dimanche 9 septembre 2012

RDC:la Francophonie se tiendra dans un climat politique et sécuritaire exécrable/AGORAVOX

 

05 septembre, 2012

La Francophonie se tiendra dans un pays où règne un climat politique et sécuritaire exécrable.

Après des mois d’incertitude, la nouvelle est tombée comme un couperet.


Le Président Hollande ira au Congo pour participer au 14ème sommet de la francophonie qui se tiendra à Kinshasa, en octobre prochain, signale-t-on dans une analyse sur le site AgoraVox.

Les opposants et les ONG ont cru jusqu’au bout que le » Président normal » s’abstiendrait d’un déplacement attendu pour être célébré comme une caution de l’Hexagone au régime antidémocratique et brutal de Joseph Kabila. Une déception qui en rappelle d’autres, mais pas tellement sur le fait que le Président français puisse se rendre dans un pays où la démocratie et les droits de l’Homme sont bafoués.


En effet, on sait que la démocratie et les droits de l’Homme ne sont pas une préoccupation majeure dans la logique des dirigeants français lorsqu’ils envisagent de traiter avec un régime ou un autre. Ce qui déçoit vraiment c’est l’atermoiement qui a suscité l’illusion que la » logique françafrique « [1] pourrait disparaitre avec le départ du » pragmatique » Nicolas Sarkozy.

Mais on n’en voudra pas au Président Hollande puisqu’il a dû privilégier des considérations relevant de la » logique d’Etat « , mais qui risquent de s’avérer infructueuses.


Car, même au plus profond du cynisme de la realpolitik, un régime n’a d’intérêt que si le pouvoir contrôle le pays, ce qui n’est pas le cas du Congo. De vastes territoires, y compris des zones minières, échappent complètement au contrôle de Kinshasa. Les seules structures qui tiennent à peu près la route sont la Mission de l’ONU (Monusco) et les ONG.


Par ailleurs, sur la durée, la viabilité du régime n’est pas assurée. Le hold-up électoral de novembre 2011 a enclenché une crise de légitimité qui devrait durer au moins jusqu’en 2016, fin du mandat que le Président s’est octroyé. Selon la Constitution (article 70) il ne pourra plus se représenter et devra quitter le pouvoir. Il ne pourra même pas faire modifier la Constitution pour prolonger son règne puisque » le nombre et la durée des mandats du Président de la République(…) ne peuvent faire l’objet d’aucune révision constitutionnelle » (article 220).




La pérennisation du règne de Joseph Kabila est une éventualité qui ne passe pas, le régime étant vécu comme un boulet, dépourvu de la moindre réalisation de taille sur laquelle les Congolais pourraient accrocher le peu de fierté nationale qui leur reste.


Au fait, le régime que l’Elysée va adouber à Kinshasa – puisque le déplacement n’a pas d’autre motivation avouable- est un tel désastre structurel en matière de gouvernance, démocratie et des droits de l’Homme que la coopération de la France, si elle s’assume jusqu’au bout, risque de placer Paris en première ligne en tant que caution internationale des exactions qui font les gros titres de la presse. Contrairement aux dirigeants du Continent, les dirigeants en RD Congo ont la particularité de ne jamais assumer laissant le parrain étranger en première ligne.


L’exemple le plus tragique est celui des casques bleus à qui il revient de tout faire en matière de défense nationale, y compris des tâches aussi basiques que l’information sur le déroulement des opérations, comme on a pu s’en rendre compte lors de la énième déroute de l’armée devant les mutins du M23. Il y a pourtant un Président, des ministres, un chef d’état-major, des commandants, des députés, des sénateurs,… Tous étaient aux abonnés absents

pendant que leurs populations erraient dans la nature, chassées par les combats.


Tous sont aux abonnés absents et avaient laissé leur peuple à la charge exclusive des ONG et de l’ONU. Il faut essayer de contacter un officier de l’armée indienne (Monusco) pour savoir ce qui se passe dans le Kivu. Pendant ce temps, un discours déresponsabilisant et fataliste prospère. Les malheurs du Congo ont pour responsable la Belgique, ancienne puissance coloniale (cinquante ans après son accession à l’indépendance), le Rwanda et les lobbies occidentaux impliqués dans un vaste complot sur les minerais du pays.


François Hollande va donc mettre les pieds dans un pays qui, pour de nombreux observateurs, n’est pas gouverné, et dont les dirigeants n’assument rien préférant se décharger sur les autres[2] lorsqu’ils ne leur abandonnent pas la charge totale de leurs propres populations.



Pour pouvoir rapporter quelque chose à la France, y compris d’inavouable, le pays a besoin d’être piloté par un dirigeant compétent. L’affaire des minerais de sang qui » doivent » transiter par le Rwanda est révélatrice d’un manque d’envergure généralisé dans la personnalité des dirigeants congolais.


Sur le peu que le régime aurait pu réaliser, le bilan n’est objectivement pas assumable. Les dix ans de Kabila ont été un désastre sur le plan géopolitique, militaire, économique et social. Sur le plan géopolitique, le Congo de Kabila, géant stratégique à l’époque de Lumumba, grand Zaïre de Mobutu, est aujourd’hui un nain ridicule de la région, affligeant au-delà du raisonnable. Le peu de fierté nationale que Mobutu, malgré la dictature, a pu laisser sur le front du » Zaïrois « , s’est totalement volatilisé. Les innombrables déroutes militaires dans le Kivu ont fini par désespérer les Congolais d’un bout à l’autre du pays. Sur le plan économique, le régime de Joseph Kabila, en dépit des immenses réserves minières dont regorge le pays, est sans excuse, comparé aux autres pays de la région disposant de maigres ressources, mais devenus de » bons élèves » en matière de gouvernance. Le Congo est systématiquement parmi les derniers des classements en matière de pauvreté (178ème sur 183 – pays classement Banque mondiale, 185ème sur 185 pays -) et de corruption (164 sur 179 pays). Les richesses nationales sont dilapidées outrageusement. Le régime a par ailleurs conclu un méga contrat de 10 milliards de dollars qui prévoyaient la construction des infrastructures en échange de la livraison de minerais congolais à Pékin. Le contrat fut un flop monumental dont on ne retient, en parcourant le pays, que quelques routes et bâtiments mal faits et des chantiers inachevés. Une corruption gigantesque est passée par là, mais ce n’est pas la question du voyage du Président français au Congo. Juste pour rappeler qu’il se rend dans un des rares pays où la corruption est passée du stade de la honte nationale à celui d’obstacle insurmontable au développement. Selon l’économiste Oasis Kodila Tedika, 55% des recettes destinées au trésor public sont happées par la corruption. Il est assez évident qu’on puisse garder ses distances vis-à-vis d’un tel régime pour une France dont les dirigeants, tombés dans le piège de la françafrique, ont été éclaboussés par des scandales retentissants.



Sur le plan social, le régime, à ses débuts, a suscité des espoirs légitimes : des fonctionnaires payés, des infrastructures de base, des écoles, des hôpitaux ; la lutte contre les pandémies (malaria, sida,…), la malnutrition.


Dix ans après, il n’en est rien.



Les salaires dans la fonction publique sont, non seulement risibles, mais souvent impayés. Le fonctionnaire perçoit environ 50 dollars par mois. Le militaire, pourtant en guerre, perçoit environ 45 dollars (quand il est payé, puisque sa maigre solde est souvent détournée, ce qui l’oblige à se rabattre sur la population pour survivre). Les enseignants sont à la charge des parents.


Sur le plan de la sécurité et de la défense, le pays baigne dans l’insécurité et la confusion. En guerre depuis 1996, le Congo peine à se doter de moyens de défense efficaces. Tout ce que les Congolais retiennent du régime, ce sont les humiliations et les déroutes militaires notamment dans le Kivu et les vaines tentatives des casques bleus qui finissent, eux aussi, par déserter le champ de bataille et s’enfuir en laissant la population à la merci des groupes armées qui se livre par la suite aux massacres. Le drame c’est que dans la fuite des uns et des autres, on abandonne de grosses quantités d’armes et de munitions, y compris des chars d’assaut aux » forces négatives « , les mettant en situation de relancer les hostilités à tout moment. 25 tonnes d’armements ont été abandonnées à Bunagana aux mutins du M23. Une » pratique » récurrente qui alimente le flou structurel dans un pays où, finalement, on ne sait vraiment qui est ennemi de qui et contre qui la nation se bat. Pour le peuple congolais, l’ennemi juré c’est le régime rwandais qui menace l’intégrité du territoire.


