vendredi 21 septembre 2012

Témoignage de VERDICKT ARMAND sur l'assassinat de LUMUMBA

Présentation du témoin

Armand Verdickt était officier de renseignements au moment de l’assassinat de Lumumba, responsable de la rédaction du Bulletin des renseignements (destiné au Bureau-Conseil, à Tshombe et à la gendarmerie).Le commandant Verdickt était G2, c’est-à-dire chef du deuxième bureau (renseignements) de l’état-major général de la Gendarmerie katangaise. En cette qualité, il avait connaissance d’informations importantes. Dans l’affaire Lumumba, il s’agit d’un témoin clé en ce qui concerne les « négociations » qui ont été menées entre Léopoldville et Elisabethville au sujet du transfert des prisonniers. Son témoignage à propos des messages radio échangés les 14, 15 et 16 janvier 1961 est d’un intérêt capital. Les questions suivantes sont pertinentes : 1. Par qui a-t-il été désigné comme G2 ? Et quels étaient ses grade et fonctions au moment des faits ? Qui était son supérieur hiérarchique ? Qui étaient ses collaborateurs ou ses subalternes ? Entretenait-il des contacts avec le consulat belge ? 2. Verdickt était-il en contact avec Léopoldville ? Brazzaville ? Bruxelles ? Et de quelle manière (télex, radio, autre) ? Qui étaient ses correspondants ? 3. Lors de témoignages antérieurs (notamment dans l’émission Histories de la VRT), le témoin a déclaré qu’il avait reçu deux messages en provenance de Brazzaville le samedi 14 janvier. De quels messages s’agissait-il ? 3.1. En fin de matinée, Marlière envoie, de Brazzaville, un message radio dont le contenu est le suivant :« Demande accord du Juif pour recevoir Satan ».En début d’après-midi, Lahaye envoie, de Brazzaville, un message radio (arrivé à 15h32) dont le contenu est le suivant : « Collège commissaires généraux se permet insister afin obtenir accord transfert Lumumba à Katanga. Présence à Hardy risque provoquer nouveaux déboires. Malgré inconvénients inévitables serait opportun accorder transfert dans région sûre. Commissaire Kandolo insiste au nom de ses collègues ».Les experts disposent d’une preuve matérielle de l’existence du deuxième message : Brassinne a publié une photocopie de l’accusé de réception. Ils ne disposent d’aucune preuve matérielle de l’existence du premier message; ils disposent seulement du témoignage de Verdickt. À ce propos se posent les questions suivantes : Le témoin dispose-t-il de preuves matérielles ? Ce message a-t-il été enregistré de la même manière que celui de Kandolo-Lahaye ? Le message est vague. A qui le témoin devait-il le transmettre ? Au nom de qui ? Pouvait-il atteindre directement Tshombe ? Où ce dernier se trouvait-il à ce moment ?Il aurait répondu à Marlière (stand by) que Tshombe discuterait de la demande. Est-ce exact ? 3.2. Les souvenirs de Verdickt semblent être une anecdote romanesque Compte tenu du deuxième message (de Kandolo-Lahaye, qui est clair), le premier est totalement superflu. Les annotations de Vandewalle ne permettent pas de conclure qu’il y aurait eu deux messages. Vandewalle parle d’un seul message. Il laisse également entendre que le code « Juif-Satan » n’aurait pas été utilisé. Il cite Weber en tant qu’intermédiaire et parle enfin d’une réponse négative. 3.3. Dans l’après-midi du 14 janvier, l’ambassadeur Dupret transmet le message de Kandolo-Lahaye à Bruxelles. À ce sujet, Vandewalle précise ce qui suit :« Dupret avait ainsi répété un message déjà transmis par la liaison radio directe qui existait entre son consulat général et le QG de la Gdkat. A l’origine un code fort simple avait été employé. « Le Juif » y signifiait Tshombe et « Satan » Lumumba. Après le séjour de Verdickt à Brazza, un système plus sérieux, l’OTPL (One Time Pad Letter) avait été mis en service. On s’en était servi, ce samedi. Après déchiffrement, Verdickt ne parvint pas à joindre Tshombe. Le message fut remis à Weber. Par la même voie, ce jour, une réponse négative fut envoyée. C’était la première réaction, la meilleure. ».Il y a encore d’autres contradictions : 3.4. En 1974, Verdickt fait une autre déclaration à Brassinne :« Le 14 janvier 1961, Verdickt reçoit un message codé de Marlière : « Demande accord du Juif pour recevoir Satan ». Il transmet immédiatement le message à Tshombe et lui demande des éléments de réponse. Le président lui répond qu’il doit examiner le problème en Conseil des ministres. Entretemps, il y a un rappel de Marlière. Un second message dans lequel ce dernier demande« Répondre d’urgence ». (Tous les matins, Verdickt avait rendez-vous chez Tshombe avec Weber. Au cours de ces entretiens, les différentes questions intéressant le G2 étaient examinées). Le second message est transmis par l’intermédiaire du major Weber à Tshombe. Tshombe dira de nouveau qu’il doit en discuter en Conseil des ministres. En fait, il n’y a jamais eu de réponse aux messages de Marlière. Aucun message radio ne partira de la gendarmerie katangaise G2 vers le consulat général de Brazzaville.».Dans cette déclaration, il y a deux messages de Marlière, aucun de Lahaye et pas non plus de réponse à Marlière. Comment expliquer cela ? 4. Dans l’interview que le témoin a accordée dans le cadre de l’émission Histories de la VRT, il confirme que Tshombe a rédigé une lettre le dimanche 15 janvier avec l’aide de sa secrétaire, Mme Servais. Dans cette lettre, il marque son accord sur le transfert de Lumumba. Brassinne publie une photocopie de cette lettre. Quels arguments Verdickt peut-il avancer pour prouver l’authenticité de cette lettre ? Quand a-t-il eu connaissance de l’existence de cette lettre ? À l’époque déjà ou à travers l’ouvrage de Brassinne ? Comment cette lettre est-elle arrivée à destination ? Par la poste, par message radio, par télex ? 5. Dans la même interview pour VRT-Histories, Verdickt mentionne un télex annonçant l’accord de Tshombe. Il aurait envoyé ce télex le lundi 16 janvier au matin. Quel message contenait-il ? De qui provenait-il et à qui était-il destiné ? De quels arguments dispose le témoin pour confirmer l’existence de ce télex (message radio) ? Le témoin a-t-il eu connaissance d’un entretien téléphonique entre Kasa Vubu et Tshombe au cours de la même matinée ? 6. Ces messages du 17 janvier parlaient-ils d’autres prisonniers? Quand a-t-il été question pour la première fois de Mpolo et d’Okito ? 7. Quels étaient ses rapports avec le colonel Weber, le colonel Vandewalle, le commandant Smal, le major Loos et le colonel Marlière ? 8. Quels étaient ses rapports avec le président Tshombe, le ministre Munongo et d’autres ministres katangais ? 9. À quels événements Verdickt a-t-il assisté dans l’après-midi et dans la soirée du 17 janvier (arrivée de Lumumba : où était-il, par qui a-t-il été informé, pourquoi est-il allé à l’aéroport) ?— A-t-il pu constater lui-même l’état des prisonniers ? Peut-il le décrire ?— Munongo lui aurait dit : « Ce soir, c’est fini. » Confirme-t-il ce souvenir ?— Où se rend-il ensuite, avec qui a-t-il eu un contact ?— Est-il présent à la réunion qui se tient à la gendarmerie ? Qui y assistait également, quels sujets y a-t-on abordé ?10. Selon lui, quel a été le sort réservé à Lumumba et ses compagnons de détention le soir et la nuit du 17 janvier ? Un assassinat à la maison Brouwez ou une exécution dans la brousse ?— D’où le témoin tire-t-il cette information ? Quand et par qui apprend-il les premières nouvelles ?— Le commissaire de police Verscheure lui aurait parlé : quand et pourquoi ? Connaissait-il Verscheure ?— A-t-il informé d’autres personnes ?— Le colonel Vandewalle a-t-il effectué une enquête ?— Le témoin connaissait-il le capitaine Gat ? 11. Y a-t-il des raisons de considérer que l’exécution s’est déroulée selon un scénario préétabli ? Qu’en pense le témoin ? Quels arguments avance-t-il pour soutenir la thèse de l’exécution ? A-t-il lui-même mis au point le scénario de l’exécution ? 12. Vandewalle a déclaré à Verdickt en 1964 :« Une somme d’un million de francs katangais aurait dû récompenser Verdickt et Verscheure. Verdickt n’a jamais vu un sou. ».Verdickt a déclaré à Brassinne en 1974 :« Le témoin est presque formel en affirmant que Verscheure a reçu un million pour se taire. Quelques jours avant de recevoir cet argent, il avait dit que Munongo lui donnerait un million qu’il devrait partager avec Verdickt. Le témoin est formel, jamais, il n’a vu un franc, d’ailleurs il ne sait pas s’il aurait accepté cet argent. ».Pourquoi Verdickt devait-il être récompensé ? Pourquoi lui aurait-on promis de l’argent ? Que faut-il entendre par« presque formel » ?13. Le témoin se souvient-il de la cérémonie organisée le mercredi 18 janvier, dans la cathédrale, à la mémoire des officiers tombés au champ d’honneur ? 14. Durant son séjour à Brazzaville en novembre 1960, alors qu’il remplaçait le colonel Marlière, Verdickt se serait vu confier une mission par le commissaire à la Défense. A quelle date ? De quelle mission s’agissait-il ? En possède-t-il une attestation, comme il l’a affirmé à Brassinne ?

Témoignage

2.1. Armand Verdickt a été entendu par la commission d’enquête le 9 juillet 2001.2.2. En tant qu’officier de renseignements, le témoin jouait surtout un rôle militaire. Il devait rassembler des informations sur ce qui se passait sur le terrain avec l’aide des services opérationnels et les transmettre ensuite à son chef, le major Perrad. Il devait en outre fournir toutes les informations utiles aux unités opérationnelles chargées d’exécuter les missions. A cet effet, il publiait chaque jour une note d’information qui était diffusée à sa hiérarchie, aux hommes sur le terrain, au colonel Vandewalle et également à Munongo et à Tshombe, à qui il donnait en outre un complément d’explications de vive voix. Le major Weber, conseiller militaire de Tshombe, allait reprendre par la suite la mission d’information du président. Le témoin disposait du personnel et du matériel requis pour obtenir et transmettre facilement les informations. Il était également en liaison avec la sûreté de l’État à Bruxelles, la Rhodésie, Brazzavile et le colonel Marlière. Verdickt a indiqué que le contact avec la sûreté de l’État à Bruxelles concernait principalement les curriculums vitae des mercenaires que la Belgique envoyait au Congo. 2.3. Verdickt devait, à la demande du major Loos, conseiller militaire de d’Aspremont, remplacer, pendant les mois de septembre-octobre 1960, le colonel Marlière à Brazzaville. Marlière était conseiller de Mobutu et s’occupait aussi de Radio Makala, qui était opposée à Lumumba. Sa mission consistait à recueillir le plus possible d’informations. Cette mission a mis le témoin en mauvaise posture, étant donné qu’il était officier de renseignements au Katanga et devait à présent travailler pour Mobutu. Il avait malgré tout accepté cette mission — bien que la demande de mutation n’eût pas été introduite par la voie normale — parce qu’il s’agissait d’un ordre et que Vandewalle, qui était son chef, avait marqué son accord à ce sujet. Cela lui a en tout cas permis de recueillir des informations intéressantes à Brazzaville. 2.4. Selon le témoin, l’idée d’envoyer Lumumba au Katanga est antérieure au 14 janvier 1961. C’est ainsi qu’il savait que Bruxelles avait, dès le 23 septembre 1960, insisté auprès du Katanga pour y faire venir des partisans de Lumumba, à savoir M’Polo en Gizenga. Cette demande a été réitérée en décembre 1960 lors de la conférence des États francophones africains. 2.5. Verdickt a fait savoir que le 14 janvier, dans la matinée, le colonel Marlière lui avait demandé personnellement, par téléphone, d’« obtenir l’accord de Tshombe pour recevoir Lumumba ». La réponse de Tshombe, qui s’était étonné de cette demande, a été qu’il devait consulter son gouvernement à ce sujet. L’étonnement deTshombe quant à cette demande tenait notamment à la manière dont elle avait été faite par Brazzaville, à savoir directement par téléphone. Cette demande émanait donc soit de Mobutu soit du collège de commissaires. Le témoin a déclaré que Kalonji, du Sud-Kasai, voulait recevoir Lumumba. Lumumba y avait laissé un très mauvais souvenir. Dans le courant du 14 janvier, le témoin a reçu un second message de Brazzaville, émanant, cette fois, directement du collège de commissaires. Ce message demandait également d’accepter le transfert de Lumumba. Ce message a été remis au major Weber, étant donné que Tshombe était absent. Il n’existait de preuve écrite que de ce second message. Malgré une longue discussion à ce sujet, le témoin est demeuré catégorique quant à l’existence de deux messages demandant le transfert de Lumumba. Selon lui, cette répétition tenait à la nervosité du gouvernement de Léopoldville devant la menace d’insurrection à Thysville, qui pourrait aussi avoir des conséquences directes à Léopoldville. Il a déclaré que la réponse de Tshombe à la première demande était qu’il devait consulter son gouvernement. Il n’avait pas répondu à la seconde demande. Verdickt a reçu ensuite un projet de lettre, paraphé par Tshombe et daté du 15 ou du 16 janvier. Dans ce projet, Tshombe donnait son accord concernant le transfert. Le témoin a supposé que cette lettre avait effectivement été envoyée, mais seulement le 16 janvier dans la soirée. Telle était d’ailleurs, selon Verdickt, la raison pour laquelle ce n’est qu’au dernier moment qu’il a été décidé de transférer Lumumba au Katanga et non à Bakwanga. Le témoin a déclaré ne plus se souvenir s’il avait transmis la confirmation de Tshombe concernant le transfert. 