mardi 25 mars 2014

Modification des Constitutions en Afrique : "On ne peut pas diviser un pays pour le destin d'un seul homme"





En séjour à Ouagadougou, l'ancien bras droit de Jean-Pierre Bemba et ex-président de l'Assemblée nationale de transition de la République Démocratique du Congo (RDC), Olivier Kamitatu Etsu,  dans cet entretien, parle de la situation sociopolitique de son pays et apprécie le débat en cours en ce moment  sur la candidature de Blaise Compaoré à la présidentielle de 2015.
On ne peut pas dire que nos lecteurs vous connaissent très bien. Peuvent-ils faire plus ample connaissance avec vous ?

• Je m’appelle Olivier  Kamitatu Etsu. Je suis le président du Réseau libéral africain. Je suis également  le président d’un parti, l’Alliance pour le Renouveau du Congo (ARC), qui est dans la majorité avec 15 députés, 5 sénateurs et 1 membre du  gouvernement. A titre personnel, j’ai présidé l’Assemblée nationale de transition qui a abouti aux élections de 2006, les premières élections démocratiques et transparentes en République Démocratique du Congo. Après ce scrutin, j’ai été nommé ministre du Plan, et j’ai occupé cette fonction pendant 5 ans dans les gouvernements qui se sont succédé de 2006 à 2012. Avant et pendant la transition, j’étais le n°2 du Mouvement de libération du Congo (MLC) de Jean Pierre Bemba. J’étais chargé de la branche politique du MLC et j’ai participé activement à ce titre  à tous les accords de paix.
Dans quel cadre séjournez-vous au Burkina?
• Je suis venu ici en tant que président du Réseau libéral africain,  qui regroupe aujourd’hui 34 partis politiques dans 25 pays. Le secrétariat de ce réseau est basé à Cape Town en Afrique du Sud. Nous disposons d’un comité exécutif que je préside, assisté de 5 vice-présidents. L’un d'eux est Me Gilbert Noël Ouédraogo de l'ADF/RDA pour l’Afrique de l’Ouest.
Notre réseau a pour vocation d’assister  tous  les partis libéraux africains qui veulent, bien entendu, accéder au pouvoir. Les deux patrons de notre mouvement sont  : le président  Alassane Ouattara, qui est le premier des libéraux africains sur le continent, et    Hélène Zile, qui est la chef de l’exécutif de la province de Western Cape et ancienne maire de Cape Town.

Votre organisation est également un cadre pour homme politique pour se faire un réseau et un carnet d'adresses surtout que l'objectif d'un parti politique, c'est la conquête du pouvoir.
C’est avant tout une organisation. Un réseau c’est en même temps un network à la britannique ; ça veut dire que nous avons un carnet d’adresses,  et tous les membres doivent en bénéficier. C’est un lieu de rencontres, d’échanges  d’expériences, un lieu de solidarité, et c’est à ce titre d’ailleurs que je suis ici au Burkina Faso pour exprimer la solidarité, l’appui et le soutien au président de l’ADF/RDA, Me Gilbert Noël Ouédraogo. Nous avons vocation à constituer non seulement un réseau, un carnet d’adresses mais également à appuyer la formation des cadres de nos partis politiques. Dans cette  mission de formation, nous sommes assistés par deux grandes organisations : la Fondation Friedrich  Neumann pour la liberté et la Fondation Westminster. Il faut savoir que ces deux fondations sont d’obédience libérale et que nous voulons promouvoir cette idéologie par l’action  politique à travers tout le continent.

Vous vous êtes séparé de votre ancien mentor, Jean-Pierre Bemba. Est-ce parce qu'il est devenu gênant du fait de ses déboires judiciaires?

