Episode VIII : le 10 octobre 1960, la "neutralisation
effective" de Lumumba
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Depuis le coup de force de Mobutu mi-septembre, Patrice Lumumba invoquant les menaces et les risques portant sur sa vie a obtenu une protection des soldats de l'ONUC. Mais cette protection selon le général Rikhye (Inde) "ne lui était accordée que lorsqu'il était à son domicile. M. Lumumba savait parfaitement que cette protection ne s'étendait pas au-delà de sa maison ; les limites en étaient bien déterminées" ( Luc de Vos et collaborateurs, Les secrets de l'Affaire Lumumba , p. 255). De fait Lumumba savait qu'il était exposé lors de ses mouvements à Léopoldville où les soldats de Mobutu cherchaient à l'arrêter. Une tentative d'arrestation avait avorté début octobre suite à un meeting de Lumumba. Mais cette fois-ci le grenouillage des autorités belges presse Mobutu de "neutraliser effectivement" Lumumba selon les termes du ministre belge des Affaires africaines d'Aspremont Lynden (Ludo de Witte, L'Assassinat de Lumumba, Edition Karthala, p.77). Le lieutenant-colonel Louis Marlière conseiller belge de Mobutu écrit dans un télex à son compatriote le 5 octobre 1960, le major Jules Loos responsable de l'encadrement de la gendarmerie katangaise et de la supervision de l'assistance technique militaire à l'ANC de Mobutu :
Le 10 octobre 1960, Mobutu à l'aide de deux cents soldats venus de Thysville "pose un acte d'autorité" et tente de capturer Lumumba à son domicile. Mais les soldats africains de l'ONUC qui protègent la résidence de Lumumba refusent de céder et le général Keittani fait renforcer son dispositif autour de la résidence. S'en suit un bras de fer entre les autorités illégitimes de Léopoldville (Kasa Vubu-Mobutu-Bomboko) et l'ONUC. Le 11 octobre, Justin Bomboko lance un ultimatum à l'ONU pour remettre Lumumba à l'ANC de Mobutu mais l'ONU ne cède pas. Dès lors à partir du 13 octobre les soldats de l'ANC de Mobutu vont camper autour de la résidence. Lumumba se retrouve "neutraliser effectivement" dans sa résidence protégé par un cordon de sécurité de l'ONUC tandis que les soldats de Mobutu derrière le cordon de l'ONU encerclent la résidence afin de le capturer. Cette assignation à résidence protégée par l'ONU contribue aussi à favoriser l'élimination politique de Lumumba du paysage congolais. Lumumba est dès lors isolé, privé de contact politique avec les parlementaires et la population congolaise, il est d'autres part menacé comme l'atteste le général Rikhye (ONU, Inde). Ce dernier ordonne aux soldats africains de l'ONUC autour de la résidence de s'assurer que les personnes cherchant à entrer "ne portaient pas d'armes, de couteaux, d'épées, de bombe ou de tout autre objet similaire et d'éviter ainsi que M. Lumumba ne courre un danger personnel". (ibid, p.257). De fait les Belges, la CIA complotent pour asssassiner Lumumba alors qu'il est bloqué dans sa résidence. Ainsi un télex émanant d'André Lahaye agent de renseignements de la Sûreté de l'Etat belge en date du 11 octobre 1960 évoque un projet d'assassinat.
Une tentative d'assassinat avait été envisagée par la Sureté belge en contact étroit avec les milieux d'extrême droite belge et le gouvernement Mobutu comme l'atteste un document exhumé par Luc de Vos et coll (ibid, p. 236) :
"Le fameux Jo est un journaliste qui avait dirigé l'hebdomadaire Europe Magazine, un organe d'extrême droite qui auparavant s'appelait Europe-Amérique", selon Luc de Vos et coll. (ibid, p.237). Un officier belge, Paul Heureux, l'accuse de lui avoir remis une mitraillette, deux millions de francs et la mission d'engager un tueur pour assassiner Lumumba. Mais la tentative échouera, le fameux "Georges" partira avec la somme de 40.000 francs et ne réapparaitra pas. Il y avait une collusion étroite entre les hommes de Mobutu, les milieux d'extrême droite belge et les réseaux anticommunistes états-uniens comme l'atteste Ludo de Witte dans une interview :
