"Il n'est pas certain (...) que Hitler ait jamais été traité
par la presse bourgeoise belge avec autant de rage et de virulence que le fut
Patrice Lumumba"
La Gauche, 04.03.1961
La Gauche, 04.03.1961
Au lendemain de l'indépendance du Congo proclamée le 30.06.1960,
la presse belge se déchaîna contre le leader nationaliste et panafricain
Lumumba. Il fut présenté comme le diable personnifié. La commission d'enquête parlementaire belge (16.11.2001), lancée à
la suite du retentissement de l'ouvrage de Ludo de Witte (L'Assassinat
de Lumumba Ludo De Witte, Edition Karthala- 2000), reprend
sans beaucoup de distanciation cette propagande dans sa conclusion (pdf) si ce n'est au travers d'une forme de dialectique :
"Lumumba était une figure marquante, mais controversée. Les uns
le tiennent pour un personnage satanique, tandis que les autres le considèrent
comme un véritable héros populaire. Ces derniers ont fait de Lumumba un mythe
après sa mort. Le fait est qu'il était le premier Premier ministre
démocratiquement élu au Congo".
Le nom de code que lui accola la sûreté Belge lorsqu'elle organisa
plus tard au mois de janvier 1961 la livraison de Lumumba aux autorités
néocoloniales du Katanga fut celui de "Satan". Le colonel Marlière,
responsable des services secrets belges, utilisera un code secret pour
prévenir ses correspondants du Katanga de l'arrivée du "colis" sous la forme
suivante : "demande accord du juif pour recevoir Satan". Le colonel
Marlière dans le documentaire de Michel Noll reconnaît dans une interview que le
mot "juif" désignait Moïse Tshombé et le mot "Satan" Lumumba :
"- Pour nous Lumumba c'était Satan, d'ailleurs il avait
l'air satanique, sa petite barbiche, ses yeux, et Tshombe c'était le juif,
- Pourquoi?
- le tiroir-caisse"(Une mort de style colonial, l'assassinat de Patrice Lumumba documentaire de Michel Noll,2001, Production Solférino images/Quartier latin, WDR/ histoire).
- Pourquoi?
- le tiroir-caisse"(Une mort de style colonial, l'assassinat de Patrice Lumumba documentaire de Michel Noll,2001, Production Solférino images/Quartier latin, WDR/ histoire).
Un Haut fonctionnaire de l'ONU en aout 1960 n'hésitait pas à
considérer en privé que "Nkrumah est le Mussolini d'Afrique, et Lumumba son
petit Hitler". (Cordier, Haut fonctionnaire de l'ONUC, aout 1960 cité par
Ludo de Witte,p.57). Face à l'émergence de ces leaders indépendantistes une
presse souvent de renom véhicule les pires clichés racistes et négrologiques
usuels. Ainsi Homert Bigart, journaliste au New-York Times ayant reçu deux fois
le prix Pullitzer, déclara dans une lettre à son éditeur Emanuel Freedman en
janvier 1960 alors qu'il couvrait l'indépendance du Ghana : "j'ai bien peur
que je ne puisse pas avoir de quelcquonque enthousiasme concernant les
républiques africaines naissantes. Les politicien sont soit des escrocs ou des
mystiques...Je préfère largement les gens primitifs de la forêt. Après tout, le
cannibalisme pourrait être un antidote logique à cette explosion de population
dont tout le monde parle". ( Milton Alimadi, Inventing Africa). Concernant
Lumumba, le Times du 16 août écrit que Hammarskjöld, secrétaire
général de l'ONU, "laissait clairement entendre qu'il doutait du droit de
Lumumba de parler au nom du gouvernement" (cité par Ludo de Witte, p. 53).
Le Christian Science Monitor du 1er septembre écrit que pour les
diplomates de l'ONU "peu de larmes seraient versées" si Lumumba devait
disparaître de la scène politique.
Revenons en ce mois de juillet 1960. La haine coloniale devenue néocoloniale allait se déchaîner sur celui qui incarnait la perte du joyau colonial congolais, ce fameux gateau colonial qualifié de "scandale géologique". La propagande médiatique d'une certaine presse belge proche des milieux royalistes, colonialistes va se faire selon deux directions : un discours de mépris fondé sur des axiomes racistes et un discours de diabolisation présentant Lumumba comme une menace communiste. Cette propagande va accompagner et justifier aux yeux de l'opinion publique internationale les efforts du gouvernement belge pour favoriser la balkanisation du Congo et affaiblir le gouvernement Lumumba.
Revenons en ce mois de juillet 1960. La haine coloniale devenue néocoloniale allait se déchaîner sur celui qui incarnait la perte du joyau colonial congolais, ce fameux gateau colonial qualifié de "scandale géologique". La propagande médiatique d'une certaine presse belge proche des milieux royalistes, colonialistes va se faire selon deux directions : un discours de mépris fondé sur des axiomes racistes et un discours de diabolisation présentant Lumumba comme une menace communiste. Cette propagande va accompagner et justifier aux yeux de l'opinion publique internationale les efforts du gouvernement belge pour favoriser la balkanisation du Congo et affaiblir le gouvernement Lumumba.
"Manu Ruys écrit dans De
Standaard du 16 juillet que Lumumba est "un démagogue révolutionnaire" qui
ne vise qu'à créer le désordre et le chaos" cité par Ludo de Witte,
L'assassinat de Lumumba, Karthala - (2000), p.47.
"Voyez Lumumba. (...) C'est un barbare. (...) Il fait pleurer de rage des officiers [belges, à la plaine de Ndjili] dont un geste viril aurait délivré la planète de son culot sanglant" La Libre Belgique, 27.07.1961. cité par Ludo de Witte, ibid, p.15.
"Voyez Lumumba. (...) C'est un barbare. (...) Il fait pleurer de rage des officiers [belges, à la plaine de Ndjili] dont un geste viril aurait délivré la planète de son culot sanglant" La Libre Belgique, 27.07.1961. cité par Ludo de Witte, ibid, p.15.
Et puis il y a les rancoeurs coloniales adressées aux autochtones
censés partager les idéaux du pouvoir nationaliste et indépendantiste en place
à Léopoldville.
"Ce qui nous a particulièrement frappé à Elisabethville,
et nous l'avons ressenti de façon désagréable c'est la mentalité de tant de
blancs qui, manifestement, n'ont rien appris des récents évènements. Nous avons
été témoins à l'aéroport d'interpellation agressives de Blancs envers les Noirs
qui venaient de débarquer de Belgique ou de Léopoldville, contre la politique
nationaliste [de la capitale congolaise]. Le Katanga, c'est notre pays,
a lancé une dame à un Noir ; nos maris doivent pouvoir mener ici à terme leur
carrière. Le Noir opinait, pas très rassuré". De Standaard, cité par Ludo
de Witte, L'Assassinat de Lumumba
Ludo De Witte, Edition Karthala - (2000).
Ludo De Witte, Edition Karthala - (2000).
Lorsque Lumumba se rendit aux Etats-Unis pour demander le soutien
logistique américain pour lutter contre la désintégration de l'Etat congolais
face à l'invasion Belge, il ne fut pas même reçu par le président états-unien.
Visite de Lumumba aux USA
|
cliquez ici
Extrait durée Une mort de style colonial, l'assassinat de Patrice Lumumba documentaire de Michel Noll,2001, Production Solférino images/Quartier latin, WDR/ histoire "J'adresse au peuple américain tout entier les sentiments d'amitiés du peuple congolais qui compte beaucoup sur vous. Nous voulons que vous nous compreniez et que vous nous aidiez et que demain quand vous viendrez chez nous, les techniciens et les professeurs vous allez trouvez au Congo un peuple ami, un peuple frère." |
"A Blair House, une vieille dame
s'occupe des hôtes. Elle est blanche. Pourvu que rien ne lui arrive". La
Libre Belgique, 29.07.1960, lors de la visite de Lumumba à Blair House (cité par
Ludo de Witte, ibid).
Lors de ce voyage à Blair House, il fut présenté péjorativement au
grand public dans un certain nombre de médias comme "le premier ministre de la
jungle" (Une mort de style colonial, l'assassinat de Patrice Lumumba
documentaire de Michel Noll,2001, Production Solférino images/Quartier
latin, WDR/ histoire).
Il en fut de même dans une grande partie de la presse occidentale. Quelques exemples édifiants : L'Express titrait : "Le diable, le prophète, et le voleur !" Pour le Daily Telegraph, c'était "un clown". "Un chien" pour le Daily Mail. "Un sorcier noir" pour Paris-Presse. Et pour d'autres journaux, Lumumba était aussi : "l'abominable homme des neiges, le yéti, le singe, le macaque, l'étrangleur, l'Africain, le satyre, le sauvage, le primaire, la créature communiste, l'hystérique, le fanatique...". Quant au Guardian britannique, il concluait l'un de ses articles en écrivant : "Il n'y a pas de quoi rire..." (France-Inter,
Il en fut de même dans une grande partie de la presse occidentale. Quelques exemples édifiants : L'Express titrait : "Le diable, le prophète, et le voleur !" Pour le Daily Telegraph, c'était "un clown". "Un chien" pour le Daily Mail. "Un sorcier noir" pour Paris-Presse. Et pour d'autres journaux, Lumumba était aussi : "l'abominable homme des neiges, le yéti, le singe, le macaque, l'étrangleur, l'Africain, le satyre, le sauvage, le primaire, la créature communiste, l'hystérique, le fanatique...". Quant au Guardian britannique, il concluait l'un de ses articles en écrivant : "Il n'y a pas de quoi rire..." (France-Inter,
Rendez-vous avec Monsieur X, 09.12.2000,
Lumumba). Un stock lexical rappelant à s'y
méprendre le bestiaire colonial ou le jargon utilisé lors des fameuses
expositions "ethnoscientifiques" "les fameux "zoos
coloniaux".
Lumumba lâché par l'Occident se retourna vers l'Union Soviétique pour obtenir un soutien logistique face à l'invasion Belge sur un front distant de 1000 kilomètres de la capitale Léopoldville. Ce sont les soviétiques qui lui procurèrent des avions pour transporter ses troupes suivis de quelques succès militaires. Lumumba venait de signer son second arrêt de mort. La presse belge mais aussi occidentale considéra Lumumba comme une menace venue de l'Est, il était devenu l'homme à abattre dans un contexte de guerre froide. L'alliance ONU-USA-Belgique-France en fut renforcée pour tendre vers un même objectif : l'élimination de Lumumba.
Lumumba lâché par l'Occident se retourna vers l'Union Soviétique pour obtenir un soutien logistique face à l'invasion Belge sur un front distant de 1000 kilomètres de la capitale Léopoldville. Ce sont les soviétiques qui lui procurèrent des avions pour transporter ses troupes suivis de quelques succès militaires. Lumumba venait de signer son second arrêt de mort. La presse belge mais aussi occidentale considéra Lumumba comme une menace venue de l'Est, il était devenu l'homme à abattre dans un contexte de guerre froide. L'alliance ONU-USA-Belgique-France en fut renforcée pour tendre vers un même objectif : l'élimination de Lumumba.
"En octobre 1960, (le major) Loos
(conseiller militaire à Bruxelles,ndlr) s'est occupé de la diffusion des
soi-disant messages interceptés où Lumumba aurait odronné aux dirigeants
nationalistes de Stanleyville de "mener tous les habitants de la république
comme des moutons jusqu'à (...) la première phase de la dictature". Cette
falsification se termine avec les paroles : "Vive l'Union soviétique. Vive
Krouchtchev". Cette prose est remise aux mains de la presse belge, qui la
reprend avidement." (cité par Ludo de Witte, ibid, p.115)
Lumumba êtes-vous communiste?
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Extrait durée 27 secondes Une mort de style colonial, l'assassinat de Patrice Lumumba documentaire de Michel Noll,2001, Production Solférino images/Quartier latin, WDR/ histoire _____________________ "- Etes-vous communiste Monsieur Lumumba? - Euh je dois toujours rire quand on me pose cette question. Je ne suis pas du tout communiste. Vous savez que l'on m'a souvent présenté comme communiste anti-blanc, anti-belge, l'homme qui veut détruire, absolument pas. Je suis simplement un nationaliste, un leader natonaliste qui lutte pour un idéal. Je ne suis pas du tout communiste et je ne le deviendrai jamais..." |
A travers une série de conférences de presse Lumumba essaya de rallier l'opinion publique internationale à la cause de l'indépendance du Congo en dénonçant l'intervention belge. Mais bien au contraire c'est lui que la presse présenta comme un danger pour le monde. Certains articles dans le style de l'époque utilisait les pires clichés pour stigmatiser Lumumba. Ainsi un correspondant allemand écrivait dans son journal :"Est-ce sa barbe à la méphistophélès ou ses yeux qui roulent comme des boules de billard derrière ses verres de lunette il y a quelque chose de terrifiant chez cet homme il a la tête d'un Lénine africain". (Une mort de style colonial, l'assassinat de Patrice Lumumba documentaire de Michel Noll,2001, Production Solférino images/Quartier latin, WDR/ histoire).
Lumumba défendait des idéaux d'indépendance, d'autonomie, de prospérité et de dignité pour son pays et pour le peuple congolais qui n'étaient absolument pas dans la mentalité de l'ancienne puissance coloniale de l'époque et de la real politik cynique en cours dans le contexte de la guerre froide.
Samedi
prochain
Episode IV : Les plans américain et belge d'extermination de Lumumba : opération "L", opération "Barracuda", les tentatives d'assassinat de la CIA
Episode IV : Les plans américain et belge d'extermination de Lumumba : opération "L", opération "Barracuda", les tentatives d'assassinat de la CIA
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