(Les Afriques 27/12/2012)
«Pour comprendre une partie de la guerre de l’Est de la RDC,
il faut s’arrêter sur le lac Albert».
Anciennement appeler Lac Mobutu
Sese Seko, le lac Albert est l’un des plus grands lac d’Afrique, il se trouve
dans la région dite des Grands Lacs, sur la chaine des lacs de la vallée du
grand rift, à la frontière entre l’Ouganda et la république Démocratique du
Congo. Le lac Albert est bordé au nord ouest par les montagnes bleus qui forment
la ligne de partage entre les eaux du bassin du Nil et celle du bassin du Congo.
Au Sud-Est, il est limité par le lac Victoria, l’une de ses sources provenant du
Nil, et au Sud-ouest par la rivière Semliki en provenance du lac Edouard. A
l’extrémité nord, il y a le Nil Albert, connu sous le nom de Nil des montagnes,
lorsqu’il pénètre au Soudan.
L’Ouganda possède 57% du lac Albert, alors
que la RDC n’en possède que 43%, il est l’un des lacs les plus poissonneux au
monde, du côté ougandais par exemple, les captures de poissons sont évaluées à
22 000 tonnes/an dont 60% sont des tilapias (le lac Albert a un nombre important
d’espèces de poissons, mais 50% sont en voie de disparition), la flotte de pêche
sur le lac est passée de 760 bateaux au milieu des années 1960 à près de 6 000
en 2011.
Le lac Albert est une poule aux oeufs d’or noir, puisque se
trouvant sur le bassin sédimentaire du Graben Albertine qui contient près de 2
milliards de barils d’hydrocarbures et de gaz naturels qui de ce fait, se trouve
au centre d’une grande querelle entre la RDC et l’Ouganda à cause de la limite
maritime des deux états . Cette querelle est l’un des grands enjeux de la
situation dans la région des grands lacs, l’une des épines dorsales de la guerre
de l’Est de la RDC. La présence de pétrole sur le lac Albert a été décelée
depuis longtemps. Le côté ougandais a été exploré, dès 1938 par Shell et entre
1952 et 1954 du côté congolais.
Il a fallu attendre 1997 et la signature
d’un premier contrat d’exploration entre le gouvernement ougandais et Heritage
Oil et ensuite avec le gouvernement congolais, le 02 juin 2002 portant sur
l’exploration d’un immense périmètre de 30 000 km2, allant de la ville de
Rutshuru au sud du lac Edouard jusqu’à Mahagi à la pointe nord du lac
Albert.
L’Ouganda étant très avancé dans la phase d’exploration, le
gouvernement congolais accuse les sociétés travaillant en Ouganda de forer dans
la nappe pétrolière congolaise, donc de voler le pétrole congolais, de son côté
Kampala accuse Kinshasa de violer son territoire, les autorités ougandaises
reprochent, à Kinshasa d’avoir établi un poste sur la rive transfrontalière du
lac Albert. GOLI par exemple, dans le territoire de Mahagi (en Ituri, RDC)
limitrophe du district ougandais de Nebri, fait l’objet d’un contentieux entre
les deux pays, car la RDC y a établi un poste frontière. Les deux pays
convoitent également l’île de Rukwanzi à la pointe sud du lac, une véritable
éponge saturée de pétrole.
Selon un expert ougandais, les inquiétudes
émises par le gouvernement congolais qui accuse l’Ouganda de forer sur sa nappe
pétrolière ne sont pas techniquement fondées, car le pétrole du Graben Albertine
n’est pas une nappe souterraine unique sur un champ, mais plutôt plusieurs blocs
qui regorgent chacun une quantité bien évaluée, l’exploration et l’exploitation
des blocs qui se trouvent sur la zone de démarcation font toujours l’objet d’un
accord entre les deux Etats concernés, selon une législation internationale bien
connue de tous les opérateurs pétroliers. Malgré ces affirmations, des
intellectuels congolais parlent de pompage criminel du brut congolais sur le
bassin commun du Graben Albertine par l’Ouganda.
Tant bien et malgré, un
face à face officieux à exister et existe entre les armées des deux pays. Début
août 2007, un ingénieur Britannique qui prospectait pour Heritage Oil, sur la
partie ougandaise du lac a été retrouvé mort, Kampala avait accusé l’armée
congolaise d’être l’auteur, du meurtre et quelques temps après, les forces
armées congolaises (Fardc) ont fait prisonniers 4 soldats des forces de défense
patriotique ougandaise (UPDF), deux jours plus tard, les deux armées, se sont
affrontées autour d’une embarcation de la compagnie pétrolière Heritage Oil. Le
08 septembre 2007 Joseph Kabila Kabangue et Yoweri Kaguta Museveni signent un
accord «Les Accords De Ngordoto (Tanzanie) «pour le respect des frontières
hérités de la colonisation et prévoir, l’exploitation commune des nappes
pétrolières du lac Albert. Le 25 Septembre, 17 jours seulement après les
accords, un accrochage mortel entre Fardc et UPDF à eu lieu, un véritable échec
pour le dialogue Ougando-congolais, mise en scène ou oiseau de mauvais augure
pour les deux Etats, En tous cas, le président Joseph Kabila est accusé de haute
trahison par l’opposition en étant de mèche avec le Rwanda et l’Ouganda (avec
une main noire occidentale derrière) dans la déstabilisation de l’Est de la RDC,
une déclaration de l’opposition existe et parle de preuve de complicité.
L’ancien ministre de la justice de Laurent Désiré Kabila Père : Mwenze Kongolo
dans son point de presse du 13 aout 2012 à corroborer cette accusation. A côté
de cela, il y a une attitude commune au niveau des deux gouvernements, c’est
celle d’écarter systématiquement la société civile, des activités liées au
domaine pétrolier, les deux gouvernements ont, par le passé, été accusés de
secrets et de mise en oeuvre des politiques d’exclusions de la société civile.
En 2007, des membres de la société civile ont été exclus des commissions mixtes
de sécurité entre les deux pays et des négociations des accords de pétrole. Pour
preuve, un groupe de journalistes et d’activistes de la société civile de
l’Afrique de l’Est qui ont accompagné des membres de l’Assemblée législative
dans la visite des puits de pétrole dans le comté de Tonya Kaiso du côté
ougandais furent impitoyablement refoulés, ce qui a fait croire que le
gouvernement ougandais avait quelque chose à cacher dans l’exploitation des
sites. Il faut noter aussi que ces sites sont gardés par Saracen Uganda une
compagnie de sécurité proche du général Salim Saleh, le frère de
Museveni.
Les territoires de Rutshuru et Lubero, autour du lac Albert
côté RDC sont les zones à forte densité miliciennes où les groupes armées se
battent régulièrement entre eux. C’est un véritable sanctuaire de milices. Déjà
en mars 2003 Amnesty International avait accusé l’Ouganda d’instrumentaliser le
conflit ethnique dans cette zone et que tous les groupes armés présents étaient,
d’une manière ou d’une autre, des protégés du gouvernement ougandais et rwandais
pour des raisons liées à l’exploitation des richesses. Certains observateurs
pensent également que le président ougandais c’est immensément enrichi dans le
pillage de l’or, autres minéraux précieux et l’exploitation du bois rares et
précieux de cette zone de la RDC. Le 08 juillet 2012, la rébellion du M23
s’était emparé de la ville de Rutshuru et y a établi sa base. Le nouveau rapport
de l’ONU sur la guerre de l’Est de la RDC, qui été publié en novembre 2012 et
dont les principaux points ont été commentés par l’agence Reuters, accuse
l’Ouganda et le Rwanda de soutenir la milice M23 depuis avril 2012, l’armée
ougandaise aide ce mouvement à étendre son contrôle sur ce riche territoire,
elle aurait également appuyé le M23 dans une série d’attaques autours desquelles
un casque bleu a été tué en juillet 2012. Le gâteau du lac Albert, côté
ougandais est subdivisé en 5 blocs, évalués autour de 1,1 milliards de barils.
Les blocs 1, 2, 3 et 4 réputés potentiellement rentables sont partagés entre 3
grandes compagnies à savoir : Tullow Oil, Cnooc et Total. C’est Tullow Oil qui a
signé le contrat de partage de la production avec le gouvernement ougandais et a
cédé pour 2,9 milliards de dollar américain, un tiers de ses actifs à Cnooc et
Total. Un oléoduc passera par le nord du Kenya pour atteindre la côte Est (Port
de Mombassa), Les travaux sont estimés entre 2,5 et 5 milliards de dollars,
Tullow Oil, Cnooc et Total joignent leurs forces sur un projet de développement
composés de 3 centres pétro-gaziers : Buliisa, Kaiso Tonya et Kingfisher. La
production visée, totalise 200 000 barils /jours sur 700 puits, pendant 30 ans.
