PRESSAFRIQUE 27.11.05Comment l'Américafrique, la Belgafrique, la
Françafrique et l'Organisation des Nations Unies furent les fossoyeurs de
Lumumba et de la démocratie congolaise naissante
Episode IX : 27.11.1960, l'évasion de Lumumba. La course poursuite. Avec la CIA, les services secrets belges et les forces armées de Mobutu aux trousses. | ||||
«Si par malheur je devais
être pris, Mobutu n'aurait d'autre alternative que de me supprimer physiquement.
Oh, il est bien trop lâche pour le faire lui-même ou en donner l'ordre,
redoutant de prendre la responsabilité d'un tel acte. Si Patrice devait
disparaître, dans toutes les villes, les villages, les forêts du Congo, tout un
peuple continuera à le croire vivant, à attendre patiemment son retour, des
années s'il le faut, pour les délivrer d'un néocolonialisme acharné à sa
ruine.»
Les dernieres paroles d'un homme libre: Le premier ministre Emery Patrice Lumumba s'explique. Propos tenus par Lumumba à un coopérant belge, le 1er décembre 1960.
Le dimanche 27.11.1960 à Léopoldville, il pleut des
cordes. Entre 20h00 et 22h00, Lumumba s'enfuit de sa résidence où il était
assigné depuis le 10 octobre. Cela faisait plusieurs jours qu'il avait songé à
rejoindre Stanleyville où l'ensemble de ses partisans l'attendaient. Le 18
novembre sa fille décède en bas âge en Suisse. Il avait fait des demandes
pressantes auprès de l'ONU pour pouvoir procéder à l'enterrement à Stanleyville.
A deux reprises il reçu de l'ONU, une fin de non recevoir. Cette requête ne fut
pas acceptée par les Nations unies au motif que : "les avions en nombre limité
dont dispose l'ONUC ne (peuvent) servir qu'au transport et à l'approvisionnement
des troupes et du personnel" (cité par Ludo de Witte, L'Assassinat
de Lumumba, Edition Karthala, p.261).
"Neutralisé politiquement" par les pions néocoloniaux soigneusement agencés par l'Américafrique et la Belgafrique, son gouvernement légitime et démocratique désavoué auprès de l'assemblée générale des Nations unies, il ne restait plus qu'à Lumumba la fuite pour rejoindre ses partisans à Stanleyville. D'ailleurs les services belges étaient sur le qui-vive. L'ambassadeur belge à Brazzaville, Robert Rotschild, sur la base d'information en provenance de l'agent Crokart averti les autorités belges et les autorités supplétives congolaises dans un télex : "Lumumba : "suite renseignements recueillis sur évasion probable vers Stan, la garde armée nationale fut renforcée depuis 26 [novembre]" ( Brazza 864 du 28 novembre 1960) (Luc De Vos et coll., Les secrets de l'Affaire Lumumba, p.262). Le soir du 27 novembre, Lumumba est caché à l'arrière d'une chevrolet ramenant ses domestiques. Il est caché sous les pieds des passagers de la banquette arrière blotti contre les sièges avants. Compte tenu des pluies torentielles le service de sécurité de l'ANC de Mobutu est moins vigilant. Il passe sans encombre les contrôles. A l'hôtel Astoria, il change de véhicule et rejoint à Nsele certains de ses collaborateurs qui ont décidé de rejoindre Stanleyville avec lui. "...une colonne de trois véhicules se forme : une Fiat avec, à son bord, L. Akunda, ex-chef de cabinet de Mpolo, et V. Wingdi, secrétaire administratif de Lumumba ; la peugeot bleue, quasiment neuve, de l'ex-Premier ministre conduite par Diaka et transportant Lumumba avec sa femme Pauline Opango et leur petit Roland, et la Chevrolet" ( cité par Ludo de Witte, L'Assassinat de Lumumba, Edition Karthala, p. 128). La distance qui sépare Léopoldville de Stanleyville est longue de plus de 2000 kilomètres. Un long périple semé d'embuches s'annonce pour Lumumba et sa petite troupe. Sur le chemin il est rejoint par plusieurs membres de son gouvernement et par des nationalistes d'envergure. Il y a les ex-ministres Gbenye, Mbuyi, Mpolo, Kashamura et Mulele, le vice-président du Sénat Okito, et le gouverneur de la banque centrale Mujanay. Pour Lumumba il ne s'agit pas d'une fuite mais de la suite logique de son action politique visant à restaurer la démocratie au Congo et réinstaller son gouvernement à la légitimité démocratique indiscutable. Un communiqué de presse de Lumumba paraît le lendemain soir de son départ : "Contrairement aux rumeurs répandues et diffusées même sur les ondes de la Radio nationale, je n'ai jamais envisagé mon départ de Léopoldville comme fuyard. J'ai bien demandé officiellement aux autorités des Nations unies de pouvoir me faciliter le déplacement jusque Stanleyville pour un ou deux jours afin de procéder à l'enterrement de ma fille décédée le 18 courant en Suisse où elle a été envoyée par les soins du docteur Beck, chef de la Mission médicale suisse au Congo. A cela j'ajoute le fait que depuis sa naissance, je n'ai pas eu et je n'aurai plus jamais possibilité de voir ma fille. Mon voyage avait donc un caractère strictement familial de durée limitée avec l'intention de revenir à Léopoldville où je dois attendre l'arrivée de la commission de Conciliation...Par ailleurs, j'espère rencontrer prochainement M. Kasavubu qui manifeste depuis New-York l'idée d'organiser une Table ronde nationale à laquelle je dois assister en tant que Premier Ministre du seul gouvernement légitime, en même temps que Tshombe, président du gouvernement provincial katangais..." (extrait publié dans Luc de Vos et coll,Les secrets de l'Affaire Lumumba p. 260) Ce fut les services secrets belges et l'ONUC qui furent les premiers à s'appercevoir du départ de Lumumba, dans la nuit du 27 au 28 novembre. Aussitôt c'est la panique à Léopoldville, à Bruxelles et à Washington. Dayal, adjoint au Congo du secrétaire général de l'ONU déclare : "Si Lumumba réussit à atteindre Stanleyville, alors la situation change sur l'heure" (Ludo de Witte, L'Assassinat de Lumumba, Edition Karthala, p.128). L'ambassadeur des USA, Timberlake, déclara ultérieurement que Lumumba "aurait été plus que probablement en mesure de reconquérir le contrôle sur le gouvernement central au départ de cette position favorable, s'il avait pu un jour gagner Stanleyville" (ibid, p. 128-129). Hammarskjöld évoque auprès des autorités états-uniennes la possibilité de déployer des troupes de l'ONU entre Stanleyville et Léopolville si Lumumba parvient à son objectif. Le secrétaire général de l'ONU considérait que Mobutu "n'était pas capable de résiter" aux forces de Stanleyville (ibid, p.129). Dupret tient au courant par télex Bruxelles de la situation : "La fuite de Lumumba et la possibilité de l'installation d'un gouvernement central révolutioinnaire à Stanleyville constituent des facteurs dont les conséquences sont actuellement imprévisibles mais certainement très graves" (ibid, p.130-131). Un agent de la sûreté belge déclare : "on ferait l'impossible pour empêcher Lumumba de rejoindre Stanleyville et d'y instaurer "un régime de démocratie populaire" (ibid p.131). Les services secrets belges vont informer les autorités néocoloniales congolaises de Léopoldville de l'évasion de Lumumba. L'ambassadeur belge à Brazzaville informé par ses services envoit un télex le lundi 28 novembre : "Probablement certain que Lumumba s'est évadé. Nouvelle pas encore connue à Léo. Actuellement aucune réaction. Recherches actives sont entreprises. Kasa et Mobutu actuellement à Brazza pas encore avisés" (Brazza 826 du 28 novembre 1960). (Luc De Vos et coll.,Les secrets de l'Affaire Lumumba, p.262). Albert Kalonji est rapidement informé par la sûreté belge : "prenez garde Lumumba en fuite - s'il est à Luluabourg faites l'impossible pour l'arrêter" (ibid, p. 262). Kasa Vubu est prévenu lundi matin vers 11h00 à Brazzaville. Mobutu sera avisé plus tardivement. Visiblement dépassé par la situation, il tarde à fixer des directives précises aux troupes sous son commandement. Il sera aidé en cela par la sûreté belge et la CIA qui lui proposent une assistance technique aérienne pour repérer le convoi de voitures transportant Lumumba et un certain nombre de ses ex-ministres. Plus tard il sera relaté que c'est Mobutu qui a demandé l'assistance technique. La CIA minimisera son rôle dans le repérage et l'arrestation de Lumumba lors de la commission sénatoriale de 1975. Pour les universitaires belges Luc De Vos et coll., (Les secrets de l'Affaire Lumumba, p. 262), "les télex de l'époque envoyés à Bruxelles via l'ambassade de Belgique de Brazzaville, ne paraissent pas réduire le rôle de la CIA (Devlin et ses collaborateurs) à des formes aussi modestes".
Tout laisse à penser que les services secrets belges et la CIA
manoeuvrent en coulisse les acteurs néocoloniaux de la crise pour récupérer
Lumumba. Si "Raymond et sa maison" constituent pour Luc De Vos et coll., un code
pour désigner la CIA, le fameux Raymond fut identifié par Ludo de Witte (ibid,
p.131) comme le copropriétaire et le pilote d'Air Brousse. Ainsi toujours selon
l'ambassadeur belge à Brazzaville : "On s'attend ici à l'arrivée prochaine de
Lumumba à Stan après tournée dans intérieur province Léopoldville et Nord-Kasaï.
Appui égyptien et soviétique via Le Caire est considéré par plupart y compris
ambassade Etats-Unis comme certain. Il n'est pas exclu de voir certaines
ambassades s'installer à Stan, ou Parlement croupion serait également convoqué.
Timberlake paraît extrêmement ferme et décidé réagir avec force même si
la situation devait évoluer de manière critique. " (ibid, p. 264-265).