Mais après des années de négociations, de trahisons et de révélations, il s’avère que Joseph Kabila et Paul Kagamé sont plutôt » amis « [3], en dépit des hostilités entretenues entre leurs populations et leurs armées respectives. Une complicité qui se traduit par l’installation des agents rwandais à des postes de responsabilité dans l’armée et l’administration. On a pu penser un moment que François Hollande ne devrait pas se rendre à Kinshasa pour éviter de froisser le Rwanda avec qui Paris entretient des relations difficile. Il n’en sera rien parce que les Rwandais, il les trouvera à Kinshasa. Ils sont au coeur du régime de Joseph Kabila, ce qui est plutôt rassurant sur le plan diplomatique, du côté de Paris, mais pesant dans l’opinion congolaise. D’où des préoccupations en matière de sécurité, cette situation confuse venant s’ajouter à la crise politique et aux affrontements armés dans le Kivu. Il a été question, à un moment, de délocaliser le sommet vers un pays à peu près sûr.


Sur le plan politique, l’espoir d’un changement par des moyens démocratiques n’est plus de mise La répression menée depuis novembre 2011 pour garantir le maintien du Président sortant au pouvoir se poursuit. Les opposants proches de l’UDPS d’Etienne Tshisekedi sont l’objet d’arrestations et d’agressions parfois physiques. L’un d’eux, le député Eugène Diomi Ndongala, est porté disparu depuis le 27 juin et serait, selon ses avocats, illégalement détenu dans les locaux de l’ANR (service de renseignement). Le régime fait, depuis, courir une rumeur scabreuse sur sa personne en l’accusant de viol. Ses proches redoutent qu’il subisse le même sort que celui des militants des droits de l’Homme Floribert Chebeya et Fidel Bazana[4] assassinés par un commando de policiers (bataillon Simba) aux ordres d’un très proche du Président, le Général John Numbi, un » intouchable » que la justice n’arrive même pas à inquiéter. Aux dernières nouvelles, on apprend que le député Diomi Ndongala serait décédé et que ses proches sollicitent l’aide de la France, notamment, pour que le régime concède à restituer la dépouille à sa famille.



Le sommet de la francophonie va donc se tenir dans un pays où règne un climat politique et sécuritaire exécrable. Madame Yamina Benguigui, Secrétaire d’Etat à la francophonie et très impliquée dans la tenue du sommet à Kinshasa, malgré la réprobation de l’opposition et des ONG, a subi des menaces de morts.


Personne ne sait s’il faut les prendre au sérieux, mais du sang français a déjà coulé dans ce pays, et pas de n’importe qui[5]. A la lumière de ce tableau, il était hautement souhaitable que la France s’engage aux côtés du peuple congolais pour l’aider à pousser le régime de Joseph Kabila vers la sortie. Pas nécessairement en envoyant des troupes comme en Côte d’Ivoire, mais en prenant ouvertement position pour le changement. Aller adouber un tel régime revient à prolonger inutilement l’agonie d’un peuple sachant que les intérêts légitimes de la France seraient de toute façon préservés, voire bonifiés, en cas d’arrivée au pouvoir à Kinshasa des dirigeants acquis à la démocratie. Les Occidentaux ont traité avec le régime d’apartheid en Afrique du Sud mais réalisent des

affaires bien meilleures aujourd’hui avec les dirigeants issus des luttes de Nelson Mandela. En réalité, le cynisme de la realpolitik n’est pas une fatalité. En fin de compte, on réalise qu’il y a toujours plus à gagner dans un système démocratique, où le respect des droits de l’Homme est garanti et où les dirigeants s’efforcent d’assurer une redistribution juste des richesses du pays au profit de leurs populations.

CCN/AgoraVox

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire