(Le Figaro
15/06/2012)
DÉCRYPTAGE - Une fois de plus, le Nord-Kivu, une petite
province de l'est de la république démocratique du Congo, est en proie aux
affrontements.
Une fois de plus, la lutte oppose l'armée congolaise à un
groupe composé pour l'essentiel de soldats mutins issus d'une rébellion tutsie
officiellement dissoute, le Congrès national de défense du peuple (CNDP).
Ce conflit reste pour l'heure très limité. Pourtant, il inquiète
fortement tant les Congolais que la communauté internationale. Les habituelles
tensions ethniques qui agitent cette région, particulièrement entre la majorité
nandée et la minorité tutsie, ne suffisent pas à expliquer le retour des
combats. En filigrane, cette guérilla cache une opposition nettement plus
sérieuse entre la République démocratique du Congo (RDC) et les Rwandais, sur
fond de vieux différends et d'intérêts financiers. La fuite d'un rapport de
l'ONU, mettant en évidence le soutien de Kigali aux mutins n'a fait qu'en
apporter la preuve. Immédiatement Kinshasa a accusé son voisin. Kigali, de son
côté, a nié en bloc.
Entre les deux pays, l'antagonisme plonge ses
racines dans le génocide rwandais. Fin 1994, les troupes rwandaises
intervenaient dans l'est du Congo pour donner la chasse aux génocidaires, les
Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), qui y avaient trouvé
refuge. Le Congo plongeait dès lors dans la guerre civile. Le président
rwandais, Paul Kagame, choisissait d'épauler l'opposant Laurent-Désiré Kabila
jusqu'à sa victoire contre Mobutu. Mais l'union sera de courte durée et la
rupture violente. La guerre civile reprenait à l'est contre des mouvements
rebelles soutenus, presque officiellement, par le Rwanda au nom de la lutte
contre les FDLR.
Risque d'escalade
Cinq ans d'une guerre qui fit
plus de trois millions de morts et dix ans de négociation plus tard, seule une
paix bancale pleine de ressentiment a pu être instaurée entre les deux pays.
Kinshasa continue de chercher vengeance et Kigali à contrôler la province pour
des raisons sécuritaires en soutenant des rébellions. Ces nationalismes, aussi
réels soient-ils, cachent mal l'appétit pour les terres du Kivu et ses riches
sous-sols que nourrissent tous les acteurs. «Les FDLR sont un faux problème.
Kigali aura pu le régler depuis longtemps mais il s'en sert pour intervenir dans
le Kivu qu'il considère comme une extension naturelle du Rwanda», souligne un
diplomate.
Le récent conflit n'est donc que le dernier avatar de cette
longue histoire. Joseph Kabila, qui après sa réélection contestée de décembre
2011 cherche un nouvel élan, a choisi de rompre l'équilibre en espérant une
victoire facile. Mais le plan ne marche pas. Kigali n'entend pas laisser faire.
Après deux mois de combats, l'armée congolaise piétine.
L'Église
congolaise assure aujourd'hui «qu'il existe des indices convergents qui évoquent
le spectre d'une guerre». «Le risque est de voir cette lutte s'enliser et
déborder en relançant les tensions ethniques», prévient Thierry Vircoulon de
l'International Crisis Group. Car des massacres seraient comme autant de raisons
pour les acteurs de s'engager plus avant. Pour Louise Harbour, ancienne
haute-commissaire aux droits de l'homme de l'ONU, la perspective d'une escalade
est très sérieuse. Elle demande que les forces de l'ONU s'interposent très vite
pour éviter le pire, qui au Congo, n'est jamais sûr mais demeure toujours
probable.
Par Tanguy Berthemet
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