vendredi 21 septembre 2012

Témoignage de CORDY JEAN sur l'assassinat de LUMUMBA

Présentation du témoin

Au moment de l’assassinat de Lumumba, Jean Cordy était conseiller au ministère des Affaires étrangères de la république du Congo-Léopoldville (juillet 1960-octobre 1964). Il connaissait bien les rapports de force à Léopoldville. Questions pertinentes :— Quelle étiquette les Congolais avaient-ils collée au« fonctionnaire congolais de nationalité belge » ? Était-il un Belge au service du Congo ou un fonctionnaire mettant en oeuvre l’agenda secret des autorités belges ?— Quel était le rôle de Cordy lors de la réunion du 13 octobre 1960 où il fut question d’écarter Lumumba du pouvoir politique (opération Barracuda, selon De Witte) ?S’il s’agissait véritablement d’un déjeuner informel — à l’occasion de la remise d’un chien à Dupret — où, parmi de nombreux autres sujets, il n’a été question qu’incidemment de la neutralisation politique de Lumumba, comment se fait-il alors que cette réunion a donné lieu à un télex officiel ?— Le télex dans lequel Tshombe approuve le transfert de Lumumba au Katanga a été suivi d’un second télex, par lequel il tente d’éviter ce transfert. Cordy n’a-til pas trouvé cela étrange et quelle explication aurait-il éventuellement ? Comment ce télex a-t-il finalement abouti au ministère des Affaires africaines ?— Selon le témoin, quel était l’objectif du transfert de Lumumba ? Devait-il être éliminé physiquement ou être mieux protégé, ou les décideurs tentaient-ils d’empêcher qu’il ne puisse encore susciter de l’agitation là où il était enfermé ?— Comment le témoin décrirait-il sa relation avec Bomboko ? Ce dernier l’impliquait-il dans ses décisions ou lui demandait-il son avis ?

Témoignage

2.1. Jean Cordy a été entendu par la commission d’enquête le 18 juin 2001. 2.2. Le témoin a mis les pieds au Congo pour la première fois en 1946. À l’époque, il faisait partie du service territorial (régional). Il y a participé, dans diverses fonctions, à l’administration de plusieurs régions. En 1955, il a été attaché au cabinet du gouverneur général Pétillon et, plus tard, de fin 1958 à août 1959, il a été chef de cabinet du gouverneur général Cornelis. En mars 1960, il s’est vu confier la mission d’aider à la mise sur pied du futur ministère congolais des Affaires étrangères. Bomboko, ancien étudiant de Cordy, a été le premier ministre des Affaires étrangères du gouvernement de Lumumba, et Cordy a été son premier plus haut fonctionnaire. Après les troubles de 1960, ce dernier est resté attaché au ministère en tant que conseiller et non plus en tant que plus haut fonctionnaire. Il ne se considérait pas comme un conseiller politique, mais plutôt comme un conseiller administratif. Ultérieurement, Cordy a été nommé chef de la coopération belge. 2.3. Le témoin entretenait d’excellentes relations avec Bomboko, qui comptait sur lui pour le développement ultérieur du ministère et le fonctionnement de celui-ci au cours de la période initiale. Il n’a reçu, à ce sujet, aucune instruction ni aucun conseil de la part des autorités belges. Son statut, comme celui des autres fonctionnaires belges, qui en fait sont devenus des fonctionnaires congolais, n’était pas tout à fait clair. Ils avaient reçu commeunique instruction du gouvernement belge de rester sur place et de s’adapter. L’accession à l’indépendance avait été si précipitée qu’ils étaient considérés comme indispensables, étant donné que l’administration congolaise était inexpérimentée et quasi inexistante. Cordy pouvait compter sur la confiance de ses supérieurs congolais. Il est formel lorsqu’il affirme que le gouvernement belge n’a exercé aucune pression sur les fonctionnaires qui restaient au Congo en les menaçant de sanctions administratives s’ils décidaient de rester au Congo, les encourageant ainsi indirectement à quitter le Congo. 2.4. Lors d’un repas qui s’est tenu à Brazzaville le 13 octobre 1960, Cordy aurait qualifié d’« irréalisable »toute tentative d’enlèvement de Lumumba. Celui-ci était à ce moment-là assigné à résidence, et celle-ci était encerclée par deux rangées de militaires. Dans un deuxième télex, Cordy aurait parlé d’une petite opération de commando. Le témoin ne se rappelle plus avec précision ce qui s’est dit lors de ce repas, mais bien que la conversation tournait autour de la situation au Congo à l’époque, ce qui était normal. Le ministère congolais des Affaires étrangères de l’époque était l’unique canal pour ce qui est des relations entre le Congo et le monde extérieur; Lumumba était en effet assigné à résidence. 2.5. Bien que Cordy fût très proche de Bomboko, il s’entretenait très peu de sujets politiques avec lui et il ne se rappelle pas avoir abordé un problème politique spécifique majeur. Il ne nie pas que des discussions et des conversations plus générales ont eu lieu. Le président de la commission estime étrange le fait que Cordy ne se rappelle pas grand-chose en ce qui concerne la position de Bomboko vis-à-vis de Lumumba. Cordy ne se souvient pas des propos qui se sont tenus lors d’une conversation entre l’ambassadeur Van den Bosch et Bomboko (le 12 juillet 1960), durant laquelle l’ambassadeur belge aurait demandé à Bomboko de remplacer Lumumba. Il sait encore que Bomboko était opposé au soutien que la Belgique apportait au régime de Tshombe. Il s’agissait, pour Bomboko, d’intégrer la sécession katangaise à un Congo uni. Le témoin n’était pas non plus présent lors de la rencontre qui a eu lieu entre Bomboko et Rothschild le 10 janvier 1961. Il est difficile de dire quand, à quel moment précis, les relations entre Bomboko et Lumumba « se sont rompues», parce que, peu après l’indépendance, la situation est déjà devenue chaotique et le gouvernement a été confronté à de grosses difficultés.2.6. Cordy n’a jamais entendu parler de l’opération« Barracuda ». Selon lui, il était évident qu’après son évasion, Lumumba avait à nouveau été arrêté. La presse avait d’ailleurs longuement fait état de l’évasion et de l’arrestation qui avait suivi. Il se rappelle avoir vu le télex dans lequel Tshombe acceptait le transfert de Lumumba de Léopoldville à Élisabethville. 2.7. La rupture des relations diplomatiques a été annoncée le 15 juillet 1960. L’ambassade a été fermée vers le 8-9 août 1960, à la demande d’André Mandi, un secrétaire d’État lumumbiste. Cordy n’a toutefois pas été consulté à propos de cette décision. Par la suite, le rétablissement des relations a rapidement fait l’objet de nombreux entretiens, notamment lorsque Bomboko et Rothschild se sont rencontrés à Paris, en janvier 1961. Cordy a, en revanche, été consulté à ce sujet. Il conseilla de rétablir progressivement les relations diplomatiques non seulement avec la Belgique, mais aussi avec les autres pays avec lesquels le Congo avait rompu. 2.8. En ce qui concerne l’aide financière accordée par la Belgique à Bomboko, Cordy précise qu’il y avait à ce moment énormément de flux financiers dans tous les sens et qu’il n’est pas exclu que la Belgique soit intervenue financièrement. Le Congo était, financièrement, au bord de la faillite. Il ne pense pas que des décisions aient été prises ou que des positions aient été adoptées en fonction de montants perçus, mais il pense que l’allocation de certains montants a permis de renforcer certaines positions. Le témoin ne peut confirmer que Bomboko aurait reçu de l’argent en ce sens.

Données biographiques

Né à Rhode-St-Genèse le 10 février 1923 Formation : docteur en droit (Université Catholique de Louvain - 1945) Divers : Volontaire de guerre en 1944-1945 dans la brigade Piron. Attaché au cabinet du gouverneur général à Léopoldville de 1956 à 1958. Chef de cabinet du gouverneur général de novembre 1958 à août 1959. Directeur du service Affaires étrangères du gouvernement général de mars à juin 1960. Conseiller au ministère des Affaires étrangères de la république du Congo-Léopoldville de juillet 1960 à octobre 1964.Chef de la coopération belge avec le Congo de mars 1964 à mars 1967. Pensionné depuis avril 1988.

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