Ces réseaux Gladio (Le réseau Gladio et la démocratie confisquée, Amnistia.net) font partie de ces réseaux d'ingérence américains ou stay-behind (Stay-behind : les réseaux d'ingérence américains, Réseau Voltaire, 20.08.2001) mis en place au lendemain de la seconde guerre mondiale pour lutter contre le communisme, il s'agit de réseaux transatlantiques très proche des milieux d'extrême droite. Ainsi les tentatives d'assassinat à l'encontre de Lumumba sont envisagées en articulation étroite avec le gouvernement belge, les services secrets belges, d'anciens colons, des réseaux d'extrême droite et d'ingérence US, la CIA et le gouvernement néocolonial congolais. Sean Kelly dans America's Tyrant. The CIA and Mobutu of Zaïre révèle que "la CIA essayait de l'assassiner (Lumumba, ndlr) ou de s'en saisir pour le livrer à ses adversaires congolais" (cité par Luc de Vos, ibid, p.257). La CIA planifie l'empoisonnement de Lumumba à partir d'un poison confectionné par un chef scientifique de la CIA Sydney Gotlieb qu'il apportera lui même au Congo (Ludo de Witte, ibid, p. 120-121). Un tueur à gage du nom de code QJ/WIN débarque sur le sol congolais pour mettre en place cette mission d'élimination qui consistait à introduire un tube de dentifrice empoisonné dans la salle de bains de Lumumba (Le Congo : Comment et pourquoi l'Ouest a-t-il organisé l'assassinat de Lumumba, WWS). Il n'aura pas le temps d'exécuter l'assassinat car Lumumba s'échappe de sa résidence le 27.11.1960. Devlin, l'homme de la CIA au Congo, déclarera plus tard qu'il a jeté le poison dans le Congo (Ludo de Witte, ibid, p.121). Du 10.10 au 27.11.1960, l'activité politique de Lumumba durant cette période d'assignation à résidence fut considérablement limitée. Pourtant en dépit du caractère antidémocratique et illégal des actions menées à son encontre, celui-ci ne renoncera jamais aux principes fondateurs de la démocratie pour son pays. Il envisage compte tenu de sa destitution illégale par Kasa-Vubu suivi du coup d'état de Mobutu de faire effectuer un référendum par l'ONU afin de ratifier l'accès à un régime présidentiel où le président de la République serait élu au suffrage universel direct renonçant ainsi au régime parlementaire. Selon Lumumba "ce référendum permettra au peuple de se choisir "librement" et "directement" les dirigeants de son choix et de mettre fin à la crise actuelle et à toutes les manoeuvres de coulisse" (cité par Luc de Vos et coll., ibid, p.258). Il prend position en faveur d'une Table ronde nationale avec la présence du président Kasa Vubu, de Tshombé et de lui en tant que premier ministre du "seul gouvernement légitime" (Luc de Vos, ibid, p. 258).
Lumumba séquestré ne peut participer au débat au siège de l'ONU pour savoir quelle délégation va représenter le Congo à l'Assemblée générale des Nations-Unies à New-York. Les Américains ont refusé d'autoriser la délivrance d'un visa à Lumumba pour qu'il vienne s'adresser à New-York, l'isolant encore plus au point de vue international. Deux gouvernements (celui de Lumumba et celui de Kasa Vubu) demandaient à être reconnu par le secrétaire général de l'ONU. Hammarskjöld soutenait les chefs du putsch (Kasa Vubu - Mobutu). Le Congo devient à l'ordre du jour des Nations-unies et a marqué l'Assemblée générale de l'ONU à New-York en novembre 1960. Lumumba est lâché par les USA, la Belgique et l'Europe au profit du gouvernement putschiste. Kroutchev a exigé le renvoi du secrétaire général Hammarskjöld qui avait pris fait et cause pour le gouvernement putschiste, allant jusqu'à menacer de créer un bloc des Nations-unies de l'est. Au fil des débats à l'Assemblée des nations-unies, les pressions exercées par l'ONU, les USA et la Belgique font passer les votes des pays pro-Lumumba vers le gouvernement de Kasa Vubu. Objet d'énormes pressions (notamment françaises et états-uniennes) et grâce à l'achat de votes, la majorité tiers-mondiste favorable au gouvernement Lumumba volait en éclat. R. Dayal, le représentant spécial au Congo du secrétaire général de l'ONU, a décrit plus tard ces évènements comme un "des exemples les plus patents de l'exercice massif et organisé de contraintes et de pressions - combinées à diverses incitations - pour faire changer le vote d'Etats membres"(Ludo de Witte, p.127, ibid). Le 24 novembre, à la suite d'un débat houleux, l'assemblée générale reconnaît par 53 voix contre 24 et 19 abstentions la délégation de Kasa Vubu comme représentation légale de la République du Congo. (Ludo de Witte, p.127, ibid). Le dimanche 27 novembre, Kasa Vubu revient triomphant à Léopoldville en grand uniforme bleu et or de lieutenant général. Lumumba observe depuis sa résidence le cortège de dignitaires nationaux et étrangers venus célébrer l'adoubement du gouvernement Kasa Vubu par la communauté internationale (Ludo de Witte, ibid, p.127). Lumumba décide alors de s'évader pour rejoindre ses partisans et les forces nationalistes à Stanleyville.
Dimanche prochain :
Episode IX : 27.11.1960, l'évasion de Lumumba. La course poursuite. Avec la CIA, les services secrets belges et les forces armées de Mobutu aux trousses. |
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