2.6. En ce qui concerne les événements du 17 janvier, le témoin a précisé qu’il s’était rendu à l’aéroport à la demande du major Perrad pour y constater par lui-même l’arrivée de l’avion transportant les trois « colis ».Munongo était présent à l’aéroport. Il semblait étonné, mais satisfait. Le témoin se trouvait à 25-30 mètres de l’avion lorsque les passagers, parmi lesquels Lumumba, Okito et M’polo ont débarqué par leurs propres moyens. Ils étaient en piteux état. Ils ont ensuite été emmenés dans une jeep de l’armée. Lorsque le témoin a demandé à Munongo comment le problème serait finalement résolu, celui-ci a répondu « ce soir, ce sera fini ». Connaissant Munongo, le témoin savait que cela signifiait la condamnation de Lumumba. C’est la raison pour laquelle il a informé les conseillers civils et militaires belges le plus rapidement possible. Le témoin a informé les conseillers militaires Weber, Vandewalle, Smal et Perrad, qui étaient en réunion, dece qu’il avait vu et appris à l’aéroport. En dépit du fait que le témoin avait expliqué clairement que le message de Munongo ne permettait aucun doute, personne, même pas Vandewalle, n’avait compris que les choses évolueraient si rapidement. Tout le monde était conscient que Lumumba était en danger, mais personne ne pouvait supposer que cela irait si vite. 2.7. Verdickt a été informé de l’assassinat de Lumumba le 18 janvier, étant donné que, le soir même des événements, Samalenge en avait trop dit. Quelques jours plus tard, Verscheure lui a relaté l’assassinat de Lumumba dans le détail. À la demande de Verscheure, le témoin s’est tu. Vandewalle a toutefois été informé de l’exécution des trois hommes. 2.8. Le témoin a décrit l’exécution comme elle lui avait été relatée par Verscheure, un des Européens présents. L’assassinat a été découvert dès le lendemain, les corps des victimes n’ayant pas été bien enterrés. Le témoin a supposé que Verscheure l’avait informé parce qu’il avait besoin de s’ouvrir à quelqu’un. Verscheure n’avait en l’occurrence pas tenu compte du fait que Verdickt était G2. 2.9. Le témoin a précisé que c’était au consulat qu’il appartenait d’informer Bruxelles. Il avait immédiatement informé sa hiérarchie sur place et estimait avoir ainsi rempli son devoir. 2.10. Le témoin a dit n’avoir rien reçu de la compensation d’un million de francs katangais qui aurait été promise à différents militaires, y compris à des militaires belges. Il ne sait du reste pas à quel titre il pourrait prétendre à une telle indemnité. Le témoin souligne qu’il n’avait de toute façon rien à voir dans toute l’affaire et qu’il ne devait dès lors recevoir aucune compensation. 2.11. Le témoin a nié qu’il y aurait eu des rivalités de nature tribale entre Tshombe et Munongo. Il s’agissait plutôt de deux personnalités diamétralement opposées qui adoptaient des attitudes différentes quant à la venue de Lumumba au Katanga. Par contre, il existait bien des divergences politiques avec Sendwe, qui était le fondateur du parti politique concurrent au Katanga. 2.12. Le témoin a également souligné que les conseillers civils et militaires belges présents au Katanga voyaient la venue de Lumumba d’un mauvais oeil.

Données biographiques

Né le 12 septembre 1921 à Jette. Formation : École d’infanterie.En Afrique : À partir du 1er juillet 1949 : mis à la disposition du Congo belge. Officier de renseignements à Élisabethville. 1er mars 1964 : fin de la mise à disposition. Du 27 juin 1964 à la fin de sa carrière : service de la coopération technique et militaire.

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