PRESSAFRIQUE 12.11.05
Comment l'Américafrique, la Belgafrique, la Françafrique et l'Organisation des Nations Unies furent les fossoyeurs de Lumumba et de la démocratie congolaise naissante Episode VII : 14.09.1960 le coup d'état militaire de Mobutu | ||
Le 14 septembre 1960, Mobutu par un coup d'état militaire neutralise tous les hommes politiques : « Pour sortir le pays de l'impasse, l'Armée nationale Congolaise a décidé de neutraliser le chef de l'Etat, les deux gouvernements rivaux en présence, ainsi que les deux chambres législatives jusqu'à la date du 31 décembre. Les politiciens pourront ainsi avoir le temps d'essayer de se mettre d'accord afin de mieux servir l'intérêt supérieur du pays ». (LePotentiel, Mobutu crée le collège des Commissaires généraux ).Mobutu informe Kasa Vubu et Ileo de son coup de force avant son intervention à la radio. Il dissout le parlement, les chambres et le gouvernement congolais pour installer « un collège des commissaires » comprenant des jeunes intellectuels tels que Albert Ndele, Marcel Lihau avec à leur tête l'ancien ministre Justin Bomboko. Celui-ci en tant que chef de la délégation congolaise aux Nations unies se trouve à New-York, il est nommé président du collège. Pour Ludo de Witte (L'Assassinat de Lumumba, Edition Karthala), ce coup d'état est la suite logique de la tentative de destitution parlementaire illégale de Lumumba par Kasa-Vubu. En effet le 12 septembre le gouvernement Ileo avait été rejeté par le parlement. Ce dernier le qualifiant de « somptueux premier ministre d'un gouvernement illégal »(LePotentiel, Mobutu crée le collège des Commissaires généraux ). Le lendemain au Sénat, Lumumba se voit accorder les pleins pouvoirs par les deux chambres avec 88 voix contre 3 abstentions. Le gouvernement Ileo se voit très fragilisé et avait envisagé de remanier l'armée à son avantage. Ainsi Lundula est démis de ses fonctions par Kasa Vubu et le matin du coup d'état militaire, Mobutu se voit confier par Ileo la tête de l'armée. Si Luc De Vos et coll., ( Les secrets de l'Affaire Lumumba) considèrent que les autorités belges et états-uniennes furent surprises par ce coup de force de Mobutu, de nombreux faits antérieurs ne semblent pas aller dans ce sens (cf. Episode VI : Le 05.09.1960 - La tentative de destitution parlementaire de Lumumba par Kasa Vubu). Ainsi le Project Wizard, programme d'actions secret de la CIA, révélé par Stephen R. Weissman, Haut fonctionnaire au US House of Representatives Sub committe on Africa de 1986 à 1991, dans le Washington Post (Révélations sur le rôle joué par les Etats-Unis dans l'assassinat de Lumumba), rémunérait les opposants politiques de Lumumba. « les Etats-Unis avaient autorisé des paiements au président d'alors Joseph Kasa Vubu, quatre jours avant la destitution de Lumumba, et qu'ils avaient fourni de l'argent et des armes à Mobutu, l'homme fort de l'armée, afin qu'il combatte contre les forces pro-Lumumba ». Les USA ont aussi aidé à rémunérer une grande partie du « collège de commissaire » désigné par Mobutu pour remplacer le gouvernement dissous. Ainsi selon The Washington Post : « La CIA a financé ce collège et a usé de son influence sur la sélection de ses membres ''celui-ci était dominé par deux participants au Project Wizard : son président Bomboko et le vice-président Ndele. Un autre allié de la CIA, Victor Nendaka, dissident du parti Lumumbiste est nommé chef de la sécurité et de la police'' ». Ludo de Witte dont le livre fut à l'origine de la commission d'enquête Belge, montre que le gouvernement belge et l'ONU étaient prêt à soutenir une action utilisant la force pour neutraliser Lumumba devant l'échec de tentative de destitution parlementaire de Kasa Vubu . Le jour avant le coup, soit le 13 septembre 1960, The Times, quotidien londonien publie à partir de Léopoldville : « En ce moment on est d'avis que la majorité de l'armée prend parti pour le colonel Mobutu, chef d'état-major, qui a apparemment conclu un accord avec Kasa Vubu et qui a décidé d'accepter des Nations Unies l'aide destinée à l'armée.Ce matin, au camp Léopold, des nouvelles parades de paiements de soldes ont eu lieu, financées par l'ONU et il semble établi que la majorité de l'armée, pour ce qui est du disctrict , est neutralisée. Une partie néanmoins semble sur le point de montrer ouvertement son soutien au président Kasa Vubu ». (cité par Ludo de Witte, p. 71). Un autre article du Times publié le 19 septembre révélait l'influence croissante de l'ONU sur l'ANC : « ''H'' (sans doute pour le secrétaire général de l'ONU Hammarskjöld, ndlr) avait décidé d'intervenir à Léopoldville. (.) A l'insu du Premier ministre (Lumumba ,ndlr), des chefs militaires congolais et des officiers des Nations Unies ont conclu des accords entre eux : les armes doivent être remises dans les arsenaux centraux et un cessez-le feu est prévu dans la campagne contre le Katanga.Pour l'ONU, tout cela ressemble à un saut dans des eaux politiques troubles et dépasse de loin tout ce que ses architectes initiaux avaient jamais prévu. Les Nations unies tentent d'annuler les actions de celui (Lumumba , ndlr) qui les avait invitées » (Ibid, p.72).
Qui pourrait penser que les gouvernements belge, états-uniens et l'ONU n'étaient pas au courant de ce qui se tramait et qu'ils n'y ont pas contribué ? Les universitaires belges (Luc De Vos et collaborateurs, les secrets de l'Affaire de Lumumba) s'ils considèrent que la Belgique n'avait pas prévu le coup de force contre Lumumba montrent documents à l'appui que Mobutu a eu de très forts soutiens de la part du gouvernement belge après son coup de force. Ainsi le gouvernement Eyskens verse le 28 septembre par l'intermédiaire de la Banque centrale du Congo Belge, dont Aspremont-Lyden est toujours le ministre de tutelle, 500 millions de francs belges aux commissaires pour qu'ils payent les soldes des fonctionnaires (ibid, p.159). D'autres part « Le gouvernement belge finance un certain nombre d'activités à l'aide de fonds secrets ». Et les dirigeants néocoloniaux tel que Bomboko sont obligés de critiquer en apparence la Belgique pour avoir un minimum de soutien de la population congolaise.
« Bomboko s'est amèrement plaint des articles dans lesquels il est
décrit comme probelge. Bomboko déclare que de tels articles sont très néfastes
pour l'opinion publique congolaise, toujours sous le coup de la propagande de
Lumumba. Il demande que les journaux belges cessent de publier des articles de
ce genre et se déclare obligé d'attaquer le gouvernement belge pour se
maintenir. Il assure son interlocuteur de son désir de parvenir à renouer une
réelle entente entre la Belgique et le Congo et s'affirme plus occidental que
congolais ». (Ludo de Witte, l'Assassinat de Lumumba, p. 77).
Dans les documents exhumés par Luc De Vos et coll., il apparaît que
les commissaires de Mobutu étaient fortement sous influence belge. « Nombreux
sont les jeunes commissaires qui ont poursuivi des études en Belgique et
certains d'entre eux y ont encore de bons contacts. Tel est le cas de Justin
Bomboko et d'Albert Ndele, respectivement président et vice-président du
collège. En outre, la plupart d'entre eux sont disposés à faire appel à des
conseillers belges. » (p.158-159). D'ailleurs dès le 6 octobre, le conseiller
personnel de Mobutu sera le colonel Marlière avec l'aval du ministre belge des
affaires africaines.
Les autorités belges agissent sur leur marionnette Tshombé en lui suggérant de collaborer avec Mobutu le temps de neutraliser Lumumba. Lettre du ministre d'Aspremont Lynden au président Tshombe, 28 septembre 1960 : « Il me paraît évident que le moyen le plus efficace d'agir contre Lumumba est d'aider, dans la limite du possible et du raisonnable, les autorités actuelles de Léo qui s'efforcent d'obtenir son élimination de la vie publique congolaise » (ibid). Il n'est pas impossible, mais guère probable, que la Belgique ait été prise de court par la solution Mobutu imposée par la CIA et s'y soit ralliée de bonne grâce. Les USA soutenaient le néocolonialiste Mobutu au dessein ''nationaliste'' tandis que la Belgique avait une vision fédéraliste avec ses marionnettes néocoloniales Tshombé au Katanga et Kasa Vubu à Léopoldville. De toute évidence le coup d'état de Mobutu marque l'union sacrée entre l'ONU, la Belgique et les USA contre Lumumba. Mais celui-ci n'a pas été encore mis hors-jeu de la politique congolaise. Ceux qui combattent Lumumba dans la capitale restent très impopulaires. Kasa Vubu ne réussit pas à réunir 300 manifestants antinationalistes le 15 septembre tandis que les déplacements de Lumumba attirent toujours une foule enthousiaste. Ainsi Marlière qui s'active dans l'entourage d'un Mobutu qu'il décrit comme « au bord de la dépression et complètement affolé » (Luc de Vos et coll., Les secrets de l'affaire Lumumba, p.155), écrit à ses chefs à Bruxelles que la « liberté d'action accordée à Lumumba, Mpolo, Gizenga et Mulele constitue un danger permanent » ( Ludo de Witte, L'Assassinat de Lummba, p.77). Marlière est autorisé à utiliser les fonds secrets pour soutenir le régime en place et payer les soldes à la condition, dit le ministre, que, dans ce cas, on obtienne « la neutralisation effective » de Lumumba. (ibid, p. 77-78). Le lendemain d'un meeting où Lumumba est intervenu devant une foule très enthousiaste, Mobutu exécute l'ordre le 10 octobre 1960.
Samedi
prochain
Episode VIII : le 10 octobre 1960 « la neutralisation effective » de Lumumba. |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire