terre émergée du monde, que composent à la fois l’Europe et le continent asiatique.
À la fin de la présidence de Clinton est venu le projet PNAC (Project for a New American Century — Projet pour un nouveau siècle américain), par lequel les néoconservateurs préconisaient le remodelage du Grand Moyen-Orient. Cela allait être la politique du président américain suivant, George Bush Jr. Conséquence : la première décennie de ce siècle fut ébranlée par les guerres en Irak et en Afghanistan.
Une grossière erreur de calcul
Aussi violente et impressionnante qu’ait été la guerre en Irak lorsqu’elle débuta voici dix ans, on ne peut que constater aujourd’hui que les États-Unis ont perdu cette guerre.
Après dix ans d’occupation américaine, le contrôle politique du pays est aux mains d’un gouvernement qui écoute davantage le pays voisin, l’Iran — l’ennemi de toujours de Washington — que ses maîtres américains mêmes. Si, par l’occupation de l’Irak, l’intention des États-Unis était de contrôler la production de pétrole à l’échelle mondiale, cela aussi a été un échec : une partie importante du pétrole irakien part actuellement en Chine.
Et les hausses du prix de l’or noir ont également enrichi des pays producteurs de pétrole qui ne sont pas en très bons termes avec les États-Unis : l’Algérie, le Venezuela, la Libye, la Russie. Ces pays ont pu de la sorte se constituer d’importantes réserves monétaires, ce qui a accru leurs possibilités de suivre un cours indépendant.
En ce qui concerne la Russie, dans les années 90 Washington a soutenu les islamistes radicaux en Tchétchénie dans le but d’affaiblir plus encore le pays.
Au cours d’une lutte sanglante, la capitale tchétchène Grozny a été réduite en ruines et on a déploré, en outre, le drame des otages à l’école de Beslan (1).
Mais la Russie a tenu bon et, sous Poutine, est redevenue un pays absolument autonome et indépendant bénéficiant également d’une forte croissance économique.
Mais c’est surtout en Chine que les États-Unis se sont trompés. Leur intention, c’était de voir la poursuite de l’application du libre marché mener enfin à l’effondrement du système d’État socialiste, comme cela avait été le cas plus tôt en Union soviétique.
Mais cela n’a pas eu lieu et l’économie chinoise a continué à croître. La Chine a dépassé, l’un après l’autre, les grands pays capitalistes et est devenue aujourd’hui la deuxième économie au monde, après les États-Unis, ainsi que la plus grande puissance commerciale.
Si cette évolution se poursuit, ce n’est plus qu’une question de temps avant que la Chine ne dépasse aussi les États-Unis. Dans le sillage de la Chine, on trouve, par ailleurs, nombre de grands pays du tiers monde, comme l’Inde et le Brésil, tandis que quelques grands pays africains se sont mués eux aussi en pays émergents : l’Afrique du Sud, l’Angola et le Nigeria. Ensemble, les principaux pays émergents (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) constituent ce qu’on appelle les BRICS.
À mesure que se développait cette évolution, on était de plus en plus désespéré, en Occident, par ce « printemps chinois » pro-occidental qui se faisait attendre et l’idée faisait alors son chemin d’approcher ouvertement la Chine en tant qu’adversaire stratégique, dans une deuxième « guerre froide » et une politique d’encerclement, d’endiguement et de confrontation.
Quand, en novembre 2011, le président américain Obama effectua un vaste périple en Asie, il déclara que les États-Unis étaient et restaient une « puissance pacifique », faisant allusion à l’océan Pacifique qui sépare les États-Unis et l’Asie.
« L’Asie est désormais la priorité numéro un des États-Unis », ajoutait-il. Ce n’est pas un hasard si le premier voyage à l’étranger d’Obama après les élections présidentielles de 2012 n’a pas eu pour destination l’Europe ou l’Amérique latine, mais bien la Birmanie, un pays clé dans la politique d’encerclement de la Chine.
L’importance stratégique croissante de l’Afrique
C’est dans ce nouveau cadre politique que l’Africom a été fondé en 2008.
Il s’agit d’une importante réforme stratégique des centres de commandement suprême de l’armée américaine.
L’Africom réunit désormais toutes les opérations de l’armée américaine en Afrique sous un commandement unique (dont le quartier général se trouve à Stuttgart), alors qu’auparavant elles dépendaient de trois commandements différents. Il ne s’agit pas d’une opération de chirurgie esthétique : cette réforme reflète la grande importance stratégique du continent africain dans la politique américaine de confrontation avec la Chine.
Les progrès rapides de la technologie font que de plus en plus de matières premières sont nécessaires pour l’industrie des pays capitalistes, mais aussi pour celle de la Chine et des autres économies émergentes.
Dans le sous-sol africain se trouvent d’importantes réserves encore intactes de pétrole, de gaz et de métaux ordinaires ou rares. On estime que le continent possède 40 % des matières premières minérales du monde ce qui lui confère une grande importance stratégique.
La croissance spectaculaire de la Chine et des autres économies émergentes requiert en effet d’énormes quantités de matières premières. En outre, les BRICS ont grandement besoin de possibilités d’exportation et, pour eux aussi, l’Afrique constitue un marché d’écoulement très prometteur.
Si les États-Unis veulent mettre un terme à l’ascension de la Chine (la politique de l’ « endiguement »), l’Afrique constitue un élément clé pour la décennie à venir. En attendant, depuis quelques années, la Chine est le principal partenaire commercial de l’Afrique. Les États-Unis viennent ensuite et tous deux ont dépassé les anciennes métropoles coloniales qu’étaient la France et la Grande-Bretagne.
Conquérir le contrôle de l’Afrique devient donc urgent pour Washington, et cela ne peut se faire uniquement par la concurrence des acteurs économiques au sein d’un marché « libre ». Pour le bloc impérialiste, il s’agit tout autant d’une question militaire.
D’où le rôle décisif joué par les armées des États-Unis et des pays européens depuis 2011 dans les guerres en Côte d’Ivoire, en Libye et aujourd’hui au Mali. Ce qui surprend ici, c’est que les États-Unis se profilent de façon peut-être plus discrète, aux yeux de l’extérieur, tandis qu’en même temps, par leur Africom et leur énorme réseau politique et diplomatique, ils tiennent malgré tout fermement les rênes en main.
Cette intervention directe des armées des États membres de l’Otan dans les guerres africaines, avec un rôle clé pour Africom, ne fera que s’accroître au cours des années à venir. Par ailleurs, Africom est également impliqué dans un nombre spectaculairement croissant de programmes de collaboration militaire avec des armées africaines, sous la forme de formation et d’exercices en commun.
Le but est de prendre pied au sein de ces armées et de faire mener le plus possible les guerres qui auront lieu en Afrique par des armées africaines — mais, naturellement, toujours en fonction des intérêts des États-Unis.
Cette stratégie, Washington l’applique depuis des années déjà dans deux pays qui sont très importants sur le plan géostratégique : la Somalie et la République démocratique du Congo. Les armées, respectivement, de l’Éthiopie, de l’Ouganda et du Rwanda se chargent sur place du boulot.
Aujourd’hui, les États-Unis passent à la vitesse supérieure dans le travail préparatoire de ce genre d’interventions. En 2012, une brigade de l’armée américaine a reçu la mission de mener des activités dans pas moins de 35 pays africains, un nombre record.
Cette tentative de soumettre militairement l’Afrique afin de contrôler l’influence économique de la Chine et des autres économies émergentes s’effectue sous le prétexte de la lutte contre le terrorisme. Et c’est ainsi que nous en arrivons au mouvement intégriste islamique et à ce que les médias ont appelé le « Printemps arabe ».
Extrait de « Causes et conséquences de la guerre au Mali », article paru dans Études marxistes, n°101. La suite bientôt disponible sur michelcollon.info.
Notes
(1) Voir Wikipedia.
Mohamed Hassan est spécialiste du Moyen-Orient et de l’Afrique. Il est l’auteur, avec David Pestieau, de L’Irak face à l’occupation (EPO, 2004) et, avec Grégoire Lalieu et Michel Collon, de La stratégie du chaos, Investig’Action/Couleur Livres, 2012.
L’Occident à la reconquête de l’Afrique
Mohamed Hassan©michelcollon.info
Sans compter la Somalie et le Congo, théâtres de violentes guerres indirectes depuis des années. Spécialiste de l’Afrique et auteur chez Investig’Action de « La stratégie du chaos », Mohamed Hassan nous explique les raisons de ces agressions à répétition. Menées par un Occident en pleine crise, elles ont pour toile de fond la lutte contre la Chine et le contrôle des matières premières.
Premier volet d’une série de trois articles sur « Les causes et conséquences de la guerre au Mali » (IGA).
Ce qui a précédé : crise et guerre
Depuis les années 70, le capitalisme est en crise. La réaction des dirigeants mondiaux du capitalisme dans les années 80 a consisté en une politique ultralibérale et une offensive idéologique acharnée contre le communisme.
En Afrique, en Asie et en Amérique latine, cette politique a été formulée dans les fameux programmes d’adaptation structurelle (PAS) qui ont fortement affaibli les États et ont balayé tout ce qui restait encore des infrastructures et des services sociaux. Dans le monde capitaliste, toutes les règles ont été supprimées, surtout — et de la façon la plus radicale — dans le monde bancaire. La législation du travail, la sécurité sociale et les droits syndicaux ont été également remis en question.
