En
séjour à Ouagadougou, l'ancien bras droit de Jean-Pierre Bemba et
ex-président de l'Assemblée nationale de transition de la République
Démocratique du Congo (RDC), Olivier Kamitatu Etsu, dans cet entretien,
parle de la situation sociopolitique de son pays et apprécie le débat
en cours en ce moment sur la candidature de Blaise Compaoré à la
présidentielle de 2015.
On ne peut pas dire que nos lecteurs vous connaissent très bien. Peuvent-ils faire plus ample connaissance avec vous ?
•
Je m’appelle Olivier Kamitatu Etsu. Je suis le président du Réseau
libéral africain. Je suis également le président d’un parti, l’Alliance
pour le Renouveau du Congo (ARC), qui est dans la majorité avec 15
députés, 5 sénateurs et 1 membre du gouvernement. A titre personnel,
j’ai présidé l’Assemblée nationale de transition qui a abouti aux
élections de 2006, les premières élections démocratiques et
transparentes en République Démocratique du Congo. Après ce scrutin,
j’ai été nommé ministre du Plan, et j’ai occupé cette fonction pendant 5
ans dans les gouvernements qui se sont succédé de 2006 à 2012. Avant et
pendant la transition, j’étais le n°2 du Mouvement de libération du
Congo (MLC) de Jean Pierre Bemba. J’étais chargé de la branche politique
du MLC et j’ai participé activement à ce titre à tous les accords de
paix.
Dans quel cadre séjournez-vous au Burkina?
•
Je suis venu ici en tant que président du Réseau libéral africain, qui
regroupe aujourd’hui 34 partis politiques dans 25 pays. Le secrétariat
de ce réseau est basé à Cape Town en Afrique du Sud. Nous disposons d’un
comité exécutif que je préside, assisté de 5 vice-présidents. L’un
d'eux est Me Gilbert Noël Ouédraogo de l'ADF/RDA pour l’Afrique de
l’Ouest.
Notre
réseau a pour vocation d’assister tous les partis libéraux africains
qui veulent, bien entendu, accéder au pouvoir. Les deux patrons de notre
mouvement sont : le président Alassane Ouattara, qui est le premier
des libéraux africains sur le continent, et Hélène Zile, qui est la
chef de l’exécutif de la province de Western Cape et ancienne maire de
Cape Town.
Votre
organisation est également un cadre pour homme politique pour se faire
un réseau et un carnet d'adresses surtout que l'objectif d'un parti
politique, c'est la conquête du pouvoir.
C’est
avant tout une organisation. Un réseau c’est en même temps un network à
la britannique ; ça veut dire que nous avons un carnet d’adresses, et
tous les membres doivent en bénéficier. C’est un lieu de rencontres,
d’échanges d’expériences, un lieu de solidarité, et c’est à ce titre
d’ailleurs que je suis ici au Burkina Faso pour exprimer la solidarité,
l’appui et le soutien au président de l’ADF/RDA, Me Gilbert Noël
Ouédraogo. Nous avons vocation à constituer non seulement un réseau, un
carnet d’adresses mais également à appuyer la formation des cadres de
nos partis politiques. Dans cette mission de formation, nous sommes
assistés par deux grandes organisations : la Fondation Friedrich
Neumann pour la liberté et la Fondation Westminster. Il faut savoir que
ces deux fondations sont d’obédience libérale et que nous voulons
promouvoir cette idéologie par l’action politique à travers tout le
continent.
Vous
vous êtes séparé de votre ancien mentor, Jean-Pierre Bemba. Est-ce
parce qu'il est devenu gênant du fait de ses déboires judiciaires?
•
Jean-Pierre Bemba est un ami d’enfance. Nous avons cheminé ensemble
parce que nous avions une même vision de la lutte et de l’engagement
contre la dictature et l’oppression exercée par Laurent Désiré Kabila,
qui avait pris le pouvoir par les armes. Nous avons travaillé
étroitement à faire valoir notre vision pour un nouvel ordre politique
en République Démocratique du Congo, pour l’organisation d'élections
libres et transparentes. Pour ce qui est de cette mission, nous avons
largement réussi dans notre combat; quant à la mise en œuvre d’une
vision d’avenir en 2006, nous ne partagions pas les mêmes objectifs ni
la même manière de diriger un parti politique.
