dimanche 17 juin 2012

Centre commun des renseignements à Goma : un piège !

(Le Potentiel 16/06/2012)
Depuis le mercredi 13 juin, il a été ouvert à Goma un centre commun des renseignements des pays membres de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL). A première vue, l’initiative passe pour un nouveau piège dans lequel on a poussé Kinshasa. Because, elle est mise en œuvre au moment où la RDC est envahie par le Rwanda à travers des groupes armés dont les masques sont tombés tout récemment.

Dans ses objectifs, il n’y a rien en faveur de la RDC. La seule mission dévolue à ce centre est la mise en commun des renseignements entre pays de la sous-région pour neutraliser les FDLR et les rebelles de la LRA. Tout porte à croire que c’est un piège tendu à la RDC pour mieux la livrer à ses adversaires, notamment ceux qui travaillent à l’ombre pour sa balkanisation.

Depuis le mercredi 13 juin 2012, les pays membres de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) ont ouvert à Goma un centre commun de renseignements. En apparence, la démarche semble innocente. Elle serait même plausible par rapport aux objectifs poursuivis par la CIRGL. Toutefois, il y a un os. Le hic, c’est que le cerveau de cette structure est situé à quelques kilomètres des lieux d’affrontements entre les rebelles du M23 et les troupes des Forces armées de la RDC (FARDC).

Quid ? Alors que RDC et Rwanda se renvoient la balle sur la responsabilité de la nouvelle rébellion qui couve à quelques kilomètres de Goma, rapporte une dépêche de BBC, cette nouvelle structure a pour objectif de mettre en commun leurs renseignements pour lutter contre les groupes armés, le terrorisme et l’exploitation illégale des ressources naturelles dans la sous-région.

La question qui est tout de suite sur toutes les lèvres, c’est celle de savoir à qui profitent réellement tous ces beaux objectifs. En tout cas, ce n’est pas à la RDC. Et pour cause. Depuis plusieurs décennies, celle-ci est en guerre permanente contre des groupes armés dont les plus redoutables et irréductibles sont étrangers. Il s’agit, notamment, des FDLR, CNDP mais aussi de celui de création récente, le M23.

Né à la faveur de la dernière mutinerie des troupes de l’ex-CNDP intégrées au sein des FARDC, ce nouveau groupe armé s’est voulu aussitôt un mouvement politico-militaire. Sans perdre du temps, il s’est lancé dans des revendications politiques. Mais, mal lui en prit, car dans leur débandade face à la fulgurance de l’offensive des forces loyalistes, quelques mutins sont passés aux aveux. Ils ont indiqué qu’ils étaient des soldats rwandais formés sur le territoire rwandais avant d’être transplantés sur le sol congolais pour intégrer le CNDP/M23.

Dès lors, il n’y avait plus de mystère sur l’implication de Kigali dans l’insécurité qui sévit dans l’Est du Congo. Ceci expliquant cela, l’on comprend aujourd’hui pourquoi ces groupes armés dits «forces négatives» ne disparaissent jamais mais subissent simplement de la métamorphose. La vérité c’est qu’ils sont au service de certaines puissances qui sont déterminées à faire main basse sur les richesses du Congo.

Voilà une nouvelle aventure dans laquelle Kinshasa vient de se laisser embarquer. A-t-il subi comme d’habitude ou il s’est laissé désabuser ?

DES QUESTIONS A SE POSER

Les officiers de renseignements envoyés par la RDC et ses neuf voisins ainsi que le Soudan et le Kenya sont officiellement entrés en fonction à Goma depuis mercredi sous la direction du général angolais Bento Tumbi. Ils ont essentiellement pour mission de collecter ensemble et partager avec leurs gouvernements respectifs les informations sur les groupes armés actifs dans la région, comme les FDRL rwandais actives à l'Est du Congo ou la LRA qui terrorise les habitants de la partie orientale de la RDC.

Cette initiative se met en place au moment où le gouvernement congolais a clairement reconnu, sur base des témoignages recueillis auprès des mutins fugitifs du M23, l’implication avérée du Rwanda aux côtés de ce mouvement insurrectionnel. Qu’entre-temps, des pays de la CIRGL décident d’ouvrir à Goma, épicentre de la crise, un centre commun des renseignements, il y a bien des questions à se poser. Pourquoi avoir choisi ce moment ? Est-ce que les tensions dans l’Est du pays se prêtent réellement à une telle initiative ?

Selon un membre de renseignements de la RDC approché par BBC, ce nouveau centre de fusion des informations représente un pas de géant pour la région. Mais son ouverture, préparée depuis près de deux ans lors des sommets entre chefs d'Etat de la région, commente BBC, intervient quelques jours après l'échec d'une tentative de vérification conjointe entre les deux pays des témoignages de combattants du nouveau groupe rebelle rwandophone congolais M23, qui affirment avoir été recrutés et armés au Rwanda.

Loin d'y voir un mauvais présage pour la nouvelle structure commune de renseignements, souligne BBC, la même source, en l’occurrence l’officier des renseignements de la RDC s’est félicité du fait que l’existence de ce centre qui «évitera désormais à un pays de tricher avec les autres».

IL Y A ANGUILLE SOUS ROCHE

Cependant, au-delà de la partie visible de cet iceberg, il y a des zones d’ombre à éclairer pour dissiper tout malentendu. Car, cette initiative risque de s’avérer tout à fait suicidaire pour la RDC qui lutte, particulièrement dans la partie Est, à défendre l’intégrité de son territoire, du reste menacé par des voisins clairement identifiés.

