La République démocratique du Congo illustre parfaitement ce qu’il ne faut pas faire pour résoudre un conflit. Il est temps que cela change.
Les populations enthousiastes lors du retour des troupes
gouvernementales de RDC à Goma, 3 décembre © Goran Tomasevic / Reuters
Il n’y a guère que dans l’est du Congo déchiré par la guerre, univers d’une
absurdité digne d’Alice au pays des merveilles, que le retrait des rebelles du M23 de la capitale provinciale de Goma puisse
générer de grandes réjouissances.
La vérité est que ce retrait n’est que le dernier chapitre en date d’une longue histoire impliquant des alliances politiques mafieuses et militaires, contrôlées par des dirigeants dans les capitales du Congo, du Rwanda et de l’Ouganda, qui tous justifient leurs actions en arguant d’inquiétudes autour de la sécurité nationale pour masquer des intérêts économiques et politiques.
Parfois ces élites rivales se battent entre elles, parfois elles coopèrent pour obtenir le contrôle de ressources lucratives comme des terres, du bétail, des minéraux et du bois.
Il ne faut pas laisser s’échapper l’occasion que représente le retrait des rebelles en laissant la résolution du conflit exclusivement entre les mains de ces trois gouvernements, tout en faisant fi des causes profondes et des vrais représentants des communautés locales les plus affectées par le conflit sanglant qui fait rage dans l’est du Congo.
Le temps d’un vrai effort de la communauté internationale en faveur de la paix est enfin venu—qui aurait vraiment une chance de mettre un terme au conflit le plus meurtrier que le monde ait vu depuis la Seconde Guerre mondiale.
Les plus grosses huiles se sont à nouveau réunies pour redécouper le gâteau —cette fois dans la capitale ougandaise de Kampala.
De l’avis général, les tentatives de construction d’un processus de paix crédible pour le Congo sont manifestement en ruines et n’ont fait que condamner le pays à de nouveaux cycles d'un conflit dévastateur.
Chaque fois que des rebelles congolais aux acronymes changeants, soutenus par le Rwanda, ont pris ou menacé Goma ces dix dernières années, de hâtives négociations dans l’ombre ont produit des accords profondément défaillants qui ont réduit la pression militaire sur le gouvernement affaibli du président congolais Joseph Kabila et permis aux rebelles soutenus par les Rwandais d’administrer des zones stratégiques à l’est et de superviser les taxes et le pillage de ressources.
Lorsque l’on regarde au-delà des résolutions occasionnelles du conseil de sécurité des Nations unies appelant à mettre un terme à la violence, la réponse diplomatique internationale paraît honteusement inefficace —voire viole presque le serment d’Hippocrate ordonnant de «ne pas nuire.»
Le cas du Congo suffirait à remplir tout un semestre de cours pour illustrer ce qu’il ne faut pas faire dans la gestion d’un processus de paix. Chacune des 101 règles à respecter dans toute résolution de conflit a été violée ou négligée. Mais, je vais me limiter ici aux sept principaux péchés qui portent la plus grande responsabilité d’avoir voué à l’échec les chances d’une paix durable.
Comme lors de processus précédents, les intérêts des rebelles soutenus par le Rwanda et l’Ouganda seront majoritairement représentés par Kigali et Kampala.
Deuxièmement, ces accords de l’ombre ont débouché dans le passé sur des arrangements sécuritaires à court terme, qui ne s’attaquent à aucune des causes économiques et politiques profondes du pays —schéma qui se répète dans l’initiative actuelle.
On a vu, lors d’accords précédents, une totale impunité accordée à des criminels de guerre, des projets mal conçus pour intégrer des rebelles ayant violé les droits humains dans l’armée congolaise, et des accords secrets esquissant les contours d’arrangements de partage de pouvoir.
Troisièmement, divers membres concernés de la société civile, les partis politiques et même d’autres groupes armés comme les milices d’autodéfense locales n’ont presqu'aucun rôle dans les négociations, ce qui réduit au silence, de manière très efficace, les voix militantes congolaises de base.