• Jean-Pierre Bemba est un ami d’enfance. Nous avons cheminé ensemble parce que nous avions une même vision de la lutte et de l’engagement contre la dictature et l’oppression exercée par Laurent Désiré Kabila,   qui avait pris le pouvoir par les armes. Nous avons travaillé étroitement à faire valoir notre vision pour un nouvel ordre politique en République Démocratique du Congo, pour l’organisation d'élections libres et transparentes. Pour ce qui est de cette mission, nous avons largement réussi dans notre combat; quant à la mise en œuvre d’une  vision d’avenir en 2006, nous ne partagions pas les mêmes objectifs ni la même manière de diriger un parti politique.
J'ai jugé utile de prendre ma route, de créer mon propre parti , qui est entré dans l’International libéral, et de suivre la voie  qui me semble la meilleure. Je me refuse à toute forme de  partis patrimoniaux. Je considère que les partis sont les lieux d’accès au pouvoir, c’est également des lieux d’échanges et que la personnalité d’un chef  à la tête d’un parti doit être à la fois empreinte d’autorité  et de capacités d’écoute et de démocratie. _Quant  aux démêlés judiciaires de Jean-Pierre Bemba du fait de son arrestation par la CPI en 2006, personne ne pouvait imaginer qu’un jour ce destin tragique pourrait lui arriver.

Estimez-vous que  votre ami est coupable des faits qui lui sont reprochés?

• Le dossier est pendant devant la Cour pénale internationale ; ça veut dire que je n’ai pas à estimer si Jean-Pierre Bemba est coupable ou non. Ce sont les juges de la CPI qui devront statuer sur cette question. Tout ce qu’on peut dire, c’est qu’il y a énormément de mes compatriotes qui sont arrêtés au niveau de la Cour pénale internationale, et la République Démocratique du Congo paye un lourd tribut à cette juridiction internationale. Tout ce que j’espère est que le droit soit dit en toute indépendance et qu’il ne soit pas l'otage  de considérations politiques.  Nous nous soumettrons ainsi  à ce que les juges et le procureur décideront.

Le ministre de la Communication, porte-parole du gouvernement, Lambert Mende Omalanga, a annoncé récemment que Jospeh Kabila allait respecter la Constitution et ne se présenterait donc pas à la présidentielle de 2016. Croyez-vous vraiment à cette déclaration?
• Dans mon parcours politique, j’ai été le président de l’Assemblée nationale de transition. J'ai eu à participer activement à l’élaboration de la Constitution de mon  pays,  j’en suis donc l’un des pères. Dans cette loi fondamentale, l’article 220 dispose qu’on ne peut remettre en question  la durée et le nombre de mandats du président de la République. C’est donc une des dispositions intangibles de notre Constitution, adoptée par le peuple congolais par référendum en janvier 2006 à plus de 85%.
Aujourd’hui, le chef de l'Etat sait très bien que le peuple congolais s’est exprimé, que cette question ne peut même plus être posée. Ça veut dire qu’il n’est pas question d’un référendum sur l’article 220. Il n’est pas question non plus pour Joseph Kabila de tenter de toucher à quoi que se soit. Je pense que le porte-parole du gouvernement s'est exprimé pour rassurer l'opinion publique et calmer le climat politique. Sinon, ça coule de source, mais ça peut rassurer parce qu’on voit dans d’autres pays qu'on peut parfois tordre le cou à certaines dispositions constitutionnelles quand bien même elles ont été adoptées par les populations.

On parle d'un gouvernement d'union nationale en RDC. Qu'est-ce qui explique cette volonté d'ouverture de la part d'un Kabila dont l'élection a été qualifiée de hold-up?

• Cette ouverture n’est pas un fait totalement improvisé. Le président de la République en avait déjà évoqué l'idée. Il prônait la concertation parce qu’il était critiqué par l’opposition, qui le tenait pour responsable de tous les maux de la RDC.  Vous  savez également que  des mouvements d’insurrection sont apparus dans l’est du pays, notamment le M-23 qui contrôlait la ville de Goma et qui a commis énormément d’exactions. La lutte armée qui s’est engagée par la suite a été très violente.  Le M-23 était soutenu et parrainé par des  voisins qui ont d'ailleurs été dénoncés par un rapport assez explicite des Nations unies.
En ce sens, le chef de l’Etat voulait  absolument renforcer la cohésion nationale face à cette menace  pour l’avenir du pays. Donc il fallait que le président Kabila, dont la légitimité a été mise en cause à l'issue des élections, pose des actes allant dans le sens  du raffermissement des liens entre les fils et les filles du Congo. Il y a eu à cet effet des concertations devant aboutir à la cohésion nationale. C’est une logique qu’il a poursuivie tout au long de l’année 2013 au-delà de la contestation issues des urnes en 2011, que tout le monde connaît. Cette protestation, vous vous en êtes fait l'écho largement.
Ces concertations ont abouti à plus de 600 recommandations entre l’opposition et la majorité. Nous avons salué le fait qu’elles ont eu  lieu et que les deux parties ont dressé un diagnostic de la situation, qui est sévère. Le chef de l’Etat, dans un message à la nation et dans un discours devant le congrès, en  a pris note et  a accepté toutes les recommandations issues de ces concertations. La première d’entre elles, c’est la mise en place d’un gouvernement de  cohésion nationale. Nous attendons maintenant que le président respecte  ses engagements par la  mise en place de  ce gouvernement dans les prochaines semaines.

Votre pays a toujours connu des troubles et des conflits armés. Quelle est finalement la solution pour une paix durable?
• Nous avons aujourd'hui une situation favorable  depuis la victoire des forces armées contre le M-23. Il y a un climat d’entente et de paix sur l’ensemble  du territoire national ; c’est donc un moment tout à fait particulier dans l’histoire de notre pays, qui n'avait pas connu une telle accalmie ces 20 dernières années. Le Président de la République considère que la période du conflit et de la guerre est révolue et qu’il faut trouver des solutions aux problèmes  socio-économiques et politiques. Notre pays est fragile, il faut maintenant consolider très rapidement la paix et renforcer l’Etat.
Quand on parle de fragilité, on pense d'abord aux  30 années de dictature du président Mobutu qui  avaient totalement disloqué l’appareil de l’Etat. Certes une nation congolaise existait mais l’Etat congolais n’existait pas, ses capacités régaliennes étaient toutes affaiblies, certaines pratiquement inexistantes. Cela veut dire que l’armée républicaine, la police, la justice, la capacité réelle d’un Etat à protéger, à sécuriser ses concitoyens n’existaient plus.
Aujourd’hui nous sommes dans une phase de reconstitution de toutes les fonctions régaliennes de l’Etat congolais, donc c’est une des périodes les plus importantes de notre pays. Parallèlement à cela, au cours des 10 dernières années, nous avons vécu la plus longue période de stabilité macroéconomique que notre pays ait jamais connue. Nous avons terminé  l’année 2013 avec 8% de croissance économique, ça veut dire que  nous avons des capacités que nous renforçons progressivement et une stabilité économique remarquable depuis l'indépendance du pays. Ce sont des acquis qui nous permettent  de passer à beaucoup plus d’exigence relative au modèle de gouvernance et de démocratie de notre pays.

Au Burkina Faso, il y a le débat sur la candidature du président Compaoré en 2015. Si vous aviez un avis à donner sur ce sujet, que diriez-vous?

• Je l’ai dit dans mon discours au congrès de l'ADF/RDA: tout le monde scrute attentivement le Burkina Faso. Le chef de l’Etat, le président Compaoré, ne s’est pas  exprimé, il est l’autorité morale de la majorité. Au sein de cette majorité, certains partisans souhaitent la révision de l’article 37 et la prolongation du mandat  du président du Faso. Ils considèrent que cela est légitime  parce que ce n’est pas une disposition intangible comme en République démocratique du Congo. L’article 37 peut être révisé,  donc c’est une démarche qui s’inscrit dans une forme de légalité.
Maintenant la légalité suffit-elle à un chef d’Etat pour remplir sa fonction symbolique qui est celle de père de la nation et de guide? Jusqu’à présent il s’est comporté comme le guide de la nation burkinabè et aussi comme le grand faiseur de paix dans toute la région. Maintenant, nous  attendons de voir si sa sagesse pourra l’inspirer pour son destin personnel.

Que pensez-vous de la position de l'ADF/RDA, qui se réclamait de l'opposition pendant qu'elle était au gouvernement et  soutenait la candidature de Blaise mais qui est aujourd'hui au sein de la majorité présidentielle tout en s'opposant au tripatouillage de l'article 37?