Dans cette missive Mobutu, Ileo et Kasa-Vubu sont décrit comme "profondément
vélléitaires et se chamaillant continuellement pour affaires peu importantes..."
(ibid, p.265). Il est envisagé de relancer les réseaux anticommunistes du Congo
pour relancer l'opposition politique à Lumumba compte tenu des milieux
"modérés à Léopoldville particulièrement amorphes". En parallèle Mobutu reçoit
une assistance technique par une compagnie aérienne européenne. "Il lui fut
fourni à la fois l'appareil et le pilote européen, un spécialiste des vols de
reconnaissance à basse altitude" (Heinz et Donnay cité par Luc De Vos et coll.,
ibid,p. 269). En fait deux avions de la Sabena avec des pilotes belges vont
silloner le Congo à la recherche de Lumumba. Le premier en directiond de
Stanleyville (nord-est), le deuxième en direction du Kasaï (sud-est) Luc De Vos,
Les secrets de l'Affaire Lumumba,
p.268).
Aussi surréaliste que cela puisse paraître, le voyage de Lumumba est triomphal, partout où il s'arrête ses partisans lui demandent de faire des discours publics. A la demande de ses concitoyens, Lumumba se voit obligé de donner de véritables conférences dans les villages devant des foules nombreuse. Alors que Lumumba a les services secrets belges, états-uniens, la sûreté congolaise et les troupes de Mobutu après lui, sa course vers Stanleyville distante de 2000 kilomètres se transforme en représentations ambulantes. Lumumba, loin d'être naïf, savait pourtant parfaitement ce qui l'attendait s'il était arrêté par Mobutu comme il le révèlera à un coopérant belge juste avant son arrestation le 1 er décembre (cf. bas de page). Le cortège progresse lentement devant les barrages et sous des pluies torrentielles. Le lundi 28 novembre Lumumba arrive à Kenge vers midi, à 19h il passe Masi-Manimba, il arrive mardi 29 novembre à 09h00 à Bulungu. Dans cette localité les membres du cortège des trois voitures et du camion veulent se réapprovisionner mais un habitant reconnaît Lumumba et la nouvelle se répand comme une traînée de poudre. Les habitants veulent un discours de celui qu'ils semblent attendre comme le messie. Lumumba à 10h30 est contraint "de faire un meeting public au centre de Bulungu devant une foule très enthousiaste" (ibid, p.265). "Il dit ses difficultés de Léopoldville ; il ne va pas à Stanleyville comme un fuyard mais pour se charger de la libération du territoire national et de la protection du peuple" (Heinz et Donnay cité par Ludo de Witte, L'Assassinat de Lumumba, p. 130). A Bulungu, siège d'exploitation des plantations Lever du Congo, un employé portugais identifie Lumumba et "prévient la direction qui alerte aussitôt par phone les autorités militaires" (Luc De Vos, ibid, p.267). Les services secrets belges rendent compte aux autorités belges du passage de Lumumba : "Renseignements de dernières heures. 3 voitures et un camion chargés hommes armés accompagnent Lumumba qui a déclaré le 29 à Bulungu il se rendait à Stan via le Kasaï où il ferait une déclaration ce jour. N'est pas passé par Kikwit..." (Luc De Vos et coll., ibid, p. 267). Lumumba progresse dans le Kasaï, il passe par Pukulu vers 14h puis à Mangaï le mardi 30 novembre en début de matinée. Le mercredi 1er décembre il atteint Port-Franqui, dans l'est de la province du Kasaï, où la popoulation y est pro-nationaliste. Aux environs de Mweka, quelques 150 kilomètres plus loin sur la route de Luluabourg, le groupe est arrêté : "Le commissaire de district les accueille avec des élus et des autorités locales : la foule attend le Premier ministre et veut l'entendre". Lumumba fait un nouveau discours acclamé par la foule. Le mercredi 1er décembre l'un des véhicules du cortège de Lumumba s'arrête à 2 km d'un chantier forestier. En effet l'un des véhicules est bloqué par un arbre de fort diamètre, l'autre est ensablé. Lumumba sera alors secouru par un coopérant belge, chef de chantier, qui lui prêtera ses engins pour débloquer le véhicule. Durant ce temps Lumumba acceptera de se confier au cours d'une conversation libre qui s'avèrera être un monologue selon les transcriptions données par le coopérant. D'après Colette Braeckman : "durant ces heures d'attente, un étrange dialogue s'est déroulé entre le bon Samaritain belge et le fuyard, décrit comme inquiet et tendu, incroyablement prolixe et sûr de lui. Dès le départ du cortège, M. Albert Hermant s'empresse de noter à toute allure, en steno, l'essentiel des propos de Lumumba et, quelques jours plus tard, sur sa vieille machine à écrire, il dactylographie le tout". (Colette Braeckman, Le Soir, 3.11.2001 ; les dernières paroles de liberté de Lumumba). Depuis la veille des avions de reconnaissance survolent le Kasaï. C'est grâce à l'un d'eux que le cortège sera repéré quelques heures plus tard près de Lodi.
Samedi prochain :
Episode X : le 1er décembre 1960 l'arrestation de Lumumba |
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