(Le Potentiel 02/11/2012)
1. Denis Mukwege, vous êtes, pour le moment, docteur réfugié
à l’étranger. Comment allez-vous ? Quel souvenir avez-vous de cette tentative
d’assassinat – on peut le dire – à Bukavu ?
Je me porte bien. Cela prend
du temps, mais je me porte bien. Je crois que c’était très dur. Mais je suis
avec mon épouse et mes enfants, je sens que je me rétablis
progressivement.
C’était un moment très très difficile. Cela s’est passé
assez rapidement, en trois phases. La première phase ,c’est que les agresseurs
ont maîtrisé d’abord toutes les personnes qui étaient à l’extérieur de la
maison. Et dans la maison, donc, ils sont entrés. Ils ont maîtrisé les enfants.
Ils m’attendaient à l’entrée, et quand j’avais klaxonné, c’est eux qui ont
ouvert la porte et m’ont cueilli rapidement. La deuxième phase, c’était de
pouvoir partir après nous avoir forcés. Ils ont récupéré les clés de ma voiture.
C’est à ce moment-là qu’ils ont commis l’irréparable. D’abord en me braquant, et
puis après, quand mon gardien avait crié, ils se sont retournés. En fait, ils
l’ont achevé à bout portant. Je suis tombé par terre. La suite était très
rapide. Ils ont pu s’échapper avec le véhicule.
2. Et justement, à ce
moment-là, docteur, vous vous êtes caché ? Est-ce que vous avez souvenir de la
tenue que portaient vos agresseurs ?
Là vraiment, ils ont tiré. On a
trouvé six douilles. Mais moi, j’avais l’impression qu’il y avait des coups,
qu’ils avaient tiré vers la sentinelle. La suite, je ne peux pas vous dire.
J’étais hors de moi-même. Ils étaient en tenue civile. Mais je pense que leur
opération a été faite avec professionnalisme et rapidité. Ce sont des tueurs
professionnels.
3. Est-ce que des gens vous en voulaient ou vous vous
sentiez menacé ? Vous demandez que toute la lumière soit faite sur cette
agression, qu’une enquête soit menée ?
Je n’ai pas vraiment de problèmes
avec des gens. Je n’avais pas un système de protection spécial. Je n’ai de
problèmes avec personne. En ce moment, je pense beaucoup. Si j’ai été agressé en
pleine ville, dans un quartier sécurisé, je crois que ma pensée va beaucoup plus
à toutes les femmes qui sont à l’intérieur et qui subissent ce que j’ai subi,
tous les jours. Finalement ,j’ai pu réaliser que leur situation est très
difficile. Et même plus difficile que je ne le pensais, puisque si cela se passe
comme ça, en pleine ville, à dix-neuf heures, je peux imaginer que toutes les
personnes qui sont sans défense et sans protection sont, en fait, à la merci de
toutes les bandes armées. Et je crois que ça devient périlleux. On ne peut pas
continuer à assister impuissant aux massacres, aux tueries des innocents. Ma
sécurité, c’est une bonne chose. Mais je crois qu’il faut une sécurité pour
toute la population. Elle a droit à cette sécurité. Les responsables doivent
prendre les responsabilités avec le sérieux qu’il faut.
4. Justement,
docteur,le mercredi 31 octobre, était organisé à Bukavu, chez vous, « une ville
morte », pour dénoncer cette insécurité, ces violences. Je suppose que d’où vous
êtes, vous y avez pensé. Vous avez aussi, je suppose, un message à adresser à
tout le personnel de l’hôpital de Panzi, où vous travaillez ?
Je crois
que « leur expression » doit être écoutée par les autorités nationales, par la
communauté internationale. C’est impensable que pendant seize ans, un peuple
soit meurtri de cette façon, au vu et au su de tout le monde, dans un silence
complet. C’est un personnel qui se donne corps et âme, qui fait son travail avec
amour. Et je pense que le message que je donne à tout le personnel de l’hôpital
de Panzi, est de continuer à répondre à la haine par l’amour. Je crois que c’est
seulement l’amour qui peut vaincre la haine. Et donc, tous ceux qui commettent
des actes barbares sur les malades que nous soignons, commencent à le faire sur
eux-mêmes. Je crois qu’il ne faut pas lâcher. Il ne faut pas propager le message
de haine. Il faut plutôt continuer à aimer. C’est seulement l’amour qui peut
nous affranchir du combat que nous menons contre la violence, contre la
haine.
5. Et justement, dans ce cadre-là, vous espérez retourner à vos
activités à Bukavu le plus vite possible ?
En partant déjà, j’avais des
malades qui sont venus chez moi. Et c’est très pénible de les avoir abandonnés.
Quand je les ai vus en train de pleurer, j’ai pleuré avec eux. Et je dois dire
que je suis avec eux. J’ai besoin de ce repli, mais je suis tout à fait avec
eux. Dès que possible, je serai avec eux.
Tirées de RFI
(*) Médecin et
directeur de l’hôpital Panzi (Bukavu/Sud-Kivu)
Publié le vendredi 2 novembre
2012 00:09
Écrit par RFI
© Copyright Le
Potentiel
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire