La déstabilisation de régimes étatiques en Afrique par des groupes armés s'avère le moyen le plus répandu de conquérir le pouvoir politique. Un chaos souvent instrumentalisé par les puissances occidentales selon le politologue Michel Galy.
Les rebelles de l'Armée de Libération du Congo, ex-M23,
patrouillent dans Goma, 20 novembre 2012. REUTERS/James Akena
Offensive éclair des rébellions centrafricaines vers
Bangui: le président Bozizé fait appel au Tchad mais doit composer —s’il n’est
déjà trop tard! Les rebelles du M23 congolais avancent vers Goma: Kabila engage
quasi immédiatement des négociations sous l’égide de Kampala. Et on peut
remonter plus loin et prendre des comparaisons plus larges: se référer par
exemple à la Cote d’Ivoire ou au Mali.
Les groupes armés à l’assaut des Etats seraient-ils une
voie africaine du politique, honnie par la «communauté internationale», mais en
passe de devenir aussi courants sur le continent noir que les putschs militaires
post-Indépendances?
En effet, la rébellion croissante du M23, en République démocratique du
Congo, en rappelle irrésistiblement d’autres, et il y a une indéniable
contagion des esprits dans les formes de contestation du pouvoir établi, en
Afrique subsaharienne.
Une disgrâce diplomatique, un pouvoir fragile, une
déstabilisation médiatique, des «coups tordus» des Services instrumentalisant un
foyer rebelle… Ainsi se dessine un processus de déstabilisation qui tend
décidément à se dupliquer excessivement —au point de révéler sa nature et son
origine!
«Bonnes» ou «mauvaises» rébellions?
Mais ne faut-il pas faire des parallèles plus généraux,
qui indiquent une instrumentalisation, —ou une «fabrique des rébellions» pour
déstabiliser un régime qui a cessé de plaire en Occident, notamment pour des
raisons géopolitiques?
Autant la chute spontanée de régimes dictatoriaux (comme
en Tunisie ou en Egypte) est
un signal pour nombre de Mouvements de Libération, autant le renversement par
une force militaire occidentale (à l’instar de la Libye) et/ou une rébellion
téléguidée semble, en ce débat du XXI ème siècle, une terrible «leçon de choses»
pour des régimes ou des leaders contestataires du condominium des grandes
puissances.
Les missiles Tomahawks, les drones, et les bombardements massifs s’opposent, dans
l’imaginaire collectif du politique subsaharien, aux manifestations massives de
tout un peuple qui prend spontanément les symboles du pouvoir. Que l'Occident
réponde par une attaque militaire disproportionnée indique bien où se trouve
ici, encore et toujours, la Maîtrise: là aussi, le médium —la violence— est bien
le message latent, mais efficace.
Face à cette dichotomie, les rébellions instrumentalisées
jouent un peu le rôle des «tirailleurs sénégalais» de l’époque coloniale.
Supplétifs des armées ou corps expéditionnaires occidentaux, elles sont créées
ou aidées par une puissance extérieure: financement, uniformes, carburant,
moyens de communication, armes, moyens de transport, jusqu’aux plans d’invasion
et de coordination sont fournis —directement, ou par une puissance relais comme
le Burkina Faso en Afrique de Ouest pour la France, le Rwanda et l’Ouganda pour les Etats Unis pour les Grands
Lacs.
Pour parler d’une période récente, le LURD a été créée
ex nihilo par la CIA dans les camps de réfugiés de Guinée Conakry pour
renverser Charles Taylor au Liberia sans qu'un seul «marine» américain
pose le pied à Monrovia. Juste retour des choses, puisque via le Burkina de
Blaise Compaoré, le NPLF de Charles Taylor avait dans un épisode précédent
conquis le Liberia, comme le RUF de Foday Sankoh la Sierra
Leone et le MPCI de Guillaume Soro la Côte d’Ivoire.
Bien sûr, les capitales occidentales n’ont pas toujours
inventé les rébellions, ni instrumentalisé leurs objectifs. Que l’on se
souvienne de l’Angola par exemple, où chacun des blocs de la guerre froide
soutenait un mouvement armé. Durant les 50 ans des Indépendances, nombre
d’autocrates africains n’ont eu besoin de personne pour pousser des émigrés
politiques à déstabiliser un rival ou un voisin à leur profit.
La différence est sans doute qu’après la chute du Mur de
Berlin, les menées par incursions ou rébellions interposées des deux camps ne se
régulent plus dans l’équilibre des Etats-Unis et de l’URSS, et que le rôle
croissant des médias permet une instrumentalisation supplémentaire: celle de
l’opinion publique internationale, selon les buts du moment. Comme s’il
s’agissait, par relais africains et médias complaisants, de naturaliser les
raisons de la chute d’un régime africain —ou, c’est selon l’intérêt du moment,
d’intervenir à son profit.
Multiples médiateurs
Le cas malien offre le savoureux spectacle d’une
multiplicité de «médiateurs»... jusqu’au Premier ministre récemment nommé, M. Diango Sissoko, ci-devant «médiateur de la République
malienne»! Le «médiateur ouest africain», le président Blaise Compaoré,
s’efforce officiellement de réconcilier MNLA et Ansar Dine avec le pouvoir
malien
lui même bien éclaté… L’ex-président du Burundi, M. Buyoya, est médiateur de
l’Union africaine. Tous devraient être coiffés par l’ex-président du Conseil
italien, M Romano Prodi, son pouvoir procédant du secrétaire général de l’ONU.