Le coût de développement sera compris entre 8 et 12 millions de
dollars.
Le côté congolais du lac est subdivisé en 5 blocs, les données
sismiques, évaluent les réserves pétrolières dans les entrailles du côté RDC, à
800 millions de barils soit 150 000 barils/jours et le gouvernement congolais
envisage de construire un oléoduc de plus de 6500 km reliant l’Est du pays à la
côte Atlantique «hydrocarbures du coeur de l’Afrique à l’Atlantique», un projet
irréaliste.
Les blocs 1 et 2 qui couvrent la rive ouest du lac sont les
plus convoités, d’abord par Tullow Oil en 2006, mais le Président Joseph Kabila
a refusé de donner à Tullow Oil l’autorisation d’exploration et le 18 juin 2010,
il avait approuvé le contrat de partage de production en faveur de Caprikat Ltd
et Foxwhelp Ltd contrôlé par le très influent et jeune homme d’affaire Israélien
Dan Gertler (il est née en 1973), également présent dans le diamond et le cuivre
en RDC, président de DGI (Dan Gertler International) l’un des plus grands
vendeurs de diamants au monde.
Lors de la signature du contrat, Caprikat
Ltd a été représenté par l’un de ses actionnaires Clive Zuma Khulubuse, neveu du
Président Sud Africain Jacob Zuma et Foxwhelp Ltd par Michael Hulley, l’avocat
privé de Jacob Zuma qui d’ailleurs a été accusé d’avoir été très actif dans la
signature du dit contrat.
Les bonus versés par Caprikat Ltd et Foxwhelp
s’élève à 3 millions de dollars US par blocs, alors qu’une estimation de la
valeur du seul bloc II est de 20 millions de dollars. Le 21 Septembre 2010, la
Haute Cour de Justice des Îles Vierges, dans une décision temporaire, a opté
pour le gel des activités de Capriktat Ltd et de Foxwhelp Ltd qui sont
domiciliés aux Îles Vièrges, suite à une plainte de Tullow Oil, domicilié
également aux Îles Vierges. La même année Capriptat Ltd et Foxwhelp Ltd avaient
dépensé 50 millions de dollar pour des études sismiques 2D. Cette année, les 2
sociétés ont conduit à des études sismiques 3D et foré 2 forages d’exploration
pour un coût de 50 millions de dollars et négocié un partenariat avec Total et
Cnooc. Le bloc III a été accordé à Total et ce dernier est en partenariat avec
la société Sud Africaine Sac Oil. Le bloc IV a été accordé fin 2011 à Albatros
Oil DRC filiale congolaise d’un consortium canado-américain basé à Houston
(USA). Cette société a injecté pour les deux premières années pour la phase de
prospection un peu plus de 700 millions d’USD, y compris pour le permis octroyé
sur le Graben Tanganyka au nord de la Ruzizi et Kigoma. Le bloc V a été attribué
le 05 Décembre 2007 à Dominion Petroleum Congo, une société sud africaine, SOCO
PLC et Cohydro, le bloc couvre 50% de la superficie du Parc National des
VIRunga, le plus vieux parc d’Afrique, patrimoine mondial de l’humanité. En
octobre 2011, SOCO a été autorisée à mener des activités d’exploration dans le
Parc National des Virunga, se confrontant à deux logiques contradictoires, celle
du profit généré par l’Or noir et celle de la conservation de la
nature.
En somme, un minimum de 5 années séparent,l’Ouganda et la RDC en
matières de recherches et d’exploitation proprement dite, l’Ouganda compte
débuter sa production d’ici 2014. La situation de sanctuaire de plusieurs
groupes armés et de jungle politique du côté de la RDC, organisé de main de
maître par l’Ouganda qui deviendra bientôt un producteur de «pétrole du sang»
pour prendre l’expression d’Edward Zwick, le réalisateur du film «le Diamond de
sang», la fait traîner. Georges Clemenceau, n’avait-il pas dit «qu’une goutte de
pétrole vaut une goutte de sang». Quand au pétrole congolais du Lac Albert,il
sera produit aux prix des larmes et du risque de la disparition de 200 espèces
de mammifères dont plus d’un quart de la population mondiale des gorilles, 700
espèces d’oiseaux, près de 2000 plantes dont 10% sont endémiques à cette zone,
donc la perte du statut de patrimoine mondial de l’Humanité du Parc National des
Virunga.