• Là, c’est une caricature, et la presse aime cela. Mon ami Gilbert fait partie de la majorité. L’autorité morale de cette majorité, c'est Blaise Compaoré, quand bien même elle refuse d’entrer dans  l’arène politique parce qu’elle est au-dessus des contingences  politiciennes. Cette autorité morale de la majorité ne s’est pas encore exprimée. Une grande partie de ses partisans demande la révision de l’article 37. En tant que membre à part entière de la majorité, le président de l’ADF/RDA pense que cela est totalement inopportun.
Il est donc  dans son rôle. Il représente un courant qui peut être minoritaire au sein de la majorité, mais il exprime publiquement et de manière courageuse une voix qui est entendue par la jeunesse du Burkina Faso et par une grande partie, à mon avis, du peuple, de la classe politique et de la société civile. Reconnaissons au président Ouédraogo les vertus de la sincérité et du courage et un caractère bien trempé parce qu’il faut du caractère pour aller contre une tendance qui peut paraître majoritaire.
Il y a dans toute majorité des flatteurs et des courtisans qui sont prêts à aller à l’extrême pour plaire et séduire,  peut-être pour obtenir des fonctions ou requalifier leur position; d’autres veulent simplement consolider leurs privilèges. Me Gilbert Ouédraogo n’est pas dans cette optique ; il s’inscrit directement dans une cohérence qui est celle de sa famille politique. Lui en tant que libéral et nous en tant que membre du réseau africain considérons qu’on ne doit pas changer la Constitution pour rester au pouvoir.
La loi fondamentale ne doit pas être  l’objet de tripatouillage ou de bricolage, donc je ne pense pas qu’il fasse de l’équilibrisme. Il respecte une ligne de conduite qu’il s’est tracée. Il est bien entendu que nous ne devons jamais remettre en cause les acquis chèrement glanés, et l’histoire de la république montre ici qu’il y a eu nombre de coups de force, des coups d’Etat et des révisions constitutionnelles. Aujourd’hui il faut envisager l’avenir du Burkina Faso avec une alternance apaisée, un passage de témoin démocratique.
Il y va  de la grandeur d’une nation et de son avenir, et je pense que  Me Gilbert s’inscrit dans cette logique. Je ne cesse de le dire : en tant que libéral, il faut rester ferme sur ce qui n’est pas négociable. Maintenant, on peut être souple sur les formes, les discussions et  les compromis. Il faut en toute chose cultiver le dialogue et définir la trajectoire et l’objectif, mais  le chemin à emprunter ensemble est plus important que l’objectif lui-même.
Il faut désormais faire preuve de compromis, de sagesse pour définir la route, l’emprunter ensemble, surmonter ensemble les obstacles parce qu’on ne peut diviser un pays sur une question aussi simple que celle du destin d’un seul homme.  Derrière ça, l’idée de l’intérêt de la nation doit guider les actions. En  politique, comme je l'ai dit, il faut être ferme, mais il faut savoir trouver les compromis.
Avez-vous d'autres relations dans le landerneau politqiue burkinabè en dehors de Me Gilbert Ouédraogo ?
• J’ai eu le privilège d’être accueilli ici quand j’étais président de l’Assemblée nationale de transition par Roch Marc Christian Kaboré, qui occupait alors le Perchoir. J’avais à l’occasion prononcé un discours devant les députés burkinabè. J’ai retenu à l’époque  un proverbe burkinabè qui dit que le handicapé qui est au sommet de l’arbre ne peut jamais oublier la main qui lui a porté secours. Mon pays était précisément dans un état presque de guerre et de division en dépit du fait que nous étions dans une période de transition ; nous ne pouvions oublier l’exemple que représente le Burkina Faso pour nous qui sommes en Afrique centrale dans un contexte de conflits alors qu’ici on était dans le libéralisme et la démocratie.
J’ai également un autre ami de longue date, Zéphirin Diabré, que j’ai invité à Kinshasa quand il était le numéro 2 du PNUD. Je l’ai non seulement invité mais après il est revenu régulièrement.  Au-delà de mes deux amis libéraux que sont  Me Gilbert et  Diabré, qui ont en partage les mêmes valeurs, j’ai gardé un bon souvenir du président Kaboré, pour qui j’ai un profond respect.
C’est le lieu de lancer un appel à tous les acteurs de la scène politique burkinabè à cultiver le dialogue. Il me tient à cœur d’interpeller la jeunesse burkinabè et de lui rappeler qu'en politique, certes il faut être ferme, mais il faut aussi savoir trouver des compromis pour l’intérêt supérieur de la Nation, et l’intérêt supérieur, c’est la paix et la sécurité pour tout le monde, c’est le bonheur de ses  concitoyens.

Entretien réalisé par
Adama Ouédraogo Damiss

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