Quatrièmement, il n’existe pas de médiateur expérimenté, ni de l’Union africaine ni des Nations unies, qui ait l’autorité et le soutien international nécessaires pour introduire un programme qui irait au-delà des accords à court terme décidés par ceux qui sont en position de force militairement.
Les Etats-Unis ont soutenu l’effort de paix actuel —en mettant un accent tout particulier sur la participation du Rwanda dans les négociations— mais sans s’attaquer à la structure fondamentalement défaillante du processus lui-même.
Cinquièmement, aucune équipe d’experts comparable à celles qui ont soutenu des accords de paix antérieurs en Afrique, du Soudan au Mozambique en passant par le Burundi, n’a été mise en place pour apporter son aide à des négociations sur le long terme sur des sujets difficiles et s’inspirer des meilleures pratiques d’autres initiatives de résolution de conflit dans le reste du monde.
Sixièmement, il n’existe aucune collaboration internationale coordonnée —que ce soit sous la forme de sanctions supplémentaires, de suspension des aides ou d’enquêtes sur les crimes de guerre— pour obliger des parties intransigeantes à envisager des compromis et nulle approche efficace visant à réellement faire rendre des comptes à ceux qui commettent, orchestrent ou financent des crimes contre l’humanité.
La Cour pénale internationale a délivré des mandats d’arrêt à l’encontre de quelques chefs de milice congolais, mais rien n’a encore été organisé pour exécuter les mandats de ceux qui sont encore en liberté, notamment du chef du M23, Bosco Ntaganda, «le Terminator».
Septièmement, ni les Nations unies ni les Etats-Unis n’ont envoyé d’émissaire spécial pour participer aux négociations de Kampala, ce qui ne fait qu’ajouter au vide du leadership diplomatique et saper toute perspective de paix.
Elle nécessite un leadership —de la part de l’Union africaine, du secrétaire général des Nations unies et du président Barack Obama, qui a un passif de lucidité vis-à-vis du Congo remontant à l’époque où il siégeait au sénat, lorsqu’il soutint une loi qui —si elle avait été mise en place— aurait depuis longtemps coupé les aides aux pays voisins pour les sanctionner de déstabiliser le Congo et de soutenir des intermédiaires pillant les ressources congolaises.
Les réponses à ces déraillements diplomatiques se trouvent dans les processus de paix réussis qui ont mis un terme à d’autres guerres africaines.
Tout d’abord, un émissaire chevronné et respecté devrait être nommé par l’ONU pour travailler avec un homologue de l’Union africaine à l’élaboration et à la direction d’un processus de paix transparent et global.
Outre les gouvernements congolais, rwandais et ougandais, cette initiative devra inclure des représentants armés et désarmés de tout l’est du Congo —en particulier des représentants de la société civile et des partis politiques— afin d’assurer que tout accord ait l’aval d’une grande partie des personnes concernées.
Il faut également impliquer des gouvernements régionaux cruciaux comme l’Angola et l’Afrique du Sud pour peser dans la balance et trouver une solution. Un émissaire spécial doit être nommé par les Etats-Unis pour soutenir la médiation et identifier les opportunités de la communauté internationale d’exercer son influence, notamment par des sanctions des Nations unies et le fait d’exiger des criminels de guerre qu’ils répondent de leurs actes.
Pour la toute première fois dans un processus de paix congolais, les parties prenantes doivent s’attaquer à la racine du mal et adopter des approches innovantes —inspirées des meilleures pratiques de précédents efforts de médiation couronnés de succès— afin de motiver le développement paisible et légal du secteur des ressources naturelles du Congo.
Et une fois un accord global atteint, il importera d’ajouter des forces spéciales aux forces de maintien de paix de l’ONU déjà en place, afin de contrer la milice des FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda) et autres groupes armés susceptibles de saper les démarches de paix.
Un processus international crédible dans l’est du Congo n’est pas une garantie de paix. Son absence, en revanche, garantit que la guerre se poursuivra.
John Prendergast (Foreign Policy)
Traduit par Bérengère Viennot
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Pourquoi les Casques bleus ne font rien en RDC
La vérité est que ce retrait n’est que le dernier chapitre en date d’une longue histoire impliquant des alliances politiques mafieuses et militaires, contrôlées par des dirigeants dans les capitales du Congo, du Rwanda et de l’Ouganda, qui tous justifient leurs actions en arguant d’inquiétudes autour de la sécurité nationale pour masquer des intérêts économiques et politiques.
Parfois ces élites rivales se battent entre elles, parfois elles coopèrent pour obtenir le contrôle de ressources lucratives comme des terres, du bétail, des minéraux et du bois.
Il ne faut pas laisser s’échapper l’occasion que représente le retrait des rebelles en laissant la résolution du conflit exclusivement entre les mains de ces trois gouvernements, tout en faisant fi des causes profondes et des vrais représentants des communautés locales les plus affectées par le conflit sanglant qui fait rage dans l’est du Congo.
Le temps d’un vrai effort de la communauté internationale en faveur de la paix est enfin venu—qui aurait vraiment une chance de mettre un terme au conflit le plus meurtrier que le monde ait vu depuis la Seconde Guerre mondiale.
Les plus grosses huiles se sont à nouveau réunies pour redécouper le gâteau —cette fois dans la capitale ougandaise de Kampala.
De l’avis général, les tentatives de construction d’un processus de paix crédible pour le Congo sont manifestement en ruines et n’ont fait que condamner le pays à de nouveaux cycles d'un conflit dévastateur.
Chaque fois que des rebelles congolais aux acronymes changeants, soutenus par le Rwanda, ont pris ou menacé Goma ces dix dernières années, de hâtives négociations dans l’ombre ont produit des accords profondément défaillants qui ont réduit la pression militaire sur le gouvernement affaibli du président congolais Joseph Kabila et permis aux rebelles soutenus par les Rwandais d’administrer des zones stratégiques à l’est et de superviser les taxes et le pillage de ressources.
Lorsque l’on regarde au-delà des résolutions occasionnelles du conseil de sécurité des Nations unies appelant à mettre un terme à la violence, la réponse diplomatique internationale paraît honteusement inefficace —voire viole presque le serment d’Hippocrate ordonnant de «ne pas nuire.»
Le cas du Congo suffirait à remplir tout un semestre de cours pour illustrer ce qu’il ne faut pas faire dans la gestion d’un processus de paix. Chacune des 101 règles à respecter dans toute résolution de conflit a été violée ou négligée. Mais, je vais me limiter ici aux sept principaux péchés qui portent la plus grande responsabilité d’avoir voué à l’échec les chances d’une paix durable.
Les plaies qui menacent de gangrener
Premièrement, la dernière initiative de paix opaque en date a été largement laissée au soin des trois acteurs qui ont le plus tiré profit de l’absence d’un Etat de droit: les dirigeants du Congo, du Rwanda et de l’Ouganda.Comme lors de processus précédents, les intérêts des rebelles soutenus par le Rwanda et l’Ouganda seront majoritairement représentés par Kigali et Kampala.
Deuxièmement, ces accords de l’ombre ont débouché dans le passé sur des arrangements sécuritaires à court terme, qui ne s’attaquent à aucune des causes économiques et politiques profondes du pays —schéma qui se répète dans l’initiative actuelle.
On a vu, lors d’accords précédents, une totale impunité accordée à des criminels de guerre, des projets mal conçus pour intégrer des rebelles ayant violé les droits humains dans l’armée congolaise, et des accords secrets esquissant les contours d’arrangements de partage de pouvoir.
Troisièmement, divers membres concernés de la société civile, les partis politiques et même d’autres groupes armés comme les milices d’autodéfense locales n’ont presqu'aucun rôle dans les négociations, ce qui réduit au silence, de manière très efficace, les voix militantes congolaises de base.
Quatrièmement, il n’existe pas de médiateur expérimenté, ni de l’Union africaine ni des Nations unies, qui ait l’autorité et le soutien international nécessaires pour introduire un programme qui irait au-delà des accords à court terme décidés par ceux qui sont en position de force militairement.