En 1990, quand le socialisme s’est effondré en Union soviétique, l’euphorie s’est emparée de l’Occident : on a parlé de la fin de l’histoire et de la victoire définitive du capitalisme. Le sigle de quatre lettres, TINA (pour There is no alternative — il n’y a pas d’alternative), a été très en vogue. Mais, au milieu des années 90, cette euphorie s’est quelque peu tempérée et le capitalisme en crise s’est mis en quête d’une nouvelle image d’ennemi.
À cette fin, la théorie du « choc des civilisations », de la guerre entre civilisations, de Samuel Huntington, s’est avérée utile. Et, déjà à l’époque, l’islam a été défini comme l’ennemi.
Sur le plan stratégique, il y a eu le livre influent de l’Américain d’origine polonaise, Zbigniew Brzezinski, Le grand échiquier avec, comme sous-titre, American Primacy and Its Geostrategic Imperatives (littéralement : « L’hégémonie américaine et ses impératifs stratégiques » ; c’est devenu « L’Amérique et le reste du monde », dans la version française).
Pour Brzezinski, les États-Unis devaient s’appuyer sur l’Union européenne et les grands pays est-européens comme la Pologne et l’Ukraine afin de pouvoir contrôler la totalité de l’Eurasie, la plus vaste étendue de terre émergée du monde, que composent à la fois l’Europe et le continent asiatique.
À la fin de la présidence de Clinton est venu le projet PNAC (Project for a New American Century — Projet pour un nouveau siècle américain), par lequel les néoconservateurs préconisaient le remodelage du Grand Moyen-Orient. Cela allait être la politique du président américain suivant, George Bush Jr. Conséquence : la première décennie de ce siècle fut ébranlée par les guerres en Irak et en Afghanistan.
Une grossière erreur de calcul
Aussi violente et impressionnante qu’ait été la guerre en Irak lorsqu’elle débuta voici dix ans, on ne peut que constater aujourd’hui que les États-Unis ont perdu cette guerre.
Après dix ans d’occupation américaine, le contrôle politique du pays est aux mains d’un gouvernement qui écoute davantage le pays voisin, l’Iran — l’ennemi de toujours de Washington — que ses maîtres américains mêmes. Si, par l’occupation de l’Irak, l’intention des États-Unis était de contrôler la production de pétrole à l’échelle mondiale, cela aussi a été un échec : une partie importante du pétrole irakien part actuellement en Chine.
Et les hausses du prix de l’or noir ont également enrichi des pays producteurs de pétrole qui ne sont pas en très bons termes avec les États-Unis : l’Algérie, le Venezuela, la Libye, la Russie. Ces pays ont pu de la sorte se constituer d’importantes réserves monétaires, ce qui a accru leurs possibilités de suivre un cours indépendant.
En ce qui concerne la Russie, dans les années 90 Washington a soutenu les islamistes radicaux en Tchétchénie dans le but d’affaiblir plus encore le pays.
Au cours d’une lutte sanglante, la capitale tchétchène Grozny a été réduite en ruines et on a déploré, en outre, le drame des otages à l’école de Beslan (1).
Mais la Russie a tenu bon et, sous Poutine, est redevenue un pays absolument autonome et indépendant bénéficiant également d’une forte croissance économique.
Mais c’est surtout en Chine que les États-Unis se sont trompés. Leur intention, c’était de voir la poursuite de l’application du libre marché mener enfin à l’effondrement du système d’État socialiste, comme cela avait été le cas plus tôt en Union soviétique.
Mais cela n’a pas eu lieu et l’économie chinoise a continué à croître. La Chine a dépassé, l’un après l’autre, les grands pays capitalistes et est devenue aujourd’hui la deuxième économie au monde, après les États-Unis, ainsi que la plus grande puissance commerciale.
Si cette évolution se poursuit, ce n’est plus qu’une question de temps avant que la Chine ne dépasse aussi les États-Unis. Dans le sillage de la Chine, on trouve, par ailleurs, nombre de grands pays du tiers monde, comme l’Inde et le Brésil, tandis que quelques grands pays africains se sont mués eux aussi en pays émergents : l’Afrique du Sud, l’Angola et le Nigeria. Ensemble, les principaux pays émergents (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) constituent ce qu’on appelle les BRICS.
À mesure que se développait cette évolution, on était de plus en plus désespéré, en Occident, par ce « printemps chinois » pro-occidental qui se faisait attendre et l’idée faisait alors son chemin d’approcher ouvertement la Chine en tant qu’adversaire stratégique, dans une deuxième « guerre froide » et une politique d’encerclement, d’endiguement et de confrontation.
Quand, en novembre 2011, le président américain Obama effectua un vaste périple en Asie, il déclara que les États-Unis étaient et restaient une « puissance pacifique », faisant allusion à l’océan Pacifique qui sépare les États-Unis et l’Asie.