Pour preuve, dans leurs relations de bon voisinage avec la RDC, l’Ouganda et le Rwanda n’ont jamais été sincères. A plusieurs reprises, des langues se sont déliées pour dénoncer le soutien de ces pays aux différents mouvements et groupes armés qui pullulent dans l’Est du Congo. C’est le cas notamment du soutien de l’Ouganda à certains groupes armés identifiés en Ituri (Province Orientale).

Compte tenu du passé malheureux qui a caractérisé les rapports entre la RDC et ses voisins, quel crédit peut-on dès lors donner à l’initiative qui s’est déployée à Goma ? Kinshasa a donc intérêt à retourner la question dans tous les sens avant de s’embarquer tête baissée dans cette initiative.

Les renseignements, disent les spécialistes du secteur, c’est le cœur même du fonctionnement de l’Etat. En se livrant à une initiative d’échanges des renseignements pour des objectifs non encore élucidés, Kinshasa prête le flanc à ses adversaires – ceux-là mêmes qui ont juré de démanteler la RDC dans ses frontières héritées de la Conférence de Berlin de 1885. D’où, la prudence. Car, tous les pays qui se sont engagés dans cette initiative n’ont pas forcément un agenda commun. Il y a d’autres, à l’instar du Rwanda et de l’Ouganda, qui ont des agendas cachés, diamétralement opposés à ceux de la CIRGL.

Le centre commun des renseignements de la CIRGL qui s’est ouvert depuis le mercredi 13 juin à Goma est véritablement un piège tendu à la RDC. Tout est fait pour neutraliser davantage la RDC en vue de mieux l’achever.

Il n’est pas trop tard pour se ressaisir. Les autorités de Kinshasa ont intérêt à approfondir le sujet. Il y va de l’avenir de la RDC.

Encadré

La rivalité rwando-congolaise

Une fois de plus, le Nord-Kivu est en proie aux affrontements. Une fois de plus, la lutte oppose l'armée congolaise à un groupe composé pour l'essentiel de soldats mutins issus d'une rébellion tutsi officiellement dissoute, le Congrès national de défense du peuple (CNDP).

Ce conflit reste pour l'heure très limité. Pourtant, il inquiète fortement tant les Congolais que la communauté internationale. Les habituelles tensions ethniques qui agitent cette région, particulièrement entre la majorité Nande et la minorité tutsi, ne suffisent pas à expliquer le retour des combats. En filigrane, cette guérilla cache une opposition nettement plus sérieuse entre la République démocratique du Congo et les Rwandais, sur fond de vieux différends et d'intérêts financiers. La fuite d'un rapport de l'ONU, mettant en évidence le soutien de Kigali aux mutins n'a fait qu'en apporter la preuve. Immédiatement Kinshasa a accusé son voisin. Kigali, de son côté, a nié en bloc.

Entre les deux pays, l'antagonisme plonge ses racines dans le génocide rwandais. Fin 1994, les troupes rwandaises intervenaient dans l'Est du Congo pour donner la chasse aux génocidaires, les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), qui y avaient trouvé refuge. Le Congo plongeait dès lors dans la guerre civile. Le président rwandais, Paul Kagame, choisissait d'épauler l'opposant Laurent-Désiré Kabila jusqu'à sa victoire contre Mobutu. Mais l'union sera de courte durée et la rupture violente. La guerre civile reprenait à l'Est contre des mouvements rebelles soutenus, presque officiellement, par le Rwanda au nom de la lutte contre les FDLR.

RISQUE D'ESCALADE

Cinq ans d'une guerre qui fit plus de trois millions de morts et dix ans de négociation plus tard, seule une paix bancale pleine de ressentiment a pu être instaurée entre les deux pays. Kinshasa continue de chercher vengeance et Kigali à contrôler la province pour des raisons sécuritaires en soutenant des rébellions. Ces nationalismes, aussi réels soient-ils, cachent mal l'appétit pour les terres du Kivu et ses riches sous-sols que nourrissent tous les acteurs. «Les FDLR sont un faux problème. Kigali aura pu le régler depuis longtemps mais il s'en sert pour intervenir dans le Kivu qu'il considère comme une extension naturelle du Rwanda», souligne un diplomate.

Le récent conflit n'est donc que le dernier avatar de cette longue histoire. Joseph Kabila, qui après sa réélection contestée de décembre 2011, cherche un nouvel élan, a choisi de rompre l'équilibre en espérant une victoire facile. Mais le plan ne marche pas. Kigali n'entend pas laisser faire. Après deux mois de combats, l'armée congolaise piétine.

L'Église congolaise assure aujourd'hui «qu'il existe des indices convergents qui évoquent le spectre d'une guerre». «Le risque est de voir cette lutte s'enliser et déborder en relançant les tensions ethniques», prévient Thierry Vircoulon de l'International Crisis Group. Car des massacres seraient comme autant de raisons pour les acteurs de s'engager plus avant.

Pour Louise Harbour, ancienne haute commissaire aux droits de l'homme de l'ONU, la perspective d'une escalade est très sérieuse. Elle demande que les forces de l'ONU s'interposent très vite pour éviter le pire, qui au Congo, n'est jamais sûr mais demeure toujours probable.

Tanguy Berthemet (Le Figaro)


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