Les Etats-Unis ont soutenu l’effort de paix actuel —en mettant un accent tout particulier sur la participation du Rwanda dans les négociations— mais sans s’attaquer à la structure fondamentalement défaillante du processus lui-même.
Cinquièmement, aucune équipe d’experts comparable à celles qui ont soutenu des accords de paix antérieurs en Afrique, du Soudan au Mozambique en passant par le Burundi, n’a été mise en place pour apporter son aide à des négociations sur le long terme sur des sujets difficiles et s’inspirer des meilleures pratiques d’autres initiatives de résolution de conflit dans le reste du monde.
Sixièmement, il n’existe aucune collaboration internationale coordonnée —que ce soit sous la forme de sanctions supplémentaires, de suspension des aides ou d’enquêtes sur les crimes de guerre— pour obliger des parties intransigeantes à envisager des compromis et nulle approche efficace visant à réellement faire rendre des comptes à ceux qui commettent, orchestrent ou financent des crimes contre l’humanité.
La Cour pénale internationale a délivré des mandats d’arrêt à l’encontre de quelques chefs de milice congolais, mais rien n’a encore été organisé pour exécuter les mandats de ceux qui sont encore en liberté, notamment du chef du M23, Bosco Ntaganda, «le Terminator».
Septièmement, ni les Nations unies ni les Etats-Unis n’ont envoyé d’émissaire spécial pour participer aux négociations de Kampala, ce qui ne fait qu’ajouter au vide du leadership diplomatique et saper toute perspective de paix.
Un leadership fort et volontariste
On ne peut trouver aucune excuse à cette pitoyable situation. Et la rectifier ne nécessite pas d’énormes sommes d’argent ou des démarches susceptibles de provoquer de violentes divisions au sein du Conseil de sécurité de l’ONU.Elle nécessite un leadership —de la part de l’Union africaine, du secrétaire général des Nations unies et du président Barack Obama, qui a un passif de lucidité vis-à-vis du Congo remontant à l’époque où il siégeait au sénat, lorsqu’il soutint une loi qui —si elle avait été mise en place— aurait depuis longtemps coupé les aides aux pays voisins pour les sanctionner de déstabiliser le Congo et de soutenir des intermédiaires pillant les ressources congolaises.
Les réponses à ces déraillements diplomatiques se trouvent dans les processus de paix réussis qui ont mis un terme à d’autres guerres africaines.
Tout d’abord, un émissaire chevronné et respecté devrait être nommé par l’ONU pour travailler avec un homologue de l’Union africaine à l’élaboration et à la direction d’un processus de paix transparent et global.
Outre les gouvernements congolais, rwandais et ougandais, cette initiative devra inclure des représentants armés et désarmés de tout l’est du Congo —en particulier des représentants de la société civile et des partis politiques— afin d’assurer que tout accord ait l’aval d’une grande partie des personnes concernées.
Il faut également impliquer des gouvernements régionaux cruciaux comme l’Angola et l’Afrique du Sud pour peser dans la balance et trouver une solution. Un émissaire spécial doit être nommé par les Etats-Unis pour soutenir la médiation et identifier les opportunités de la communauté internationale d’exercer son influence, notamment par des sanctions des Nations unies et le fait d’exiger des criminels de guerre qu’ils répondent de leurs actes.
Pour la toute première fois dans un processus de paix congolais, les parties prenantes doivent s’attaquer à la racine du mal et adopter des approches innovantes —inspirées des meilleures pratiques de précédents efforts de médiation couronnés de succès— afin de motiver le développement paisible et légal du secteur des ressources naturelles du Congo.
Et une fois un accord global atteint, il importera d’ajouter des forces spéciales aux forces de maintien de paix de l’ONU déjà en place, afin de contrer la milice des FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda) et autres groupes armés susceptibles de saper les démarches de paix.
Un processus international crédible dans l’est du Congo n’est pas une garantie de paix. Son absence, en revanche, garantit que la guerre se poursuivra.
John Prendergast (Foreign Policy)
Traduit par Bérengère Viennot
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