J'ai
jugé utile de prendre ma route, de créer mon propre parti , qui est
entré dans l’International libéral, et de suivre la voie qui me semble
la meilleure. Je me refuse à toute forme de partis patrimoniaux. Je
considère que les partis sont les lieux d’accès au pouvoir, c’est
également des lieux d’échanges et que la personnalité d’un chef à la
tête d’un parti doit être à la fois empreinte d’autorité et de
capacités d’écoute et de démocratie. _Quant aux démêlés judiciaires de
Jean-Pierre Bemba du fait de son arrestation par la CPI en 2006,
personne ne pouvait imaginer qu’un jour ce destin tragique pourrait lui
arriver.
Estimez-vous que votre ami est coupable des faits qui lui sont reprochés?
•
Le dossier est pendant devant la Cour pénale internationale ; ça veut
dire que je n’ai pas à estimer si Jean-Pierre Bemba est coupable ou non.
Ce sont les juges de la CPI qui devront statuer sur cette question.
Tout ce qu’on peut dire, c’est qu’il y a énormément de mes compatriotes
qui sont arrêtés au niveau de la Cour pénale internationale, et la
République Démocratique du Congo paye un lourd tribut à cette
juridiction internationale. Tout ce que j’espère est que le droit soit
dit en toute indépendance et qu’il ne soit pas l'otage de
considérations politiques. Nous nous soumettrons ainsi à ce que les
juges et le procureur décideront.
Le
ministre de la Communication, porte-parole du gouvernement, Lambert
Mende Omalanga, a annoncé récemment que Jospeh Kabila allait respecter
la Constitution et ne se présenterait donc pas à la présidentielle de
2016. Croyez-vous vraiment à cette déclaration?
•
Dans mon parcours politique, j’ai été le président de l’Assemblée
nationale de transition. J'ai eu à participer activement à l’élaboration
de la Constitution de mon pays, j’en suis donc l’un des pères. Dans
cette loi fondamentale, l’article 220 dispose qu’on ne peut remettre en
question la durée et le nombre de mandats du président de la
République. C’est donc une des dispositions intangibles de notre
Constitution, adoptée par le peuple congolais par référendum en janvier
2006 à plus de 85%.
Aujourd’hui,
le chef de l'Etat sait très bien que le peuple congolais s’est exprimé,
que cette question ne peut même plus être posée. Ça veut dire qu’il
n’est pas question d’un référendum sur l’article 220. Il n’est pas
question non plus pour Joseph Kabila de tenter de toucher à quoi que se
soit. Je pense que le porte-parole du gouvernement s'est exprimé pour
rassurer l'opinion publique et calmer le climat politique. Sinon, ça
coule de source, mais ça peut rassurer parce qu’on voit dans d’autres
pays qu'on peut parfois tordre le cou à certaines dispositions
constitutionnelles quand bien même elles ont été adoptées par les
populations.
On
parle d'un gouvernement d'union nationale en RDC. Qu'est-ce qui
explique cette volonté d'ouverture de la part d'un Kabila dont
l'élection a été qualifiée de hold-up?
•
Cette ouverture n’est pas un fait totalement improvisé. Le président de
la République en avait déjà évoqué l'idée. Il prônait la concertation
parce qu’il était critiqué par l’opposition, qui le tenait pour
responsable de tous les maux de la RDC. Vous savez également que des
mouvements d’insurrection sont apparus dans l’est du pays, notamment le
M-23 qui contrôlait la ville de Goma et qui a commis énormément
d’exactions. La lutte armée qui s’est engagée par la suite a été très
violente. Le M-23 était soutenu et parrainé par des voisins qui ont
d'ailleurs été dénoncés par un rapport assez explicite des Nations
unies.
En
ce sens, le chef de l’Etat voulait absolument renforcer la cohésion
nationale face à cette menace pour l’avenir du pays. Donc il fallait
que le président Kabila, dont la légitimité a été mise en cause à
l'issue des élections, pose des actes allant dans le sens du
raffermissement des liens entre les fils et les filles du Congo. Il y a
eu à cet effet des concertations devant aboutir à la cohésion nationale.
C’est une logique qu’il a poursuivie tout au long de l’année 2013
au-delà de la contestation issues des urnes en 2011, que tout le monde
connaît. Cette protestation, vous vous en êtes fait l'écho largement.
Ces
concertations ont abouti à plus de 600 recommandations entre
l’opposition et la majorité. Nous avons salué le fait qu’elles ont eu
lieu et que les deux parties ont dressé un diagnostic de la situation,
qui est sévère. Le chef de l’Etat, dans un message à la nation et dans
un discours devant le congrès, en a pris note et a accepté toutes les
recommandations issues de ces concertations. La première d’entre elles,
c’est la mise en place d’un gouvernement de cohésion nationale. Nous
attendons maintenant que le président respecte ses engagements par la
mise en place de ce gouvernement dans les prochaines semaines.
Votre pays a toujours connu des troubles et des conflits armés. Quelle est finalement la solution pour une paix durable?
•
Nous avons aujourd'hui une situation favorable depuis la victoire des
forces armées contre le M-23. Il y a un climat d’entente et de paix sur
l’ensemble du territoire national ; c’est donc un moment tout à fait
particulier dans l’histoire de notre pays, qui n'avait pas connu une
telle accalmie ces 20 dernières années. Le Président de la République
considère que la période du conflit et de la guerre est révolue et qu’il
faut trouver des solutions aux problèmes socio-économiques et
politiques. Notre pays est fragile, il faut maintenant consolider très
rapidement la paix et renforcer l’Etat.
Quand
on parle de fragilité, on pense d'abord aux 30 années de dictature du
président Mobutu qui avaient totalement disloqué l’appareil de l’Etat.
Certes une nation congolaise existait mais l’Etat congolais n’existait
pas, ses capacités régaliennes étaient toutes affaiblies, certaines
pratiquement inexistantes. Cela veut dire que l’armée républicaine, la
police, la justice, la capacité réelle d’un Etat à protéger, à sécuriser
ses concitoyens n’existaient plus.
Aujourd’hui
nous sommes dans une phase de reconstitution de toutes les fonctions
régaliennes de l’Etat congolais, donc c’est une des périodes les plus
importantes de notre pays. Parallèlement à cela, au cours des 10
dernières années, nous avons vécu la plus longue période de stabilité
macroéconomique que notre pays ait jamais connue. Nous avons terminé
l’année 2013 avec 8% de croissance économique, ça veut dire que nous
avons des capacités que nous renforçons progressivement et une stabilité
économique remarquable depuis l'indépendance du pays. Ce sont des
acquis qui nous permettent de passer à beaucoup plus d’exigence
relative au modèle de gouvernance et de démocratie de notre pays.
Au
Burkina Faso, il y a le débat sur la candidature du président Compaoré
en 2015. Si vous aviez un avis à donner sur ce sujet, que diriez-vous?
•
Je l’ai dit dans mon discours au congrès de l'ADF/RDA: tout le monde
scrute attentivement le Burkina Faso. Le chef de l’Etat, le président
Compaoré, ne s’est pas exprimé, il est l’autorité morale de la
majorité. Au sein de cette majorité, certains partisans souhaitent la
révision de l’article 37 et la prolongation du mandat du président du
Faso. Ils considèrent que cela est légitime parce que ce n’est pas une
disposition intangible comme en République démocratique du Congo.
L’article 37 peut être révisé, donc c’est une démarche qui s’inscrit
dans une forme de légalité.
Maintenant
la légalité suffit-elle à un chef d’Etat pour remplir sa fonction
symbolique qui est celle de père de la nation et de guide? Jusqu’à
présent il s’est comporté comme le guide de la nation burkinabè et aussi
comme le grand faiseur de paix dans toute la région. Maintenant, nous
attendons de voir si sa sagesse pourra l’inspirer pour son destin
personnel.
Que
pensez-vous de la position de l'ADF/RDA, qui se réclamait de
l'opposition pendant qu'elle était au gouvernement et soutenait la
candidature de Blaise mais qui est aujourd'hui au sein de la majorité
présidentielle tout en s'opposant au tripatouillage de l'article 37?
•
Là, c’est une caricature, et la presse aime cela. Mon ami Gilbert fait
partie de la majorité. L’autorité morale de cette majorité, c'est Blaise
Compaoré, quand bien même elle refuse d’entrer dans l’arène politique
parce qu’elle est au-dessus des contingences politiciennes. Cette
autorité morale de la majorité ne s’est pas encore exprimée. Une grande
partie de ses partisans demande la révision de l’article 37. En tant que
membre à part entière de la majorité, le président de l’ADF/RDA pense
que cela est totalement inopportun.
