mercredi 24 juillet 2013

Oscar Rashidi sur RFI: «la corruption gangrène tous les secteurs économiques de la RDC»

Le Premier ministre Matata Ponyo a décidé la bancarisation de la paie des fonctionnaires.
Le Premier ministre Matata Ponyo a décidé la bancarisation de la paie des fonctionnaires.
AFP / JUNIOR D.KANNAH

Par Christophe Boisbouvier
Pas facile de lutter pour la transparence financière en République démocratique du Congo. Dans le classement 2012 de Transparency International, c'est l'un des pays les plus corrompus au monde. Il occupe la 160ème place sur 176. Pourtant, Oscar Rashidi se bat. A la tête de la Licof, la Ligue contre la corruption et la fraude au Congo, il publie tous les ans un rapport sur l'état du pays. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI : Est-ce que la corruption avance ou recule dans votre pays ?

Oscar Rshidi : La corruption ne fait qu’avancer. Il n’y a jamais eu de recul parce qu'elle gangrène tous les secteurs économiques de la République démocratique du Congo.

L’un des fléaux de votre pays, c’est le racket des chefs de bureaux sur le salaire des petits fonctionnaires, même chose dans l’armée. Avec la bancarisation de la paie des fonctionnaires, qui vient d’être décidée par le Premier ministre Matata Ponyo, est-ce que ce fléau ne va pas disparaître ?

Je crois que la bancarisation est une bonne chose. Mais nous voyons que cet argent est en train d’être encore détourné par d’autres autorités, au lieu qu'il serve à l’amélioration des conditions de vie des fonctionnaires, qui touchent aujourd’hui 40 dollars, 50 dollars !

Oui, mais avant cette bancarisation, quand le fonctionnaire devait avoir 40, il ne touchait peut-être que 30. Alors que maintenant, il touche réellement 40, non ?

Mais il y a les frais de tenue des comptes. Et il y a la corruption là-bas. Il y a même eu une manifestation, où les fonctionnaires dénonçaient qu’ils ne touchaient pas réellement leur argent. Et le vice-Premier ministre du Budget était passé, pour dire que l’argent piqué dans leurs comptes serait remboursé. Même dans les banques, la corruption, on la voit à ciel ouvert !

Autre secteur gangrené, le chemin de fer congolais. La Banque mondiale a débloqué quelque 218 millions de dollars pour la SNCC, la Société nationale des chemins de fer du Congo. Est-ce qu’on sait où est passé l’argent ?

L’argent s’est volatilisé. Je suis syndicaliste à la SNCC, mais jusqu’à aujourd’hui, on n’a acheté aucune locomotive, aucune voiture à voyageurs, aucun wagon ! Même pas un mètre de chemin de fer n’a été réhabilité ! Au moment où les agents de la SNCC souffrent, ils ne touchent pas leur salaire ! Les agents font cinq mois pour avoir un salaire. (...) A la SNCC, il y a un taux de mortalité élevé au niveau des agents, et au niveau de leurs familles, il y a des divorces en cascades !

Et pourquoi y a-t-il des divorces ?

Mais lorsque le mari n’est plus en mesure de nourrir sa femme, de vêtir sa femme, au moment où la famille n’est plus en mesure de vivre décemment, il doit y avoir le divorce ! Pourquoi ? Parce que tout mariage, c’est un mariage d’intérêt ! Une femme va rester à la maison sans manger ? Elle va se prostituer. Et lorsqu’elle se prostitue, soit, c’est le mari qui déclare le divorce, soit c’est la femme qui va décider de s’en aller !

Le point noir dans votre pays, c’est le secteur minier. Pour échapper à l’impôt, les compagnies sous-évaluent leurs concessions et les revendent à des sociétés de complaisance basées dans des paradis fiscaux. En cinq transactions de ce type, l’Etat congolais a perdu 1,4 milliard de dollars, vient de calculer l’Africa Progress Panel de Kofi Annan. Est-ce qu’il y a une parade contre ce fléau ?

Les secteurs miniers sont dans les mains des Libanais, des Indiens et des Chinois. C’est une sonnette d’alarme sur laquelle je suis en train d’appuyer, pour que le président de la République Joseph Kabila soit informé que les responsables qui sont autour de lui, s’organisent pour piller systématiquement la République démocratique du Congo.

Mais croyez-vous que le chef de l’Etat est naïf, au point de se laisser tromper ? Ne préfère-t-il pas fermer les yeux ?

Mais tous ces prédateurs qui sont autour de lui sont en train de voler ! Mais que va faire le chef de l’Etat ? Il est au courant de la situation ! Il est question de prendre des mesures draconiennes pour pouvoir mettre fin à ça ! Mais malheureusement l’impunité caractérise notre système.
Il y a six mois, le FMI a rompu avec le Congo, à cause du manque de transparence, justement, dans les transactions minières. Est-ce que cette rupture peut provoquer un sursaut dans votre pays ?
Mais bien sûr ! Le problème, c’est lequel ? C’est la traçabilité ! La transparence dans les contrats. La signature ?  On peut signer quelque chose, mais ce qu’on fait c’est autre chose. Il n’y a pas de transparence. Je crois que la position du Fonds monétaire international peut pousser le gouvernement à ce qu'il y ait plus de transparence.

A Kinshasa, les élus sont gourmands. Au début de cette année, les députés ont réclamé une grosse augmentation de leurs revenus, pour passer de 9 000 à 14 000 dollars par mois, et le Premier ministre a fait la sourde oreille. Du coup, ils l’ont menacé d’une motion de censure. Matata Ponyo a tenu bon. Il n’a pas cédé. Est-ce que c’est un signe positif pour l’avenir ?
Mais les députés, on les connaît. Tous les jours, ils sont impliqués dans la corruption. Comment voulez-vous qu’un député puisse demander 14 000 dollars, pendant qu’un fonctionnaire touche 40 dollars ?

Pensez-vous, comme certains, que le vote d’un député ou d’un sénateur congolais peut s’acheter ?

Le vote s’achète ici. Au Congo, il y a eu beaucoup de précédents ! La fois passée, quand on avait procédé à cette révision constitutionnelle pour des élections à un seul tour. Et même lors du départ de l’ancien président du Parlement Vital Kamerhe, on sait qu’il y avait de l’argent qui avait circulé au Parlement.

Donc nous insistons sur le fait que la révision constitutionnelle ne peut se faire qu’au niveau du referendum. Pas au niveau du Parlement. Si on ose par exemple revoir le mandat du président de la République qui était limité à 2, pour dire que non, le mandat du président de la République peut aller à 3 ou 4, là, on aura la colère de la population.

La prochaine élection présidentielle est prévue en 2016. Pour l’instant, Joseph Kabila n’a pas le droit de s’y présenter. Que pensez-vous du projet éventuel de révision de la Constitution ?

Mais s’ils le font, ils auront la colère de la population ! Changer la Constitution sans pour autant aller au référendum, ce sera une catastrophe, parce que la population n’acceptera pas ! Pourquoi ? Parce que la Constitution, c’est quelque chose qui a été votée au niveau de la population, au niveau référendaire. 

Donc, s’il y a modification, on doit soumettre d’abord ça à la sanction populaire. S’il y a révision constitutionnelle, au niveau du Parlement, les parlementaires qui oseraient faire ça ne seront plus réélus dans leurs fiefs électoraux.

Pour en savoir plus :
→ Le classement 2012 de Transparency International 
→ Le site d'Africa Progress Panel

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