Quand les cardinaux élisent Joseph Ratzinger le 19 avril 2005, celui qui est depuis près de 25 ans le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, l’ex-Saint-Office, a déjà 78 ans. Il a côtoyé de très près celui à qui il succède, Jean-Paul II dont la santé déclinante ne pouvait plus être cachée depuis des années. C’est peut-être cette image qui s’est imposée de plus en plus vivement à Benoît XVI ces dernières années, alors qu’il devenait évident que la fatigue le gagnait. On se souvient notamment de cérémonies auxquelles il n’a pas pu participer lors des dernières fêtes pascales alors qu’on avait allégé le rythme éreintant de ses voyages successifs à l’étranger.
«
Je suis convaincu que mes forces, vu mon âge avancé, ne me permettent plus d’exercer correctement mon ministère », a dit le pape expliquant pourquoi il renonçait à sa charge. Une décision qui a de quoi frapper les esprits tant elle est
rare dans l’histoire de l’Eglise ; elle ne s’est produite qu'à trois ou quatre reprises depuis le XIIIe siècle. Une décision qui s’inscrit aussi dans la volonté qu’avait manifesté Benoît XVI d’une plus grande transparence.
Né le 16 avril 1927 dans une famille de classe moyenne de Bavière, très pratiquante, Joseph Ratzinger est enrôlé au début des années 1940 dans les Jeunesses hitlériennes, ce qui est le sort de nombreux jeunes Allemands à l’époque. Dans ce cadre, il sera envoyé à la frontière austro-hongroise pour creuser des fossés antichar avant de déserter quelques jours avant la reddition allemande. Il connaîtra même les geôles américaines pendant six semaines en 1945.
La théologie avant tout La paix revenue, Joseph Ratzinger entame des études de théologie et il est ordonné prêtre en 1951. Il ne restera qu’une année dans une paroisse de Munich avant d’être nommé professeur dans un séminaire, puis maître de conférence à l’université de Munich, une fois obtenu son doctorat en théologie en 1957. Théologien brillant, ses compétences passent les frontières et c’est le concile œcuménique Vatican II de 1962 à 1965 qui lui donne l’occasion de se révéler comme libéral réformateur. C’est dans cet esprit qu’il propose la réforme du Saint-Office de même qu’il soutient une réforme de la liturgie.
Après le concile, il enseigne la théologie dogmatique et son cours « Introduction au christianisme » deviendra un ouvrage de référence dans le monde catholique. L’option réformatrice de l’Eglise que défend le père Ratzinger sera profondément modifiée par les turbulences de 1968. L’institution catholique est alors contestée vigoureusement et le théologien adopte à partir de là une position beaucoup plus défensive.
Sa nomination à l’université de Ratisbonne en 1969 dont il devient le vice-président en même temps que le titulaire de la chaire de dogmatique et d’histoire des dogmes le consacre définitivement comme un des prélats qui compte, ce que vient confirmer en 1977 sa nomination comme archevêque de Munich et cardinal sous Paul VI. Quatre plus tard, il prend la tête de la
Congrégation pour la doctrine de la foi ce qui en fait l’« idéologue en chef » du Vatican.
Honte et humiliation Très proche de Jean-Paul II, leurs positions se rejoignent dans le respect des traditions. Qu’il s’agisse de la théologie de la libération en Amérique latine, de l’homosexualité ou a fortiori du mariage homosexuel, rien ne vient atténuer le refus de l’Eglise. A partir de 2005 quand il en prend les rênes, on s'attend pas à ce que Benoît XVI adopte une ligne bien éloignée de celle de son prédécesseur. Au contraire, ses propos lors d’un
discours prononcé à Ratisbonne en 2006, associant islam et violence, consternent les musulmans.
Le pontificat de Benoît XVI restera néanmoins celui au cours duquel de réels progrès ont été accomplis pour parvenir à crever l’abcès des scandales de la pédophilie. Des actes de pédophilie commis par des prêtres et qui se sont produits durant des décennies, ont été révélés dans de nombreux pays et ont fini par ternir l’image du pape accusé d’avoir protégé des pédophiles. Dans un climat de honte et d'humiliation, le pape a accepté des démissions d'évêques, rencontré des victimes, reconnu que «
le péché au sein de l'Eglise » menaçait le catholicisme plus qu'un danger extérieur et qu'une «
purification » s'imposait. Rien de plus. Des victimes irlandaises ont d’ailleurs reproché au pape, dès l’annonce de sa démission, de n'avoir «
rien fait », malgré ses promesses, pour sanctionner les responsables.
La position de l’Eglise sur le sida demeure aussi bien énigmatique compte tenu du nombre de victimes qu’il provoque. En 2009, Benoît XVI déclare, alors qu’il est en route pour l’Afrique, que les programmes antisida fondés principalement sur le préservatif pouvaient «
aggraver le problème ». Quant au mariage des homosexuels, il profite du débat qui agite la France en ce début d’année, pour affirmer à nouveau l’opposition de l’Eglise catholique.
Transparence contre secret
La démission de Benoît XVI survient alors que les coulisses du Vatican sont ébranlées depuis plusieurs mois par les coups d’une guerre de succession qui ne dit pas son nom.
D’un côté, il y a ceux qui dans le sillage du pape allemand ont fait de la transparence et de la rigueur une priorité ; de l'autre, ont trouve ceux qui pensent que la protection du Vatican va de pair avec le secret.
L'éprouvant épisode du licenciement du banquier du Vatican en mai 2012 et pire encore, l’arrestation de son majordome, un homme en qui Benoît XVI avait la plus grande confiance, l’ont laissé «
attristé et choqué » par cette «
douloureuse affaire », selon les termes d’un proche. Le coup de grâce peut-être pour un homme de 85 ans dont la santé ne lui permettait plus de résister autant qu’il l’aurait voulu.