Du coup le médiateur du Bénin, le doyen Tevoédjré confère avec le
médiateur ivoirien et les deux s’intéressent fort à la crise malienne.
L’Algérie se voit bien aussi « médiatrice », on ne sait trop entre qui et qui ,
tellement elle est juge et partie. La diplomatie française pousse en sous main
certains des « médiateurs » Cédéao ou UA , tandis qu’elle prépare activement la
guerre par africains interposés et forces spéciales « discrètes »…
Et si trop de médiations tuaient la médiation ? Il en
ressort bien évidemment une cacophonie diplomatique intense, tant il est évident
que certains «médiateurs» sont des acteurs du conflit, et que l’absence de
coordination se fait sentir… Voilà qui rappelle les pires moments diplomatiques
de la crise ivoirienne.
Le fait que les Etats-Unis, l’ONU, l’Algérie et
le Burkina sont, pour des raisons diverses et variées, opposés à une
intervention militaire explique cette multiplicité d’acteurs et cet «imbroglio
diplomatique» —qui surdétermine la crise malienne interne. Sans doute les ONG
«spécialisées» comme Sant’ Egidio (et même le Vatican), voire l’ambassadeur
français à Bamako sont ils actifs dans leurs confidentielles «médiations»
internes et externes, sans grande coordination avec les médiateurs officiels.
Les différents acteurs et niveaux de médiations reflètent en fait
l’internationalisation rapide et croissante des crises internes africaines, qui
ajoutent aux désordres locaux en prétendant les résoudre.
La crise renaissante en RDC nécessite-t-elle vraiment,
après l'Ouganda et le Rwanda, d'autres médiateurs aussi compromis?
L’embrouillamini créée à Kinshasa par les forfaitures de l'introuvable
«communauté internationale» (diplomates, observateurs, ONG...) refusant d'avouer
truquées les élections de 2011 —et que Tshisekedi est plus légitime que Kabila— ont abouti à
une situation bloquée et à une délégitimation de tout pouvoir. C'est la
rébellion, si elle arrive à s'allier à l’opposition, qui peut arriver à une
alternance de régime —et certes par la violence. A moins que cette nouvelle
menace de guerre de conquête amène le pouvoir actuel à composer —ou à se
retirer, ce qui paraît plus que douteux... Toute la question semble dès lors
celle de l'après Kabila et du contrôle démocratique des nouveaux «entrepreneurs
de la violence», aussi peu légitimes que les actuels gouvernants.
Le paradoxe politique actuel, en Afrique subsaharienne,
est bien le recours aux rebellions instrumentalisées devant des régimes à la
façade démocratique, à la corruption désastreuse et aux pratiques despotiques ;
tandis que le «politiquement correct» mondial, d’obédience américaine et
d'incarnation onusienne prétend infréquentables, voire juridiquement
condamnables, les militaires ou les civils qui se dressent spontanément contre
d’insupportables dictatures. Ajoutons à cela des troupes d’occupation dites de
«maintien de la paix» aux effectifs considérables et en augmentation constante,
un dévoiement de la justice internationale vers une «justice de vainqueurs»,
tous les éléments s’imbriquent pour des situations régionales et nationales
bloquées —tandis que l’exploitation du continent se poursuit allégrement par le
«retour des grandes Compagnies» qu’on peut s’accorder à trouver avec le politologue Achille Mbembe très XIXeme siècle…
A partir de «foyers conflictuels» comme le Kivu en RDC,
l’Azawad au Mali, l’Ouest ivoiro-libérien, c’est bien des
systèmes de «guerres nomades» ravageuses et en extension qui suivent des cycles
de violence récurrents. L’échelle régionale est souvent atteinte quand une
puissance occidentale envoie un corps expéditionnaire: cet «effet pervers»
risque bien de se produire au Sahel, à partir du Mali. Quant à la RDC, plutôt
que de criminaliser une rébellion et revenir à une autre guerre continentale
africaine, comme celle des années 90 qui a touché de près ou de loin jusqu à 14
pays autour du Congo/Zaire, faut-il vraiment qu’elle fasse sa jonction avec l’opposition civile d’Etienne Tshisekedi et marche vers
Kinshasa?
Devant une alternative qui verrait se recommencer un
cycle congolais d’alternance par rébellion interposée, ou la répression d’un
mouvement armé par les Nations unies —sortant une fois de plus de leur rôle,
l’analyse des ouvertures médiatiques et du «story telling» du Kivu par les médias occidentaux
fourniront de bons indices de la conclusion ultime.
Au-delà du Congo —plutôt que de judiciariser et
criminaliser les «mauvaises» rébellions, plutôt que de créer, armer et légitimer
les «bonnes»— les puissances occidentales feraient peut être bien de réfléchir à
l’affaiblissement des Etats qu’elles prétendent sauver, au coût exponentiel des
interventions militaires pour contenir les alternances réelles —ne serait ce que
pour sauvegarder leurs intérêts à long terme. Si les «révolutions africaines»
s’inspiraient du Moyen Orient et de l’Afrique du Nord, les régimes despotiques
soutenus aujourd’hui, comme dans un perpétuel «containment des peuples»
seraient vite emportés, et les ressources des matières premières stratégiques
pour l'Europe en général et la France en particulier seraient alors
menacées.
La gouvernance par la déstabilisation et le chaos
croissant, les interventions militaires et l'affaiblissement des Etats africains
ne sont pas qu'un scandale politique de trop longue durée: catastrophique pour
les citoyens de l'Afrique subsaharienne, cette fuite en avant perpétuelle est à
terme contre productrice pour les puissances occidentales, et l'influence
française en particulier.
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