Il
est donc dans son rôle. Il représente un courant qui peut être
minoritaire au sein de la majorité, mais il exprime publiquement et de
manière courageuse une voix qui est entendue par la jeunesse du Burkina
Faso et par une grande partie, à mon avis, du peuple, de la classe
politique et de la société civile. Reconnaissons au président Ouédraogo
les vertus de la sincérité et du courage et un caractère bien trempé
parce qu’il faut du caractère pour aller contre une tendance qui peut
paraître majoritaire.
Il
y a dans toute majorité des flatteurs et des courtisans qui sont prêts à
aller à l’extrême pour plaire et séduire, peut-être pour obtenir des
fonctions ou requalifier leur position; d’autres veulent simplement
consolider leurs privilèges. Me Gilbert Ouédraogo n’est pas dans cette
optique ; il s’inscrit directement dans une cohérence qui est celle de
sa famille politique. Lui en tant que libéral et nous en tant que membre
du réseau africain considérons qu’on ne doit pas changer la
Constitution pour rester au pouvoir.
La
loi fondamentale ne doit pas être l’objet de tripatouillage ou de
bricolage, donc je ne pense pas qu’il fasse de l’équilibrisme. Il
respecte une ligne de conduite qu’il s’est tracée. Il est bien entendu
que nous ne devons jamais remettre en cause les acquis chèrement glanés,
et l’histoire de la république montre ici qu’il y a eu nombre de coups
de force, des coups d’Etat et des révisions constitutionnelles.
Aujourd’hui il faut envisager l’avenir du Burkina Faso avec une
alternance apaisée, un passage de témoin démocratique.
Il
y va de la grandeur d’une nation et de son avenir, et je pense que Me
Gilbert s’inscrit dans cette logique. Je ne cesse de le dire : en tant
que libéral, il faut rester ferme sur ce qui n’est pas négociable.
Maintenant, on peut être souple sur les formes, les discussions et les
compromis. Il faut en toute chose cultiver le dialogue et définir la
trajectoire et l’objectif, mais le chemin à emprunter ensemble est plus
important que l’objectif lui-même.
Il
faut désormais faire preuve de compromis, de sagesse pour définir la
route, l’emprunter ensemble, surmonter ensemble les obstacles parce
qu’on ne peut diviser un pays sur une question aussi simple que celle du
destin d’un seul homme. Derrière ça, l’idée de l’intérêt de la nation
doit guider les actions. En politique, comme je l'ai dit, il faut être
ferme, mais il faut savoir trouver les compromis.
Avez-vous d'autres relations dans le landerneau politqiue burkinabè en dehors de Me Gilbert Ouédraogo ?
• J’ai
eu le privilège d’être accueilli ici quand j’étais président de
l’Assemblée nationale de transition par Roch Marc Christian Kaboré, qui
occupait alors le Perchoir. J’avais à l’occasion prononcé un discours
devant les députés burkinabè. J’ai retenu à l’époque un proverbe
burkinabè qui dit que le handicapé qui est au sommet de l’arbre ne peut
jamais oublier la main qui lui a porté secours. Mon pays était
précisément dans un état presque de guerre et de division en dépit du
fait que nous étions dans une période de transition ; nous ne pouvions
oublier l’exemple que représente le Burkina Faso pour nous qui sommes en
Afrique centrale dans un contexte de conflits alors qu’ici on était
dans le libéralisme et la démocratie.
J’ai
également un autre ami de longue date, Zéphirin Diabré, que j’ai invité
à Kinshasa quand il était le numéro 2 du PNUD. Je l’ai non seulement
invité mais après il est revenu régulièrement. Au-delà de mes deux amis
libéraux que sont Me Gilbert et Diabré, qui ont en partage les mêmes
valeurs, j’ai gardé un bon souvenir du président Kaboré, pour qui j’ai
un profond respect.
C’est
le lieu de lancer un appel à tous les acteurs de la scène politique
burkinabè à cultiver le dialogue. Il me tient à cœur d’interpeller la
jeunesse burkinabè et de lui rappeler qu'en politique, certes il faut
être ferme, mais il faut aussi savoir trouver des compromis pour
l’intérêt supérieur de la Nation, et l’intérêt supérieur, c’est la paix
et la sécurité pour tout le monde, c’est le bonheur de ses concitoyens.
Entretien réalisé par
Adama Ouédraogo Damiss