vendredi 20 avril 2012
Elections truquées et situation chaotique en RDC - interview du président de l'UNIR MN
(Congo Indépendant 20/04/2012)
Juriste de formation, 51 ans, président du parti UNIR-MN (Union pour la République/Mouvement National), Frédéric Boyenga Bofala a été donné pour «mort» au lendemain de l’explosion de la poudrière de Mpila au Congo Brazzaville. Dans un entretien à bâtons-rompus, Boyenga commente non seulement la nouvelle de son «décès» mais aussi l’évolution de la situation politique au Congo-Kinshasa après l’élection présidentielle et les législatives du 28 novembre 2011. Pour le président de l’UNIR-MN, «il faut renverser le régime en place à Kinshasa» confomément à l’article 64 de la Constitution. Selon lui, la «stratégie» menée par Etienne Tshisekedi wa Mulumba, leader de l’UDPS, a peu de chance d’aboutir.
Comment allez-vous ?
Comme vous pouvez le constater, je me porte bien !
Un humoriste aurait dit que vous êtes un «mort» qui se porte bien puisque votre «décès» a été annoncé sur le «Net» au lendemain des explosions survenues à Brazzaville…
Avant de répondre à votre question, je tiens à m’incliner devant la mémoire des victimes de ce tragique évènement. Ce drame a affecté les Congolais de Brazzaville bien sûr mais aussi certains de nos compatriotes. J’ai une pensée pour les familles endeuillées. Pour répondre à votre question, je constate que ce n’est pas la première fois qu’on raconte des «histoires» sur mon compte. Il est assez surprenant que d’aucuns s’occupent de mon «sort» au moment où notre pays vit une véritable tragédie.
«Il n’y a pas de fumée sans feu», dit un adage. Qui, selon vous, aurait intérêt à propager ce genre de «ragot» à votre sujet?
Ma réponse est simple : ceux qui me redoutent et veulent me déstabiliser.
En rapport avec les explosions de Brazzaville, les internautes ont fait allusion à vos "contacts" avec des éléments des ex-Forces armées zaïroises refugiés au Congo-Brazzaville. Qu’en est-il exactement ?
Je peux avouer que depuis 2004, mon parti entretient des «relations privilégiées» avec certains groupes des militaires ex-Faz de Brazzaville mais aussi d’ailleurs. C’est un secret de Polichinelle dans la mesure où certains d’entre eux avaient fait une déclaration solennelle à ce sujet.
Votre silence après l’annonce de votre «décès» avait surpris. Que répondez-vous à ceux qui pourraient vous suspecter d’avoir lancé vous-même cette «annonce» afin qu’on parle de vous ?
C’est une hypothèse qui relève de la psychiatrie. Chez nous les Bantous, la mort est un sujet tabou. Il incombe à l’auteur de ce «ragot» de répondre à votre interrogation. C’est le lieu d’attirer l’attention de mes compatriotes sur les informations postées sur Internet. Les infractions commises via le «Net» sont aujourd’hui réprimées. Il est aujourd’hui aisé de suivre la trace d’un message jusqu’à localiser son émetteur. Je n’ai pas réagi pour la simple raison qu’en m’engageant en politique, je m’attendais à recevoir des «coups». Revenons à Brazzaville. Il me semble que des gens «bien informés» me suivaient à la trace. Le quartier où j’ai l’habitude de résider à Brazzaville a été entièrement détruit. Ces «gens là» imaginaient sans doute que je me trouvais sur le lieu au moment des déflagrations et que je ne pouvais réchapper.
Comment se porte votre parti ?
Notre parti se porte bien ! A preuve, ce dernier ouvrage «Au nom du Congo-Zaïre et de son peuple» que je viens de publier. Nos propositions y sont détaillées. La sortie de cet ouvrage a coïncidé malheureusement avec la mort à Bruxelles du 2ème vice-président Antoine Nakofio Modwale. Il avait en charge les questions économiques. Je tiens à saluer sa mémoire. Je vous dirai que notre formation se porte bien dans sa singularité. Je sais que mon silence est perçu comme un signe d’inaction.
Il est vrai que l’opposition est jugée sur son discours, les gouvernants le sont sur leurs réalisations…
Je vous ai toujours dit que l’UNIR-MN ne fait pas partie de l’opposition.