Enfin, en ouvrant grand mon oeil sur l’Est de la RDC, nous
constatons que les Etats Unis entretiennent une très importante ambassade à Goma
dans le KIVU (comme à l’époque, le Camp Bondsteel à l’Est du Kosovo avec sa
«Task Force East»). Serontils, comme pour le Kosovo, les premiers à reconnaître
2 nouveaux états, à savoir le Kivu et l’Ituri ? Nous nous souviendrons que dans
une brève histoire de l’avenir, édition Fayard 2006, Jacques Attali avait parlé
de la disparition de la RDC d’ici 2020, en d’autres termes, la balkanisation de
la RDC, par les puissances occidentales via l’Ouganda et le Rwanda qui tiennent
cette zone avec des tenailles pour s’assurer l’accès illimité de ses immenses
richesses minières pour les prochaines décennies avec la complicité des
multinationales anglo-américaines.
La récente offensive militaire du M23,
qui s’est soldée par la prise de Goma, en dit long sur la complexité de la crise
et des enjeux géostratégiques de la région des Grands Lacs, où se développe, au
grand dam des Nations Unies qui dispose de l’une des plus importantes missions
militaire, soit 19000 hommes, un courtage militaro-minier et politique dont le
peuple de la RDC paie le plus lourd tribut. Devrons-nous comprendre, malgré les
appels et la réaffirmation l’intangibilité des frontières, que l’avenir de la
RDC est entrain d’être une fois de plus scellée par les firmes occidentales qui
profitent du chaos permanent entretenu par les groupes armées à la solde du
Rwanda pour mettre en exergue le plan de la balkanisation de la RDC ?
En
se rappel, lors de l’avancée du mouvement de Laurent Désiré Kabila, encadré par
le Rwanda et l’Ouganda, avait révélé au grand jour l’ambition démesuré du Rwanda
d’envahir une partie du Congo pour les cause d’espace vitale. Et on s’en
souvient en son temps que le président Kagamé avait demandé clairement la
révision des tracés frontaliers hérité de la colonisation. Plus tard, il demande
à Nicolas Sarkozy de demander la gestion régionale des richesses de la RDC. Face
a toutes ces pistes, si les congolais n’y prennent garde, cette situation
conduira lentement mais sûrement le pays vers le morcellement, planifié par les
puissances du mal qui opèrent dans l’Est de la RDC. Le président Kabila devrait
revoir son positionnement diplomatique dans la région et consulté l’ensemble des
forces vives de la RDC pour éviter au pays un psychodrame car le pays de Lumumba
ne mérite pas cette humiliation. Ce dernier l’avait perçu au lendemain des
indépendances, c’est ce qui l’avait emmené à opter pour l’Etat unitaire au
détriment de l’Etat fédéral souhaité par les belges et les occidentaux qui
n’avaient pas hésité un seul instant de soutenir la sécession de Moise Tchombé.
La RDC devrait se rappeler du message de Henri Kissinger au sujet du Soudan. Ce
dernier déclarait en 1960 que «tôt ou tard le Soudan du sud se détachera du
Soudan du nord et nous nous y emploierons». Quelque 50 ans plus tard ce voeux
machiavélique de l’axe qui imposa au monde le nouvel ordre mondial actuel se
réalisa.
C’est dans ce contexte qu’il est impérieux d’instaurer un
dialogue régional entre le Rwanda, l’Ouganda et la RDC avec l’implication de la
Belgique, des Etats Unis, de la Grande Bretagne, de la France, en vue de trouver
une issue a la crise qui secoue l’Est de la RDC.
Les groupes armées, qui
opèrent dans à l’Est de la RDC, ne sont que des marionnettes téléguidés par le
Rwanda qui met en exergue sa politique de la légitime défense préventive dans
laquelle elle se camouffle pour continuer à maintenir son influence dans une
partie de la RDC dont il dispose de puissantes ramifications à travers les
congolais d’origine rwandophones connu sous le vocable de Banian Mulengué, qui
constituent l’ossature du M23.
Arsene Frankeur Nganga et Rodrigue
Fénelon Massala
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