« L’Asie est désormais la priorité numéro un des États-Unis », ajoutait-il. Ce n’est pas un hasard si le premier voyage à l’étranger d’Obama après les élections présidentielles de 2012 n’a pas eu pour destination l’Europe ou l’Amérique latine, mais bien la Birmanie, un pays clé dans la politique d’encerclement de la Chine.
L’importance stratégique croissante de l’Afrique
C’est dans ce nouveau cadre politique que l’Africom a été fondé en 2008.
Il s’agit d’une importante réforme stratégique des centres de commandement suprême de l’armée américaine.
L’Africom réunit désormais toutes les opérations de l’armée américaine en Afrique sous un commandement unique (dont le quartier général se trouve à Stuttgart), alors qu’auparavant elles dépendaient de trois commandements différents. Il ne s’agit pas d’une opération de chirurgie esthétique : cette réforme reflète la grande importance stratégique du continent africain dans la politique américaine de confrontation avec la Chine.
Les progrès rapides de la technologie font que de plus en plus de matières premières sont nécessaires pour l’industrie des pays capitalistes, mais aussi pour celle de la Chine et des autres économies émergentes.
Dans le sous-sol africain se trouvent d’importantes réserves encore intactes de pétrole, de gaz et de métaux ordinaires ou rares. On estime que le continent possède 40 % des matières premières minérales du monde ce qui lui confère une grande importance stratégique.
La croissance spectaculaire de la Chine et des autres économies émergentes requiert en effet d’énormes quantités de matières premières. En outre, les BRICS ont grandement besoin de possibilités d’exportation et, pour eux aussi, l’Afrique constitue un marché d’écoulement très prometteur.
Si les États-Unis veulent mettre un terme à l’ascension de la Chine (la politique de l’ « endiguement »), l’Afrique constitue un élément clé pour la décennie à venir. En attendant, depuis quelques années, la Chine est le principal partenaire commercial de l’Afrique. Les États-Unis viennent ensuite et tous deux ont dépassé les anciennes métropoles coloniales qu’étaient la France et la Grande-Bretagne.
Conquérir le contrôle de l’Afrique devient donc urgent pour Washington, et cela ne peut se faire uniquement par la concurrence des acteurs économiques au sein d’un marché « libre ». Pour le bloc impérialiste, il s’agit tout autant d’une question militaire.
D’où le rôle décisif joué par les armées des États-Unis et des pays européens depuis 2011 dans les guerres en Côte d’Ivoire, en Libye et aujourd’hui au Mali. Ce qui surprend ici, c’est que les États-Unis se profilent de façon peut-être plus discrète, aux yeux de l’extérieur, tandis qu’en même temps, par leur Africom et leur énorme réseau politique et diplomatique, ils tiennent malgré tout fermement les rênes en main.
Cette intervention directe des armées des États membres de l’Otan dans les guerres africaines, avec un rôle clé pour Africom, ne fera que s’accroître au cours des années à venir. Par ailleurs, Africom est également impliqué dans un nombre spectaculairement croissant de programmes de collaboration militaire avec des armées africaines, sous la forme de formation et d’exercices en commun.
Le but est de prendre pied au sein de ces armées et de faire mener le plus possible les guerres qui auront lieu en Afrique par des armées africaines — mais, naturellement, toujours en fonction des intérêts des États-Unis.
Cette stratégie, Washington l’applique depuis des années déjà dans deux pays qui sont très importants sur le plan géostratégique : la Somalie et la République démocratique du Congo. Les armées, respectivement, de l’Éthiopie, de l’Ouganda et du Rwanda se chargent sur place du boulot.
Aujourd’hui, les États-Unis passent à la vitesse supérieure dans le travail préparatoire de ce genre d’interventions. En 2012, une brigade de l’armée américaine a reçu la mission de mener des activités dans pas moins de 35 pays africains, un nombre record.
Cette tentative de soumettre militairement l’Afrique afin de contrôler l’influence économique de la Chine et des autres économies émergentes s’effectue sous le prétexte de la lutte contre le terrorisme. Et c’est ainsi que nous en arrivons au mouvement intégriste islamique et à ce que les médias ont appelé le « Printemps arabe ».
Extrait de « Causes et conséquences de la guerre au Mali », article paru dans Études marxistes, n°101. La suite bientôt disponible sur michelcollon.info.
Notes
(1) Voir Wikipedia.
Mohamed Hassan est spécialiste du Moyen-Orient et de l’Afrique. Il est l’auteur, avec David Pestieau, de L’Irak face à l’occupation (EPO, 2004) et, avec Grégoire Lalieu et Michel Collon, de La stratégie du chaos, Investig’Action/Couleur Livres, 2012.
L’Occident à la reconquête de l’Afrique
Mohamed Hassan©michelcollon.info
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