Je viens de l’apprendre …
Notre formation politique ne se reconnaît nullement en cette opposition qui se livre à un petit jeu avec la «majorité» en place. L’UNIR-MN fait partie de la «Résistance». Dans l’ouvrage précité, je donne ma vision sur l’avenir du Congo. C’est un message que j’adresse au peuple congolais.
A la page 70 de votre livre, il est écrit : «Le renversement de ce régime irresponsable au Congo est la meilleure chose qu’on peut offrir au peuple congolais aujourd’hui. Mais ne pas apporter des solutions immédiates et urgentes aux graves économiques et sociaux que vivent ces populations au quotidien serait la pire de chose qu’elle redoute ouvrant ipso facto la voie à l’échec et à la méfiance à ce changement voulu et souhaiter de tout leur cœur». Question : Comment envisagez-vous de renverser ce «régime irresponsable»?
Avant la tenue des élections, j’avais mis les forces de l’opposition en garde sur le risque d’aller aux élections de "manière inconsidérée". Il fallait prendre le temps de la «réflexion structurée» pour mettre en place une véritable stratégie d’action pour amorcer le Changement. On ne pouvait pas aller aux élections avant de mettre sur pied une véritable «résistance armée». Et ce pour la simple raison que les résultats des consultations politiques étaient connus d’avance. Personne ne m’a écouté…
Cela fait bientôt quinze ans qu’on parle d’une hypothétique «résistance armée»…
Je ne suis pas d’accord avec vous. La situation actuelle est différente de celle qui prévalait à l’époque de l’AFDL (Ndlr : Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo). L’AFDL a été initiée par la «communauté internationale» pour abattre le régime du président Mobutu. Je peux vous assurer qu’aucune opposition armée ne pourrait voir le jour au Congo sans un dialogue préalable avec le «monde extérieur». Il faut un «dialogue structuré» qui clarifie les objectifs. Pour ce faire, les Congolais doivent s’organiser. Ils doivent se rassembler…
Qui doit rassembler qui ?
Il vous souviendra que notre parti avait organisé une conférence à Bruxelles avec la participation de la sénatrice Cynthia Mc Kinney et du journaliste Charles Onana. A l’issue de cette rencontre, j’avais approché les responsables de l’UREC d’Oscar Kashala. Le secrétaire général de l’UNIR-MN avait pris langue avec les représentants de l’UDPS. Il y a eu des discussions avec M. Félix Tshisekedi Tshilombo. J’ai dit à mes interlocuteurs que les élections au Congo ne se gagnent pas dans les urnes. Elles se gagnent par des manipulations informatiques.
On ne va pas refaire l’histoire…
Certes, on ne va pas refaire l’Histoire mais nous ne pouvons pas ignorer l’Histoire. Il n’est pas trop tard. Les signaux là ! Que voit-on ? Nous voyons un président qui se dit «élu» et dont la cérémonie d’investiture a été désertée par ses pairs. A l’exception du Zimbabwéen Robert Mugabe. Ces derniers temps, des rapports accablants sur la la violence et la fraude électorale au Congo se suivent. Le cinéaste belge Thierry Michel vient de nous donner une sorte de «bonus» avec le film-documentaire sur l’assassinat de Floribert Chebeya et Fidèle Bazana.
Comment expliquez-vous l’indolence ambiante ?
Cette situation est due au fait que l’homme congolais est émotif. Les Congolais aiment les «mythes» et les «légendes». Un jour, on entend dire : «Nous sommes tous derrière tel leader». Est-on sûr que cette personne dispose de moyens de sa politique pour renverser le système en place ? Je peux vous dire que le passage que vous avez épinglé à la page 70 de mon ouvrage a toute sa signification.
Sauf que vous ne dites rien sur le modus opérandi…
C’est à nous à «nous organiser». Je suis seul avec mon parti.
Etes-vous entrain de dire que l’opposition congolaise est incapable de se rassembler ?
Effectivement! La cause de cette incapacité à s’unir se situe au niveau de certains leaders dits «charismatiques». C’est ainsi que j’estime que les Congolais doivent faire une autre lecture de l’Histoire de leur pays. Nous devons arrêter de nous accrocher à des «mythes» et autres «légendes» pour identifier «l’équipe qui peut gagner» ; l’homme qui peut nous conduire à la victoire.
A propos de "mythes", faites-vous allusion à Etienne Tshisekedi wa Mulumba ?
Je ne cite personne. Je suis simplement entrain de constater certaines faiblesses qui affectent les forces de l’opposition. Tout en saluant le courage de M. Tshisekedi, je considère qu’il faut parfois se dire des vérités lorsque certaines choses ne marchent pas au sein de la «famille». Vous avez suivi autant que moi la ferveur suscitée au sein de la population congolaise tant à l’intérieur qu’à l’extérieur lorsque M. Tshisekedi s’est proclamé «Président élu».
Si vous étiez en face d’Etienne Tshisekedi, que lui diriez-vous?
Je lui dirai avec tout le respect que je lui dois que sa stratégie a peu de chance d’aboutir. Dès lors, qu’il a constaté les fraudes et les irrégularités, il aurait dû réagir. La population a attendu en vain le «mot d’ordre» pour renverser le régime en place. D’ailleurs, l’article 64 de la Constitution confère cette prérogative aux citoyens congolais. Il n’y a que M. Tshisekedi qui pouvait donner cette "instruction" en vertu de sa «légitimité morale».
Depuis près de cinq mois, Etienne Tshisekedi est assignée à résidence de facto sans que personne ne bouge à Kinshasa. Devrait-on parler d’un problème de rapports de force en défaveur de l’opposition ?
J’ai plutôt le sentiment que l’opposition ne veut pas renverser les rapports de force. En 2006, les élections étaient entachées de fraudes et irrégularités. A l’époque, la «communauté internationale» n’avait pas bronché. Aujourd’hui, elle dénonce des graves dysfonctionnements et des violations des droits humains. Tout indique donc que la donne a changé. Que fait l’opposition congolaise ?
Devrait-on paraphraser l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo qui disait lors de la dernière élection présidentielle en Côte d’Ivoire qu’«il n’y a rien en face»?
Je ne suis pas loin de paraphraser Laurent Gbagbo. Avant et après les élections, les Congolais n’hésitaient pas à manifester leur mécontentement. On a assisté à des "démonstrations" même ici en Europe. Vous le savez autant que moi que plusieurs compatriotes ont payé de leurs vies au Congo. Voilà pourquoi la population attendait un «message politique». Un mot d’ordre.
Selon vous donc, le Congo-Kinshasa est dirigé par un pouvoir illégitime qui se maintient par la force. Ma question est simple : Que faire ?
J’ai déjà fait des propositions à l’UDPS. Vous comprendrez que je m’abstienne à étaler nos stratégies et actions futures dans un organe de presse…
Plusieurs opposants tiennent ce même discours…
Que faire après les fraudes massives constatées lors des élections du 28 novembre? Ma réponse est simple : il faut renverser le régime en place à Kinshasa. J’ai tendu la main au président de l’UDPS.
Selon vous, les députés élus de l’opposition doivent-ils oui ou non siéger à l’Assemblée nationale ?
C’est encore un problème d’absence de stratégie. Comment pourrait-on reprocher à certains élus de siéger à l’Assemblée nationale lorsqu’ils disent avoir battu campagne avec leurs propres moyens financiers ?
L’UDPS a décidé d’exclure ses députés qui siègent à la Chambre basse. Quelle est votre réaction ?
Je vous répondrai par une autre question : pourquoi, sommes-nous allés aux élections ? Que peut-on reprocher à ces élus lorsque l’ensemble de la population congolaise qui s’oppose au régime attend désespérément le «mot d’ordre» du Président élu? Je ne suis pas entrain d’accabler le président Tshisekedi. Je ne fais que dire la vérité. Je sais que les personnalités de l’opposition qui siègent à la Chambre basse seront traitées de «collabos», selon la formule désormais consacrée. Je peux vous assurer que les membres de l’UNIR-MN n’auraient pas siégé à l’Assemblée nationale. Il est temps que nous arrêtions de chercher ailleurs les responsables de nos «malheurs». Nous avons un grosse part de responsabilité dans la situation difficile que traverse notre pays. Il me semble que l’heure de l’autocritique est arrivée pour corriger nos erreurs.
Quelles sont, selon vous, les erreurs commises ?
L’exclusion constitue, à mes yeux, la plus grosse erreur. Il reste que j’ai fait le pas en tendant ma main. Cette main ne restera pas tendue éternellement.
S’il vous était donné de rencontrer «Joseph Kabila», que lui diriez-vous ?
Une telle rencontre est inenvisageable : il n’y a en réalité rien à dire à Joseph Kabila car «son régime est néfaste pour le Congo».
Vous avez connu personnellement Floribert Chebeya. Comment avez-vous accueilli la nouvelle de sa mort ?
Dans mon ouvrage, je rends hommage à mon ami Chebeya. C’est vous d’ailleurs qui me l’avez présenté. Depuis notre premier contact, nous étions restés très proches. Nous devrions d’ailleurs nous rencontrer à Brazzaville. Hélas ! J’ai écrit dans mon livre que je porte un deuil pour les militaires zaïrois tués par le régime de Kinshasa en 2003 parce qu’ils se réclamaient de l’UNIR-MN. Aujourd’hui, je porte aussi un deuil pour Floribert Chebeya. Je vous révèle Qu’Armand Tungulu Mudiandambu militait dans notre parti. La veuve Tungulu le sait. Je peux vous dire que ceux qui ont une part de responsabilité dans la mort de Chebeya, Tungulu et autre Fidèle Bazana devront un jour rendre des comptes. Ces crimes ne resteront pas impunis.
Le ministre congolais de la Justice Emmanuel Luzolo Bambi Lessa a écrit à la Commission de censure pour interdire la projection du film-documentaire au Congo. Quelle est votre commentaire ?
Je dis simplement à ceux qui avaient prétendu à l’époque que «Joseph Kabila représente l’espoir pour le Congo» de réviser leurs souvenirs. Lorsque le régime Mobutu a été renversé en mai 1997, nombreux sont les Congolais qui espéraient assister à l’avènement d’un ordre politique totalement différent au plan qualitatif. Quinze années après, c’est la désillusion. Le Congo est devenu une terre sans maître. Cette situation est malheureusement «encouragée» par les Congolais eux-mêmes.
Comment ça ?
Qui sont les personnes qui gravitent autour de Joseph Kabila ? Des Rwandais ? Les Premiers ministres successifs et les présidents des deux Chambres du Parlement seraient-ils des Rwandais ? Comment expliquer qu’un pays comme le Rwanda puisse régenter les affaires d’un pays de la dimension du Congo s’il n’avait pas trouvé un «esprit macabre» au sein de notre peuple? Les Congolais font preuve d’un inquiétant «fainéantisme d’esprit». A ce rythme, il n’est pas exclu qu’un Chinois devienne un jour président de la RD Congo. Certains trouveront les mots pour dire : «Tomesene na ye, Avandi na biso banda kala !». Traduction : «Nous le connaissons bien. Il a toujours vécu parmi nous …». Encore une fois, je regrette que notre peuple préfère les «mythes» et les «légendes». Sans forfanterie, je peux vous dire que rien ne sera fait sans l’apport de l’UNIR-MN.
L’actualité congolaise est focalisée sur les hésitations de «Joseph Kabila» à transférer Bosco Ntaganda à la CPI à La Haye. Quelle est votre lecture de cette affaire ?
Je constate que l’étau se resserre autour de Bosco Ntaganda. Je dois vous avouer que j’ai été choqué par un message envoyé par un groupuscule parlant au nom des «Banyamulenge». Je considère que les signataires de ce document ne sont pas représentatifs de cette «communauté». Si ce groupe cherche à rejeter les incriminations articulées à l’encontre de «Bosco», il doit le faire sur le fond du dossier et non en s’appuyant sur l’appartenance ethnique. Les Congolais doivent savoir que les «Banyamulenge» ne font pas partie d’une ethnie minoritaire. Il n’y a pas de tribu majoritaire au Congo. Que dira-t-on si demain les membres de l’ethnie à laquelle appartient Thomas Lubanga faisait de même ? Je ne suis pas sensible à la «victimisation» des membres de la communauté tutsie. Bosco Ntaganda est un présumé criminel qui doit être entendu par la justice internationale. Pourquoi les Congolais doivent-ils se plier devant les caprices de ceux qui se disent
«Banyamulenge» parce qu’ils bénéficient du soutien d’un Etat qui fait du tort au Congo? Ceux qui pensent qu’ils pourront obtenir la balkanisation du Congo pour former des micro Etats se trompent énormément…
Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi
Interview Congoindependant - 18 Avril 2012
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